Puissance des mots pour attirer qui rêve d'eaux fraîches et courantes et de futaies agitées par des vents caresseurs ou furieux ! Fontainebleau, bien avant que je te connaisse, la sonorité liquide de ton nom retentit en moi, lorsque je le prononçais, comme le bruit d'une onde errante parmi les murmures des hautes fougères.
Je me disais : je verrai cette forêt et le palais assoupi qu'elle enveloppe. Je me perdrai dans les gorges sauvages et sous les vieux arbres pareils à des ancêtres méditatifs. J'entendrai, peut-être, résonner le cor du Chasseur Noir. Peut-être, un soir où j'aurai négligé de rentrer à la ville, je le verrai surgir d'un taillis, monté sur son cheval de ténèbres et menant à la piste d'une chimère sa meute aux prunelles flamboyantes. Qui sait s'il ne me parlera pas comme il a parlé à Henri IV, à Louis XIV et, voici quelques années, à une jeune Anglaise pédalant, après la nuit tombée, sur la route de Moret ?...
Surtout, n'allez point sourire et marmotter que ces Rois et cette Insulaire nocturne furent hallucinés. Ni vous ni moi ne savons où commence et où finit le Réel. D'obscures présences rôdent autour de nous ; et il suffit, sans doute, que nous désirions violemment les percevoir pour les évoquer, revêtues du prisme de nos songes.
Quant à moi, je crois au Chasseur Noir. J'espère bien ne pas mourir sans l'avoir rencontré. – Et si je le rencontre, par quelque minuit d'équinoxe et de ramures plaintives, je me charge de lui arracher son secret...
Mais silence : l'ombre vient de la forêt. Une brume légère, frangée d'argent par la lune naissante, baigne les rochers et les frondaisons. Un cor sonne au plus loin des futaies ; de faibles abois se répondent. Je gage que la chasse fantastique défile au fond du Désert d'Apremont...
Je pars à la recherche du Veneur mystérieux.
Patience : un temps viendra où je sortirai de ma déplorable peau pour me vêtir aussi d'écorce. Mes pieds s'enracineront dans la terre. Mes bras se feront branches noueuses. Des feuilles pousseront au bout de mes doigts. – Qui sait ? Je serai peut-être la souche d'une nouvelle espèce végétale.
Ce sera un grand bonheur – car, n'en doutez pas, les arbres valent beaucoup mieux que les hommes.
Quiconque vote se reconnaît incapable de se conduire soi-même . Quiconque obéit , sans répugnance , aux gouvernants qu'il se donna , ressemble à un mouton qui viendrait s'offrir bénévolement au couteau du boucher .