Il y a chez Houellebecq non seulement un questionnement métaphysique toujours sous-jacent, mais une dimension sentimentale qui relève précisément d'une volonté de rétablir une part méprisée et pourtant fondamentale de l'humanité. Il me semble difficile de classer parmi les cyniques un auteur capable d'assumer de telles déclarations:
"Je reste un romantique, émerveillé par l'idée d'envol (de pur envol, spirituel, détaché du corps). J'estime la chasteté, la sainteté, l'innocence ; je crois au don des larmes et à la prière du cœur." (Extrait de "La poursuite du bonheur")
À la question de savoir quelle est "l'unité, ou la ligne directrice obsessionnelle" de son œuvre, Houellebecq répond par cette phrase qui me semble décisive: "Avant tout, je crois, l'intuition que l'univers est basé sur la séparation, la souffrance et le mal; la décision de décrire cet état de choses, et peut-être de le dépasser."
Houellebecq (…) ne désigne plus tant aujourd’hui un individu concret qu’une fiction, le point de cristallisation de représentations multiples, souvent contradictoires et en constante évolution.
Agathe Novak Lechevalier
Lorsqu’une femme refuse de me toucher, de me caresser, j’en éprouve une souffrance atroce, intolérable ; (…) c’est si effrayant que j’ai toujours préféré, plutôt que de prendre le risque, renoncer à toute tentative de séduction. (…) j’ai l’impression à ces moments de mourir, d’être anéanti, vraiment.
Michel Houellebecq
Sans vie intérieure, on n'a plus rien à échanger avec les autres. On entre dans un univers de zombies décérébrés.
Entretien entre MH et jean de Loisy (page 315) :
JdL : La fixité fait partie des exercices auxquels tu dis t'être livré très jeune, juste regarder longtemps quelque chose.
MH : Oui, regarder les choses fixement, sans objet.
JdL : Ca permet le détachement ?
MH : C'est très bon pour la santé. En général, on a toujours plus ou moins un projet, et regarder les choses sans projet, comme si on n'était pas concerné, c'est un exercice spirituel que je recommande.
JdL : Comment fait-on ?
MH : Tu restes à un endroit et tu ne bouges pas les yeux.
JdL : Mais il y a des accidents qui se produisent dans ton champ de vision.
MH : Mais tu les vois comme des choses qui passent.
C'est très facile à faire avec des nuages. Tu regardes les nuages qui passent et tu as l'impression de voir le monde, et que le monde est supportable.
L'art du romancier ne se résume ni à l'invention d'un personnage intéressant, ni à la construction d'une intrigue convaincante ; ce qui compte avant tout, c'est sa capacité à produire une analyse de la société contemporaine. "Rendre compte du monde", c'est parvenir à en donner une représentation qui puisse dépasser l'anecdote et atteindre à l'exemplaire.
Comme, tous les suicidés en vie, Houellebecq nous aide à vivre et c'est à cette aide paradoxale, perverse en apparence, et que ne comprendront jamais ceux qui n'ont pas eu la tentation du rasoir ou de la fenêtre, que nous rendons grâce. Pour vivre sans dommage, il nous faut perpétuellement ruser avec la vie.
Pierre Cormary (p212)
Modification d’un regard.Lorsque les fondements de la consolation philosophique s’effondrent,lorsque les promesses de la religion font défaut, lorsque l’extension du vide menace de nous engloutir,une seule consolation subsiste:la littérature.
On invoque souvent la capacité qu'aurait Houellebecq de saisir "l'esprit du temps". Et il y a sans aucun doute, chez le romancier, une faculté intuitive qui l'amène à voir de manière particulièrement aigüe les dynamismes caractéristiques de son époque.
[…] Je n’ai jamais eu besoin d’être orthodoxe pour porter aux nues les romans de Dostoïevski, encore moins communiste pour admirer ceux d’Aragon, ni originaire de Manosque pour aimer ceux de Giono. Devant une œuvre d’art véritable, les désaccords ne ridiculisent que ceux qui les mettent en avant pour se protéger contre sa beauté et sa vérité.
Ce qui est piquant dans ce commentaire, c’est de constater qu’à peu près tout ce qui pourrait irriter Muray (la valorisation des femmes, le désaveu de Nietzsche, le respect de la loi morale) est justement ce que l’on refuse de voir aujourd’hui chez Houellebecq. Mais là n’est pas l’essentiel : ce qui importe, c’est que ses objections, quelles
qu’elles soient, tombent devant ce qu’il perçoit comme « une œuvre d’art véritable ». Non qu’il parte de ce postulat - mais sa lecture lui a fait percevoir la richesse du roman. Et pour ma part, bien que manifestement je ne partage pas certaines positions de Muray, je ne peux qu’admirer sa capacité à dépasser ce qui est susceptible de l’agacer pour se laisser gagner par la beauté d’une œuvre.