Ça alors, monsieur Springer, chapeau bas, vous m'avez bien eu. Je suis trop sensible aux mots, aux symboles. Si vous avez pensé qu'un jour l'auteur de l'attentat viendrait ici, c'est bien joué. Très bien joué. Vous auriez pu écrire des mots vengeurs. Vous auriez pu faire reconstruire ici un bunker sécurisé en guise de chalet. Vous avez préféré me parler de paix de l'âme, de corps qui tombent en poussière. Quel panache ! Vous l'avez dit vous-même, les nazis n'avaient pas assez de style pour que vous en soyez.
J'ai mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
(Victor Hugo, "Réponse à un acte d'accusation")
Science sans fiction n'est que ruine de l'âme .
Anna Polikovskaïa
J'ai repensé à ce que vous m'avez appris du journalisme d'aujourd'hui, où les uns commentent le monde du haut de leur moralisme, les autres se laissent simplement embarquer dans les fourgons du régiment, mais quelques uns, comme vous, ne lâchent pas prise et le paient.
Ce que j'aimais chez vous, c'est que vous ne mettiez pas seulement en cause les militaires tortionnaires russes, les forces spéciales Tchétchènes, vous ne disiez pas seulement la répression, la vengeance, le meurtre des civils, vous disiez aussi votre désarroi et la manière dont ce travail d'enquête peu à peu vous
faisait découvrir le gouffre moral au fond
de chacun d'entre nous, quand il est confronté à la guerre.
( p.176)
Agota Kristof
J'admire cette femme de soixante ans qui se déclare asociale, accepte de perdre à la fois ses amis de là- bas et ceux d'ici au nom de cette exigence qui, dit-elle, vient du dedans.Entre son sourire espiègle et la mélancolie de ses livres, le mystère demeure.
- Ça nous tue.Si on écrit, on ne peut pas vivre vraiment. Mais sans ça, la vie n'a plus de sens.
(. p.159)
Blaise Cendrars
Est-il ridicule de supposer que s'ils n'étaient pas nés à La Chaux-de- Fond, Chevrolet, Cendrars, Le Corbusier et quelques autres ne seraient pas devenus ce qu'ils sont ? Vous et moi serions- nous différents si nous étions nés ailleurs ? On naît par hasard à un endroit. Ensuite est-on obligé de l'assumer ? Qu'est-ce qu"on choisit vraiment dans sa biographie ? Le milieu social ? Le lieu de l'enfance ? Être fils d'horloger à La Chaux-de- Fonds comme ces trois- là ?
( p.73)
La Commune avait mis l’imagination au pouvoir, provoqué des choses dont personne n’aurait eu l’idée avant qu’elles ne se passent. Les rapports entre les gens, les enfants, le travail, tout avait été différent pour un temps, s’imposant à tous et à toutes, même à celles qui n’avaient rien fait pour. Désormais on se disait Communardes sans avoir participé à la défense de Paris.
Ni dieu, ni maître, ni mari.
Je pense parfois à ce menuisier juif qui rabotait des planches pour les nazis et qui s'est retrouvé un jour au Struthof, enfermé dans un baraquement dont il reconnut le bois. Nous sommes pris à notre piège, nous avons collaboré à un système que nous savions porteur d'une mort atroce et nous n'avons eu qu'un courage intermittent pour nos propres idéaux. Je ne parle pas de renégats, mais de notre indifférence à la marche du monde, de notre opportunisme technologique.
Blaise Cendrars
(*** À propos d'une rencontre à Paris entre Cendrars et Le Corbusier)
Ou bien mettons qu'ils aient parlé de leur fière condition d'autodidactes.Un sujet qui revient souvent chez l'un et chez l'autre.Cendrars n'a pas terminé ses études universitaires commencées à Berne.Il se veut homme d'action. Parfois, c'est une citation qu'il met dans la bouche de l'un de ses personnages :
" Je voyage, j'écris, mais je ne suis pas un homme de lettres en voyage.Je vous ai déjà dit que je ne suis chargé d'aucune mission, même pas de propagande."
À quoi Le Corbusier répond : " Je pense moi qu'il est à peu près dix fois plus facile de faire un diplôme d'architecte dans un polytechnicum que de n'en vouloir pas faire." Le Corbusier ne sera admis à l'ordre des architectes qu'à cinquante- six ans pendant l'occupation allemande de la France, le 13 avril 1944.
Il aime parler de lui à la troisième personne: " Notre homme était un autodidacte.Il avait fui les enseignements officiels.Ainsi avait-il ignoré les règles canoniques, les principes codifiés et dictés par les Académies. Échappé à l'esprit académique, il avait la tête libre et le nez au vent."
( p.84)