— David, tu n’as pas bientôt fini d’embêter ta sœur, intervient leur mère. Bienvenue, Peter. Et navrée de vous rencontrer au milieu de ces deux zigotos. Vous savez, il y en a qui pense que l’intelligence est héréditaire, les autres ont des enfants.
OK ! Les Cortizon sont définitivement siphonnés du bocal. Même l’avocate pince-sans-rire lance des vannes à deux balles. Je crois que j’adore ma belle-famille satirique. J’ai toujours apprécié les blagues de mauvais goût de Wendy, elles baignent de sincérité et d’authenticité, ce qui est plus plaisant que l’hypocrisie que véhiculent les autres par égard à mon état de santé. Je ne comprends pas les réticences qu’avait Wendy à me présenter, elle me l’expliquera, sans doute, plus tard, car je perçois dans son apitoiement qu’il y a anguille sous roche. Nonobstant, elle a raison sur un point, sa mère garde constamment l’oreille collée au téléphone. On dirait qu’il est greffé à sa tête.
Je n’essaye rien du tout, je t’expose les faits réels, se défendit Thanel. Je ne vais pas en boîte pour ça. Je n’ai pas besoin de m’attirer des casse-pieds alors que j’ai un magnifique exemplaire qui dort déjà dans ma chambre, et qui me convient parfaitement.
Ce dernier me faisait des reproches, je devais reconnaître que je n’en étais pas à mon premier coup d’essai. Était-ce lui qui vint à mon secours les fois précédentes ? Périr d’overdose de médicaments, qui plus est des substances que mon corps ne tolérait pas, ce n’était pas la mort la plus jouissive qui soi. Denyss se mit sur ses genoux et me maintint contre lui, puis il enfourna ses doigts dans ma gorge pour me faire vomir. D’une main, il releva la lunette de toilette. Mon gardien me tint les cheveux tout en les caressant. Pas rebuté, il recommença de plus belle et vérifia même de me voir expulser le bon nombre de comprimés. Il déchira une feuille de papier toilette et m’essuya la bouche.
Ma léthargie actuelle vaut sans aucun doute celle de ce pauvre Naël cloisonné dans son tube d’exuvie. Lui et ses troupes de clones ont rapporté un puissant processeur, appartenant naguère à la confrérie de la clef USB. La petite chasseuse Calyo, ainsi que Flash Jemsef et Ma-L, les parents du petit brun plongé en mue forcée, faisaient autrefois partie de cette congrégation malveillante, avant qu’elle n’éclate. Cette bécane détient des fichiers concernant la soi-disant reine de mon essaim : Ma-L, dont le vrai nom devrait être Émilia.
Elle tournoie dans tous les sens sa pochette, allume son portable, l’éteint. En d’autres termes, elle trépigne sur place. La lumière disparaît, les musiciens s’installent, des étincelles dansent dans les yeux de Wendy. Je suis surpris, car la qualité de l’orchestre, combiné aux chorégraphies, s’accordent à merveille. Je pensais m’ennuyer et passer tout mon temps à observer la mine éblouie de mon invitée, mais je me prends au jeu et apprécie le ballet à sa juste valeur. Je commence à comprendre ce qui lui plaît autant dans le lac des cygnes. C’est un spectacle indémodable. Cependant, je m’assombris lorsque je me mets à fixer les mouvements de jambes des danseuses. Au départ, j’avais trouvé ridicule le costume moulant et la façon de se déplacer de l’interprète du prince Siegfried. Au fil du temps, je finis par devenir envieux. On dirait que cet homme vole. Sa partenaire semble aussi légère qu’une plume entre ses bras. Combien d’années d’entraînement leur ont-ils fallu pour atteindre une telle performance ? Combien de mois me faudra-t-il pour remuer d’un centimètre mon index ? Je ne suis plus qu’une tête accrochée à un corps mort. Tout mon enthousiasme retombe et je ne regarde plus le ballet jusqu’à l’entracte. J’en suis incapable…
Alors là, si je m’étais trouvée debout, il aurait fallu que je m’assoie, et vite. Puis, Denyss se posta devant moi, d’une mine beaucoup plus sombre. Je ressentis une tension dans sa mâchoire, une crispation puissante qui comprimait ses muscles avant qu’il daigne me parler de nouveau.
— Mais le pire de tous est le drakange. C’est là que ça nous pose un véritable problème dans le monde immortel.
— Le drakange existe ? bafouillai-je, atterrée.
— Tu crois que c’est par hasard que tu as choisi Drakenger comme nom de famille pour ton héroïne Calyo, et que par la suite, tu as remarqué que cela ressemblait étrangement à Drakange ?
J’aimais le fait que tout soit inscrit de la main du Seigneur et qu’il avait pu guider mon inspiration. J’avouais que lors du choix du nom de mon personnage central, j’ignorais d’où je sortais cette invention. J’avais en tête le préfixe drak, comme pour le mot dragon. Cependant la suite de l’appellation m’était venue, pour ainsi dire, par magie. En y repensant, dans sa globalité, je me rendis compte avec effroi que toutes mes idées étaient apparues dans mon esprit d’un seul coup, sans savoir ni comment ni pourquoi
Nathanaël était purement et simplement une gangrène ambulante, un parasite, un virus, la grippe aviaire en personne, bien que la petite vérole le représentait aussi à la perfection. Ce type me faisait l’effet d’une attaque purulente à grande échelle, me flanquant des boutons.
- Comment supportes-tu la pression lorsque tu voix la crasse chez Julian et Sven ? le narguai-je, une fois.
- Je fais un arrêt cérébral ou je me suis suicide en rentrant ironisa Thanel. Étrangement, je ne dois pas être très doué parce que je suis toujours en vie.
J’ai l’air con ! »
— Oui, mais tu es debout ! rétorque-t-elle.
Je flotte en position verticale, et mon ange me tient par la taille et l’arrière du crâne. Effectivement, j’ai presque l’impression d’être sur mes pieds.
— Tu danses, beau gosse ? minaude Wendy.
Wendy fredonne la valse de l’acte un, une main calée dans mon dos, une autre tient la mienne. Elle me fait tournoyer dans l’eau en rythme avec la musique qu’elle entonne. Je me détends enfin et je finis par me ficher du regard des autres. La jeune femme ne se préoccupe jamais ce que pensent les personnes qui nous entourent. Elle vit notre relation à fond, sans émettre de doute.
C’est insalubre, chez lui, m’expliqua Nathanaël. Il n’essore jamais son éponge, elle est couverte de miasmes. J’ai vu un jour une côte de porc qui traînait dans son frigo depuis, selon la date, plus d’un mois. Un mois ! Haley ! Je suis certain qu’un écosystème s’est créé sur ce bout de viande, que des bactéries ont pullulé et formé une communauté indépendante et intelligente, vagabonda son imagination fantasque. Joyeux a développé une nouvelle forme de vie dans son frigo, c’est diabolique ! Moi vivant, plus jamais je n’y mettrai les pieds, tu peux me croire.