Présentation du peintre chinois Shitao - 1ère partie
Le monde ne s'en tient pas à une seule méthode, ni la Nature à un seul don. Ceci n'est pas seulement manifeste en peinture, mais aussi en calligraphie. Bien que la peinture et la calligraphie se présentent concrètement comme deux disciplines différentes, leur accomplissement n'en est pas moins de même essence.
L'Unique Trait du Pinceau est la racine et l'origine première de la calligraphie et de la peinture.
L'encre, en imprégnant le pinceau, doit le doter d'aisance ; le pinceau, en utilisant l'encre, doit la douer d'esprit. L'aisance de l'encre est une question de formation technique ; l'esprit du pinceau est une question de vie.
"Avoir l'encre mais pas le pinceau" veut dire que l'on est investi d'aisance que donne la formation technique, mais que l'on est incapable de donner libre cours à l'esprit de la vie. "Avoir le pinceau mais pas l'encre veut dire que l'on est réceptif à l'esprit de la vie, mais sans cependant pouvoir introduire les métamorphoses que donne l'aisance de la formation technique.
Dans la peinture des scènes des quatre saisons, l'atmosphère varie, chacune ayant son climat propre...Les Anciens exprimaient ces différentes atmosphères par des poèmes; ainsi, pour le printemps :
« A chaque fois, l'herbe renaît parmi les sables,
Fleuves et nuages ensemble allongés, se rejoignent. »
pour l'été :
« Sous les arbres, il fait toujours ombreux;
Que la brise est fraîche au bord de l'eau! »
pour l'automne :
« Du haut des remparts froids, d'un regard se découvre
L'étendue désolée des forêts. »
pour l'hiver :
« Le pinceau devance le voyageur sur le long chemin du retour,
Tandis que le froid étreint les viviers, son encre coule d'autant plus fluide.»
Les propos sur la peinture de Shi Tao (Moine Citrouille-Amère)
Chapitre XIV : Les quatre saisons, extrait.
Traduction et commentaire de Pierre Ryckmans. In: Arts asiatiques, tome 14, 1966. pp. 79-150 | doi : https://doi.org/10.3406/arasi.1966.959
Tout ce qui possède des règles constantes doit nécessairement avoir aussi des modalités variables. S'il y a règle, il faut qu'il y ait changement. Partant de la connaissance des constantes, on peut s'appliquer à modifier les variables; du moment que l'on sait la règle, il faut s'appliquer à transformer.
Par le moyen de l'unique trait de Pinceau, l'homme peut restituer en miniature une entité plus grande sans rien perdre : du moment que l'esprit s'en forme une vision claire (yiming), le pinceau ira jusqu'à la racine des choses
En fait, les dons qui nous viennent des sphères les plus plus inaccessibles ne se réalisent que dans le concret le plus proche, et il faut d'abord connaître l'immédiat pour pouvoir atteindre le lointain.
Il a été dit que l'homme parfait est sans règles, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas de règle, mais que sa règle est celle de l'absence de règles, ce qui constitue la règle suprême.
Mais l’univers a-t-il jamais vieilli ?
Verte est la montagne par-delà le ciel.
« Quémandant sa place, le moine Citrouille amère
Adepte sans vertu du Petit Véhicule
À cinquante ans erre encore tel un orphelin
Son corps malade plus transi qu’un bloc de glace. »
En méditation
Givre et neige ont beau refroidir ces rameaux
Ils laissent éclater leurs désirs cachés
Tronc noueux, branches dressées rabotées par les ans :
Coeur de vacuité relié à l’immémoriale origine
Ensorcelé l’homme en vient à confondre bronze verdi et chair ardente !
Ébloui par mille gemmes naguère tombées du ciel
Comment alors réprimer les cris qui jaillissent
Hommes et fleurs participent de la même folie !