Les entrevues Entre les lignes: Alain Beaulieu
Ce vieux m’était de plus en plus sympathique. Il avait l’âge et les manières de ceux qui connaissent la valeur du temps et n’en ont plus beaucoup à perdre, et cela me plaisait. Il y allait directement sans détour, sans courbettes superflues.
Je n'aimais pas les surprises. Souvent, on espère une chose extraordinaire et on se retrouve déçu de ce qui nous est finalement offert.
La vie est un combat perdu d’avance, mais nous allions nous battre jusqu’à la fin, en choisissant cependant le champ de bataille de nos dernières querelles.
Bien qu’en bonne forme physique, nous sentions les années que nos corps avaient traversées dans nos muscles moins fermes et nos articulations parfois douloureuses.
Antoine avait pris un coup de vieux au cours de la dernière année, et je m’inquiétais davantage pour lui que pour moi. Je surestimais sans doute ma capacité à contrôler mon stress, mais j’étais celle qui, de nous deux, savait le mieux réagir à l’adversité.
Avec novembre sont venues les premières gelées et la bordée de neige inaugurale de l'hiver. Trente centimètres de flocons mouillés, tombés du ciel en quelques heures à peine et qui n'allaient fondre qu'en avril ou en mai.
J'assistais au spectacle derrière notre fenêtre, alors qu'on diffusait à la radio l'Andantino de la Sonate no 20 pour piano de Schubert, et la neige qui fondait sur la vitre répondait aux larmes qui embuaient mon regard.
La littérature – et plus spécifiquement le roman – permet de circonscrire ce qui dans la vie passe souvent trop rapidement, en nous ou autour de nous, pour que nous réussissions à le reconnaître. Avec sa capacité de jouer avec le temps en l’étirant ou en le compressant, le romancier permet au lecteur de prendre du recul pour donner du sens à ce qui demeure souvent insensé dans sa vie courante. (p. 79)
La remarque de BHL jette un froid dans l'assistance. Déjà Miron s'est approché de l'estrade, prêt à y bondir, alors que Jacques Ferron lève la main comme un bon écolier pour demander qu'on lui donne la parole. De l'arrière de la salle, François Barcelo lance un tonitruant « Sors de ta tour d'ivoire, du con! » qui fait sourire Victor-Lévy Beaulieu qu'un peu d'action n'indispose pas, contrairement à Anne Hébert qui lorgne déjà vers la sortie.
Bernard Pivot tente de calmer les esprits, mais BHL annonce qu'il s'en va, avant de se frayer tant bien que mal un chemin entre les convives. (…)
- Vous! aboie-t-il en montrant du doigt Réjean Ducharme. Ouvrez-moi cette porte!
L'enfantôme hausse les épaules.
- La clé! Trouvez-moi la clé!
Ducharme se contente de sourire dans sa fausse barbe. BHL soupire puis vient vers lui d'un pas décidé.
- Écoutez, mon ami. Je veux sortir d'ici, vous m'entendez?
- Désolé, répond Ducharme. On ne parle pas la même langue, vous et moi, alors j'arrive pas à saisir ce que vous me dites. (…)
-J'ai l'impression qu'on t'a offert une belle mise en scène. Tu es certain que c'était bien Noriega que tu as vu dans un si piteux état?
Je comprenais surtout que la noblesse de sa cause justifiait tous les sacrifices, mais peut-être aussi tous les mensonges et certaines exactions. J'ai baissé les yeux, Estrella a pris ma main et je nous ai vus courir sur la route principale, fonçant ainsi, liés l'un à l'autre, vers le soleil levant. Nos cheveux mouillés de rosée battaient dans le vent frais du matin, et nous étions heureux. Puis le soleil est retombé d'un coup derrière l'horizon et les étoiles ont scintillé une dernière fois avant de s'éteindre elles aussi. Il n'y avait plus que nous dans la noirceur de Ludovia, et nos mains se sont séparées. p.170
Avec chaque texte, l’écrivain monte dans un canot et file sur une rivière que les crues ont gonflée. Ça roule et ça déboule, de tourbillons pernicieux en rapides menaçants, sans qu’il puisse éviter tous les écueils. Il tente de manœuvrer entre les roches les plus apparentes, mais il s’en trouve plusieurs sous la surface des eaux pour égratigner la toile de son embarcation. Certains pics plus pointus menaceront même de la percer, ce qui ferait s’échouer le texte en attendant qu’on le répare. Or, plus l’écrivain pagaie, plus il apprend à contourner les obstacles, quitte à devoir portager de temps en temps. (p. 43)
L'enveloppe brillait au centre de la pénombre comme si mille étoiles attendaient que je l'ouvre pour illuminer la nuit. Mais ce n'étaient que chimères et songeries, perles de pacotille, promesses d'ivrogne en manque d'amphores à remplir pour mieux les vider par la suite. Il y avait là des torrents d'amertume, des coulées de nostalgie, de la trahison à pleins seaux pour remplir mes veines qui allaient éclater de tristesse si je ne résistais pas. J'ai pris l'enveloppe, l'ai tournée dans mes mains, l'ai portée à mon nez et elle est entrée dans mon corps par mes narines grandes ouvertes.
Eliana ... p.82