Pierre JEAN JOUVE Portrait (DOCUMENTAIRE, 1991)
Un documentaire de Pierre Beuchot réalisé en 1991.
SONGE UN PEU au soleil de ta jeunesse
Celui qui brillait quand tu avais dix ans
Étonnement te souviens-tu du soleil de ta jeunesse
Si tu fixes bien tes yeux
Si tu les rétrécis
Tu peux encor l'apercevoir
Il était rose
Il occupait la moitié du ciel
Tu pouvais toi le regarder en face
Étonnement mais quoi c'était si naturel
Il avait une couleur
Il avait une danse il avait un désir
Il avait une chaleur
Une facilité extraordinaire
Il t'aimait
Tout cela que parfois au milieu de ton âge et courant dans le train le long des forêts au matin
Tu as cru imaginer
En toi-même
C'est dans le cœur que sont rangés les vieux soleils
(...)
Toujours …
Toujours la courbe en forme de vague
les hauts et les bas
Voilà c’est tout
Et l’ourlet de la mer la poussée du feuillage
la terrestre fanfare des montagnes
N’ayez pas peur de votre tristesse c’est la mienne
C’est la nôtre c’est la sienne
O grandeur
N’ayez pas peur voici la paix la vie
la vie est admirable
La vie est vaine
La vie est admirable
la vie est admirable
elle est vaine
AVEU
Épaule de la fenêtre ouverte. Exactement les gouttes de pluie. Une longue harpe humide dans l'air. J'ai obtenu, à la faveur de la pluie, ce rendez-vous mystérieux.
Piano de petite fille au loin, toutes ses notes joyeuses-tristes.
Horrible trouble.
Elle est assise clairement. Le beau regard regarde mes yeux, il y lit déjà la parole. Suspends, ah suspends la parole, pendant qu'il est temps encore !
«J'ose vous déclarer autre chose que de l'amitié.»
C'est fait, le rideau se déchire, les visages sont pourpres, tout est désormais nu, terrible, l'homme et la femme se contemplent, s'approchent. Une face pâle est effrayée, des souffles sont perdus dans une fête. L'avenir se déroule - j'accepte - j'accepte - déjà avec mes deux bras je lui fais une ceinture, c'est plus chaud que son regard.
[...] elle connaissait un nouveau sentiment terrible, c'était le besoin de l'homme absent.
NEF
Extrait 1
Dans un grand jour de royal bleu, aux langues de feu
De Pentecôte, aux langues de feu sur les arbres,
langues de flammes sur les pierres
Langues de feu gris sur les gris langues de flammes
vertes sur les verts
Langues sur les seins de la pierre et langue sur l'im-
mense droite nervée perpendiculaire
Langues des cloches langue blanche
Langues sur les monts construits en assises de cons-
truction
Langues aux fines prisons d'air roues géantes sans
tournement
Langues sur le sol de la mer
Langues sur le promontoire où la fugue a perfection
et sur une face inégale plus haute que le firmament
Langues de feu de Pentecôte et sur un géant de
l'amour à l'Étoile de la mer
Langues sur l'affouillement du Temple et sur le doux
Sein de la mère.
…
NEF
Extrait 2
Langues de feu sur le nombre pur
Langues de feu sur le bois de grange
Mais langues dans le vert violet le gris jaune et le
blanc tout rouge
Langues au million de figures des âmes toujours ins-
pirées
Langues de larmes des ardeurs sur tout le Peuple
d'aventure indiscernable et sacré
Qui souffrit une seule peine au cœur imputrescible
des verres
Qui souffrit un seul élan fou par le jet terrible de
pierre
Qui souffrit une seule passion à travers les eaux de la
terre à partir de ce grand sol plat bleu.
Derniers écrits 1974 – 1976
jour d’été…
jour d’été
quel tendre brouillard tremble
autour du fleuve temps
tant de soie déchirée
embue la soie du cœur
le cœur à vif au bout des doigts
tu sens ta perte avec les mains
tu promènes au grand jour
ce vide en toi comme un enfant
***
quel tendre brouillard tremble
autour du fleuve temps
ce monde est ce monde est
paix
la mort riant candide
La mère de Paulina ne tenait aucun rôle et n’en voulait tenir aucun, suivant l’usage en Italie ; elle avait produit dans les quinze premières années de son mariage sept enfants dont quatre étaient encore vivants ; les ayant voués à la Sainte Providence, elle les regardait s’éloigner tandis que sa vie à elle s’enfonçait toujours plus dans l’Eglise, comme si son mariage n’avait été qu’une parenthèse et si elle retrouvait à quarante-cinq ans son premier destin qui avait été de devenir nonne.
La poésie est une âme inaugurant une forme.
Pendant des heures, presque toute la journée qui suivit, Paulina émerveillée croyait sentir son amant demeuré en elle. […] Elle demeurait couchée autour de ce plaisir si singulier qu’elle éprouvait au centre de son corps, elle rentrait dans l’absolu bonheur près de la terre, du lac et des arbres. Je serai éternellement heureuse. L’effusion de douceur la baignait. Déesse calme et endormie, elle respirait.