"Je pense à la vie, comme elle est surprenante, triste et belle à la fois..."
Un oisillon en profite pour se poser sur la tête d'Igor et picorer son crâne. Igor se retient de rire sous ses chatouilles. Lorsqu'il relève le museau, l'oiseau se colle à son oreille comme pour lui murmurer un secret puis s'envole rejoindre le nid.
Judith et Igor ont à présent les deux yeux rivés vers la cime de l'arbre, avec l'air d'écouter ce qui se trame là-haut. "S'il faut être un oiseau pour devenir son ami, je demanderai une paire d'ailes à mon anniversaire", songe Judith.
Et puis franchement, poursuit-il, t'as déjà vu un loup traîner avec une fille ?
Je me faisais une telle joie tout à l’heure. Découvrir les secrets des uns et des autres me paraissait si évident, si anodin. Et alors que je suis à deux doigts de ranger la théière, vaincu par ma culpabilité, et les improbables reproches de Simone, je me raisonne. Primo, un jour ou l’autre, je finirai par lire ces bouts de papier. La curiosité sera la plus forte, c’est fatal.
Deuzio, mes parents m’ont appris à ne pas croire aux choses qui n’existent pas, comme le père Noël, les fées, les monstres marins ou les personnes mortes capables de nous faire des remontrances. Certes, je ne suis pas toujours d’accord avec eux, de par leur nature même de parents, mais sur ce point, je pense qu’ils n’ont pas tort.
Tertio, cette théière n’est tout simplement pas magique. Pour preuve, très peu de mes souhaits se sont réalisés, du moins, ni les plus importants, ni les plus urgents. Je fais toujours pipi au lit, et Simone est morte. L’an passé, elle était à l’hôpital à cause d’une chute et j’avais expressément demandé qu’elle ne meure pas. On voit le résultat.
- Mais, je vous assure, monsieur le loup, reprend Judith la voix toujours tremblante. Je n'ai pas du tout envie de vous dévorer !
- Peut-être, mais t'es quand même habillée en rouge.
- Et alors ?
- Et alors ? Et alors, j'ai un vague souvenir qu'en présence des petites filles habillées en rouge, ça finit avec un fusil pointé sur le museau et des cailloux dans le ventre. Et je ne sais pas si tu sais, mais ça se digère très mal les cailloux.
LE GRAND MÉCHANT LOUP n'en est plus un du tout.
Il a peur des fusils, de moi et des cailloux.
Je traverse la forêt,
sans me faire dévorer.
Je cours dans les bois,
sans risquer quoi que ce soit !
Selon la loi de la théière, il est formellement interdit de lire les souhaits. "Vœux lus, vœux foutus", disait Simone. Sans doute est-ce exagéré, sans doute cette théière n'a-t-elle aucun pouvoir. Cette petite cérémonie n'était à coup sûr qu'un jeu entre Simone et moi. Pour autant, je ne me résous pas à rompre le serment. Il y a quelques souhaits là-dedans qu'il me plairait de voir s'accomplir.
Personne, pas même le docteur du rez-de-chaussée que je suis allé consulter en catimini, n'est capable de me donner une explication plausible : comment-fait on pour se porter comme un charme le mardi, démarrer sa journée du mercredi avec un bonne tartine de confiture aux framboises et s'effondrer dans son bol de café au lait quelques instants plus tard, sans vie ?
Deuzio, mes parents m'ont appris à ne pas croire aux choses qui n'existent pas, comme le père Noël, les fées, les monstres marins ou les personnes mortes capables de nous faire des remontrances. Certes, je ne suis pas toujours d'accord avec eux, de par leur nature même de parents, mais sur ce point, je pense qu'ils n'ont pas tort. (p. 34)
Ces réponses me désolent, mais je vais devoir me faire à cette idée : l'infarctus au petit-déjeuner est possible. Ce qui est impossible, en revanche, c'est que Simone revienne. [...] Je sais qu'il y a peu de chances qu'elle se sorte d'une situation pareille. La mort, on ne s'en remet pas. La crise cardiaque est irréversible. (p. 14)