Citations de Alain Duault (73)
Hymne à la Mer
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Chevauchez vagues chevauchez crêtes illuminées
Sable et sel et craie et soleil
Grande banque de larmes et ses branches de sel
Chevauchez vagues roulez jusqu’aux horizons blêmes
Cendres et sel et plaie et silence
Inlassable murmure immense émulsion des âmes en ténèbres
Braise bleue des vaisseaux enfoncés et des planches à croire
Roulez vagues roulez vos épaules comme les hanches salées
Braise et lune et craie et souffrance
Eclairez blanches les déchirures sournoises des ronces de rochers
Les lumières assassines des naufrageurs aux dents d’ombre
Poussez la charrette hurlante des vents du nord des tempêtes
Roulez vagues hurlez sous le harnais du souffle d’épouvante
Brume et amble et soie et soleil
Ombres cachées couchées au fond du froid au fond des ongles
Jusqu’à l’aveugle folie des abimes où dorment celles
Qui ont exaucé les rêves de conquêtes les espoirs magellans
Celles aussi qui ont enfoncé le Titanic et les barques de pêches
Hurlez vagues hurlez entre leurs seins de sel éblouissez
Sable et sel et craie et soleil
Grand champ d’iris au jusant reposé parmi les algues
Laissez-vous caresser par ce sable que vous saoulez
Avouez ce sel qui blanchit vos doigts écumants car voici
L’instant d’écrire aux rochers votre testament de craie
Acceptez le soleil entre les plis creux de vos robes
Et chevauchez roulez hurlez éblouissez l’aube du temps
Soleil et craie et sel et sable
Un monde retourné se défait entre les mains mouillées
Comme une caresse à l’envers qui semble lasse et nue
Face à l’immense pulsation dont on ne sait rien d’autre
Que ce qui bat sous la peau jusqu’au fond du silence
Jusqu’au sang chevauché interminable le jour la nuit le jour
Semble et pleine et salie et sable
La plage au matin délaissée les longs doigts bleus posés
Comme les vagues épuisées sur les épaules des sirènes
Et le cœur est si las au bout des nuits de joues salées
Au bout des rêves hurlés roulés trop grands pour une vie
Brune et tendre et sel et dormante
Plus de montagnes pour lever les roses de l’horizon
Plus qu’une longe posée sur le sol comme on se donne
Un cheval entre les bras quand sonne le cœur monte la houle
Bleue et craie et tremble et brûlante
Plus rien qu’un bouquet d’eau entre les doigts les cils
Et la soif d’y renaitre bientôt au jusant les aisselles en pluie
Soleil et crêtes et cris et tempêtes
Comme on se laisse manger les paupières la nuit.
(Hymne à la mer - p13-15 (Les sept Hymnes)
J'ai parfois ce sentiment que je vais mourir sans
T'avoir assez dit que je t'aime sans que ma main
Chante au clair de ta nuque posée du soir jusqu'à
La pluie de l'ombre sans que j'ai épuisé tes yeux
Et ces méandres des joues qui courbent la lumière (...)
OÙ VONT NOS NUITS PERDUES
L'autre oreille celle qu'on ne voyait pas qu'entendait-elle
Près de sa jambe la peau si tendre à l'intérieur de sa jambe
Quel secret comme à Palerme aux catacombes c'était l'été
Cette conversation muette elle l'avait eue avec l'un avec
L'autre chacun des cadavres pendus je ne comprenais pas
Mais je reconnaissais au milieu des vignes la même langue
D'ombre qui résonnait encore c'était pourtant la même peau
La même assourdissante musique je ne savais toujours pas
Ce qu'elle écoutait là-bas de l'autre côté quand une libellule
Une magnifique libellule aux ailes bleu-vert s'est posé sur
Sa main ouverte elle n'a rien dit n'a pas frémi pas ri la si belle
Lune du matin après rêver peut-être la libellule s'est envolée
p.86
J'applaudis le vent j'applaudis la tempête j'applaudis
Tout ce qui souffle et respire l'arbre qui soulève le ciel
Vermeer sa lumière qui se pose sur l'âme J'applaudis
Le temps qu'on peut passer à regarder un brin d'herbe
Dans ce moment très bref entre l'aube et l'aurore ce fil
Qui découd le jour de la nuit quelle grâce J'applaudis
Audrey Hepburn et son sourire cassé au petit dejeuner
Chez Tiffany quand ses yeux luisent comme de l'eau
J'applaudis la poussière bleue du matin quelque chose
Qui n'a de beauté que dans son imperfection un amour
Qui pourrait s'échapper au moindre bruit J'applaudis
La nuit qui tombe comme j'aime que tombent les nuits
Un jour pourtant qu'il passe en coup de vent à la maison familiale, Strauss surprend son fils en train de travailler son violon : hors de lui, il hurle, l'insulte, le frappe, Anna (la mère) doit s'interposer. C'est une sorte d'hystérie qui semble le prendre, ou un pressentiment négatif, à l'idée que son fils puisse marcher sur ses brisées. Il ordonne d'ailleurs aussitôt à son impresario d'avertir toutes les grandes salles de bal de Vienne que si, un jour, ils accueillaient son fils, lui ne remettrait plus les pieds dans la salle ainsi souillée !
Tout va changer avec le fameux congrès de Vienne, du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815, qui va réunir les pays vainqueurs de Napoléon, ainsi que les autres États européens qui vont devoir rédiger et signer les conditions d'une paix durable et donc déterminer les frontières censées garantir un nouvel ordre pacifique... C'est donc une énorme manifestation, qui attire des centaines de diplomates et leurs suites, pour lesquelles on organise mille et un divertissements, dont, bien sûr (on est à Vienne !), des bals. On se souvient de la réponse du prince de Ligne qu'on interrogeait sur ce congrès censé forger cette Sainte-Alliance politique réunie contre Napoléon : "Comment va le congrès ? Le congrès ne va pas, il danse !..."
Les répétitions (de "Un bal masqué") avancent et le 17 février 1859 a lieu la première. C'est une soirée d'enthousiasme délirant : du parterre, des balcons, des loges, on crie : "Viva Verdi !"
Ce cri est à la fois un salut au compositeur et un slogan politique qui résume les aspirations du peuple italien – car ce "Viva Verdi" s'entend aussi comme il se lira sur les murs de la ville : "Viva V.E.R.D.I.", c'est-à-dire "Viva Vittorio Emanuele Re D'Italia".
Au milieu des années 1840, la révolution gronde à Vienne comme à travers toute l'Europe, le mot de "liberté" est devenu l'étendard sous lequel ouvriers, paysans, étudiants, commerçants, bourgeois, tous se liguent contre les institutions qu'ils jugent moyenâgeuses... A Vienne, la marmite chauffe, les balles sifflent, les émeutes, les barricades, les incendies, les pillages, tout l'attirail habituel des révolutions se met en branle. Metternich, le prince honni, doit s'enfuir, caché dans une corbeille à linge, et se réfugie en Angleterre.
OÙ VONT NOS NUITS PERDUES
troisième nuit blanche
Manque tu me manques et le silence même semble silence
Le soir aussi sans l'odeur saoule qui descend dans le vent sans
L'eau qui dore les seins sans le silence qui suit l'amour
Le long mensonge même si tu sais que le sang sombre et
Semble lire l'âge d'absence sur les tempes ou les mains
Ou la voix qui résonne grise au fond du noir mais c'est
Encore un souffle une ombre qui revient et me lie comme
Le temps qui tombe sur le soir et tu disais que c'est la nuit
C'est une huile c'est un lit de soie c'est peut-être voilà ce
Qui me manque ton visage tout cela
Où vont nos nuits perdues/et autres poèmes/Gallimard 2015/ p.172, p.117
UNE HACHE POUR LA MER GELÉE
de l'incessante surprise de l'amour
J'étais dans les ténèbres et j'ai pris l'insaisissable l'encre
Le miel de lune j'ai pris l'air du merle du sud qui erre au
Dessus de la mer le noir amer du merle silencieux le soir
J'ai pris le vent qui aiguise les joues pris le mur de roses
Sauvages de l'église de Raron où reposent les cendres de
Rainer Maria Rilke j'ai pris encore l'herbe rouge de mars
Les boîtes de soupe Campbell d'Andy Warhol la tunique
Des horse guards les panneaux de sens interdit et la culotte
Du zouave j'ai pris la rivière de John Wayne et la carotte
Du tabac la gorge de l'oiseau et le chiffon pour le taureau
Mais mon amour incandescent vous ne pourrez pas me le
Prendre je vous donnerai tous mes mots pas la couleur de
Mon amour : car j'ai chevauché j'ai vu les quatre visages
De la mort senti le couteau d'or du soleil pelé l'écorce du
Monde jusqu'à : mon amour m'a pris et m'a appris le jour
Où vont nos nuits perdues/et autres poèmes/Gallimard 2015/ p.172
PREMIÈRE NUIT NOIRE
Quand tu me regardes parler que vois-tu
De l'intérieur de mon visage que sais-tu
Du verso des paupières quel orage entendu
Te retient au bord de ma peau de mes veines
Oh je voudrais que tu me rêves et me racontes
Mes émois que tu délaces mon silence saoulé
De mots sales et m'expliques mes larmes si
Tu lis le reflet lavé de mes angoisses là
Dans le froissé des eaux où s'écoule mon
Sang je ne sais plus ce que je crois ce
Qui va là n'y va pas je ne bois que ça
Mon amour qui frissonne au vent frais
De la mare où l'oubli blanc se mire
Et s'endort quand tu me vois parle
Que regardes-tu dis-moi au moins
Quel est le nom qui arraisonne
Sous ma peau la courbe des men
Songes qui me rongent et me
Lissent comme la pluie là
Comme au bout d'un lit d'
Un linceul qui se tire
Sur ton regard qui se
Tourne et me laisse
Sans nom sans ton
Visage qui est
Le mien dans
Le miroir
La mer
Elle s’enroule à la hanche du jour sa blancheur
Son infusion d’iris et ses longs doigts qui s’étirent
Sur le sable du dos quand la lune écume son souffle
Comme un cheval salé s’emballe entre les bras aimés
Ses larmes elle les rassemble en bouquets écarquillés
Contre les pierres ou sur la courbe enceinte des bateaux
Le vent qui jaillit de ses flancs elle en fait des oiseaux
Elle en fait la roue sur les rochers elle roule enfle elle est
Le battement
Le succès de Nabucco est lié au caractère patriotique que les spectateurs ont lu en filigrane de cette histoire d'Hébreux opprimés par les Assyriens, au moment où eux-mêmes, Italiens, le sont par les Autrichiens – et le "tube" de l'opéra a été (et demeure encore) le magnifique chœur des Hébreux ("Va penserio"), véritable hymne à la liberté.
Un matin, alors qu'il sert la messe à l'église, Giuseppe se laisse distraire par la musique de l'orgue et n'entend pas le prêtre lui demander les burettes. Il reçoit alors un coup de pied qui le fait rouler au bas des marches. Se relevant, blanc de colère, il crie au prêtre : "Que Dieu te foudroie". Et on raconte que, quinze ans plus tard, la foudre tomba sur une église voisine, tuant cinq personnes, dont un prêtre, qui était précisément celui qui avait donné un coup de pied au jeune Giuseppe.
Je crois en l'art comme en une religion, je crois qu'il y a quelque chose de sacré dans l'art et je veux qu'on le respecte.
Le poème
Il est seul sur le bord de la langue il attend
La beauté remonte l’âme comme une pendule
S’accorde au mouvement intime de la mer
Et tisse des émois avec des ombres et la lune
Son parcours est immense entre les eaux et
Le ciel se penche sur son épaule comme un ami
Chuchote et s’il ne comprend pas tous les mots
Il sait qu’ils se résument à un battement
De cil
UNE HACHE POUR LA MER GELÉE
de l'indispensable retour des ombres
Que ça casse crisse gerbe éclabousse déchire agace tranche
La gelée d'eau la lame de fer le jeu le chignon des orages
Voilà dès ce soir je reprends l'amère question qui déchire
La lune est là j'enrage noir j'ai l'âme arrachée j'interroge
La mer j'interroge le vent les hanches de la pluie l'horizon
Pourquoi pas au point où nous en sommes l'or sur l'épaule
Pourquoi passer par-dessus les oiseaux ou dans le sommeil
Je veux voir l'enfer des couleurs je veux en cendres l'autre
Qui dort parmi les roses ou les crachats qui coulent je veux
Entendre l'envers de l'eau qui enfle sous les seins saoulés
Quand la mort remonte l'escalier des veines il est temps de
Ce jeu amer au bout de la nuit intelligible quand les femmes
Se dénouent qu'elles avouent leurs cheveux lourds comme
Cette question avec laquelle on enlève leurs robes chaudes
Pour tenter de comprendre l'effarant intérieur des ombres
Où vont nos nuits perdues/et autres poèmes/Gallimard 2015/p.143
Ce qui s'appelle aimer, c'est à dire avoir le corps chaviré par un pas qui s'approche et qu'on reconnaît, sentir son corps se consumer ou fondre quand la main aimée vous frôle ou se pose sur votre épaule, perdre son souffle quand elle vous prend un sein, être suspendue à un regard, à un mot, ne plus vouloir attendre, n'être jamais assez belle pour celui qu'on aime, ne plus vouloir regarder le ciel, un arbre ou une rivière sans qu'il soit au centre de ce regard, n'avoir envie que de parler de lui et voir ses yeus s'illuminer quand, arraché aux voiles opaques du sommeil, il vous reconnaît.
Posé sur le prunier blanc de la maison
Un oiseau se parfume de vent Le ciel attend
Que la femme ouvre la porte de ses yeux
Elle ne se souvient de rien elle tremble
Elle cherche un linge fin pour effacer
Ses larmes d'amour
Une grenouille sort de l'eau
De l'indispensable retour des ombres
Quatre soleils dans le ciel c'est un silence une aile feu
Qui tremble l'or quand le chanvre des yeux fume sous
L'ample catastrophe les cheveux fous trempés d'effroi
On interroge son voisin l'orage aux doigts le vent bleu
Du ciel jeté dans les cheveux crêpés du froid qui roule
Coule des nuages et ronge déjà la peau déjà désagrège
Les pierres on déterre ses peurs sous la lumière atroce
On ne sait pas ce qui nous mange ce manteau ce vent
De feu qui nous aspire jusqu'aux quatre soleils on a là
Des oiseaux dans la bouche aux yeux l'intolérable l'eau
Monte dans la mémoire et les ombres même s'effacent
Sur les pierres sur l'encre du regard sur les chiens nus
Au milieu des ruines du ciel on marche dans une clarté
Effrayante le visage au bout des mains on voudrait tant
Le bleu du ciel un seul soleil et cet amour d'avant la fin