Alain Jégou, marin-poète, décédé en 2013, est raconté dans un spectacle qui nous fait naviguer dans le sillage d'
Alain Jégou, mené par le talent poétique de Philippe Dagorne et la grâce musicale de Mariannig Larch'hantec à la harpe celtique. Une bande annonce créée par l'association Décroche moi la lune de Quéven.
La mer est pleine de nos désirs inassouvis
nos aventures manquées
nos rêves d’enfance victimes
de la frilosité et du bon sens
nos chimères légères broyées par le temps
la raison assommante
et l’attrait du bonheur
confortable rassurant
payable à tempérament
en plusieurs traites
ou discrets versements.
Vivre
se mouvoir
avec la frustration au cœur
millions de regards
fascinés et envieux
assoiffés d’embruns
aujourd’hui égarés
loin les grèves et les quais
dans le smog et l’ennui
de petites vies passives
chétives et résignées.
Combien d’états primesautiers
réprimés dans l’œuf
évanouis engloutis
en les fonds rocheux ou vaseux
échoués sur l’onde rétive
usés oubliés blanchis par les vents
les houles et les marées.
Bleu Canaille
Bleu dans l’affranchi lisse et terne
Bleu dans l’irrigable obtus des fièvres
Et des rêves refoulés
Le verbe gominé
Bleu sur fond triste
Sur névrose de cœur
Et nécrose de pensées panées
A la neige d’âmes
Les mots beaux oubliés
Bric-à-brac pulpeux
Éparpillés
dans l’éther faste relooké
Bleu chabraque et charnu
Dégluti par les nues éperdues
Franchit les étapes
et émeut
Les filles dans leurs yeux bleu
Sapés de lumière et d’envies
Parer à toute éventualité
de chute libre
dans le coma bleuté des apparences
et traverser son propre corps
de se savoir robuste
cœur contre vie
les yeux encore gonflés
d’un rêve qui ne cesse d’émouvoir
le souffle perceptible de l’amour opiniâtre
les sens révulsés
se sentir
se respirer
se rejoindre
se parcourir
sans lassitude
s’offrir à l’autre corps qui
lèvres sur nos désirs
saura nous recevoir
A l’entrecroix des jambes
où le ventre respire
retrousse les babines
et salive d’envie
à l’abandon de soi
pour rejouer du bonheur
laisse glisser les doigts
sur le clavier de soie
au souffle des entrailles
haleté éperdu
vertige en cette entaille
qui renoue la tendresse
et le plaisir de vît
en le tréflé des fesses
Vents de noroît
à nous figer les sangs
corps glaçons prêts
à fondre
sous les languettes de sable
ensevelis rupins
dans le luxe câlin
des isthmes et des presqu’îles
mouvances des terre-pleins
à peine est-il installé
ce soir
accepté tel qu’il nous envoûte
qu’il me prend cette envie
de déchirer
ta chemise pour la nuit
d’humer à plein
ce parfum d’étoiles
qui te va si bien
dans l’émouvance
d’un ressac de ciel
à peine perceptible.
Yann avait trouvé sur ce bateau ce qu’il cherchait depuis des mois : donner enfin sens à sa vie et échapper au monde qui n’était plus le sien.
Le monde sombrait dans la démence et les humains pionçaient en toute inconscience.
Lorient – Keroman
Extrait 3
Il est trois heures. Le port s’ébroue de son silence et nippe ses néons de ses premières écailles. Sous la criée 3, les côtiers débarquent et étalent leurs caisses de poissons brillants et de langoustines excitées par le remue-ménage naissant.
Au ponton, les équipages gagnent leur bord. Les lampes des passerelles et les projecteurs de pont s’allument successivement. Les moteurs sont lancés, ronronnent et fument paresseusement. L’heure d’une nouvelle partance a sonné...
Au cul des navires…
Au cul des navires, en route vers l’horizon fuyant,
les premiers rayons clignotent et se liquéfient dans
le sillage des pales. Le soleil aime faire ses ablutions
dans le sillon tracé par les rafiots de pêche qui piaffent
et se démènent pour rattraper la nuit. Enervés comme
des purs sangs, soucieux de brouter la rosée sur le dos
de l’infini, ils soufflent et fument des naseaux dans la
fraicheur docile du jour à peine éclos.
Trou sud de Groix
Route frangée d’écume. Cahots et soubresauts. Destination floue en
l’atmosphère chagrine. Le vent bouscule et égratigne. Remake de rixe.
La mort bouillonne et dispose ses hordes sur le champ de bataille fraîchement
retourné. Prémices de sévère baston. Combien d’implacables dépressions se
cachent derrière la face pâlotte du soleil ? Attendent l’instant propice pour se
manifester et prendre par la force son pouvoir déclinant ?
Piochant du bec et agitant leurs ailes dans l’eau râleuse, les goélands sentent
monter la folie et prédisent le tumulte à ceux qui connaissent leurs gestes et
leurs habitudes. Le rite est immuable. Le langage explicite. L’avertissement
plus fiable que toutes les prévisions et cartes satellites.