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Citation de jecogite


Partie 7

Tout en sautant, le mignon petit chien récite à toute allure essoufflée un petit poème pour être félicité. Quand il a fini, il s'accroche à la jupe de sa maman et il la regarde avec passion, attendant un baiser et des compliments, mais elle lui répond en anglais qu'elle est occupée, Mother is busy dear, et elle ne le regarde même pas tant elle écoute les médisances de la tricotante sauterelle, alors le petit chien se remet à sauter et redit son poème cependant que, tout près de lui et mourant de jalousie, un petit tatou improvise à son tour un poème pour sa tante. À mon enterrement il y a aussi, bien sûr, des nez juifs qui circulent sur de petites pattes, une naine Nanine qui fait des entrechats, entourée de sept petits chats, un lapin célibataire qui récite une prière, un faon infant mélancolique, des poussins en satin avec des hauts-de-forme trop petits, qui discutent debout dans un autocar miniature, c'est la bande des rabbins, le poussin le plus saint en triple satin servant de grand rabbin. Je continue ?
— Oui, dit-elle sans le regarder.
— Il y a encore un pékinois qui pour se faire respecter dit de temps en temps Il est incontestable ou encore Je présume, et puis il y a un castor qui creuse le trou pour mon coeur, mon coeur coupable d'ardeur, et puis il y a un koala en chapeau tyrolien qui lit mon oraison funèbre et s'embrouille, et puis il y a ma petite chatte Timie en voiles de veuve qui se mouche de chagrin coquin, mais ses voiles se prennent aux piquants d'un hérisson très sérieux que je connus dans le canton de Vaud et qui pleure sincèrement tandis que ma petite chatte débarrassée de ses voiles s'est installée sur une tombe herbue et fait studieusement sa toilette au soleil, s'arrêtant subitement pour contempler des poneys nains emplumés enturbannés qui, pour solennellement célébrer, croient devoir gratter la terre avec leurs sabots de devant puis se dresser sur leurs sabots d'arrière. Il y a encore un petit singe en toque de velours qui joue une polka sur un accordéon pour faire l'orgue cependant qu'un chaton fou, ne comprenant rien à ce qui se passe, fait le cheval arabe pour être admiré, est un cheval très méchant, charge courageusement n'importe qui n'importe où, oreilles guerrières, panache au derrière, et croit être la terreur des canetons qui échangent des bonbons avec des fous rires. Voilà, c'est le cortège funéraire de mon coeur qu'on enterre, c'est charmant, ravissant, très réussi. Maintenant mon cœur est enterré, il n'est plus avec moi. Le cimetière est désert et tous sont partis, sauf une mouche qui se savonne les pattes de devant sur ma tombe, d'un air satisfait, et moi debout, tout vide et pâle. À quoi pensez-vous?
— Comment est le poème du petit chien ? demanda t-elle après l'avoir regardé en silence.
— Petit cien a dit à sa mamette Quand serai grand. Je défendrai le roi Aux pattes un galon d'or En tête du
satin Aux dents une pipette Pour tirer des bouffées Et le bon roi dira Trois petits os Trois petits pains Pour
le vaillant petit cien. Oui, il a un défaut de prononciation, expliqua-t-il avec sérieux, il ne sait pas dire chien, il dit cien, il ne sait pas dire je, il dit ie. Et comment est le poème du petit tatou?
— Titatou a dit à sa tante Tâte tantine sous mon veston Car j'ai mangé une bardoine Et j'ai bien mal jusqu'au menton.
— C'est une chatte pour de vrai, la petite chatte Timie?
— Oui, pour de vrai, mais elle est morte. C'était pour elle que j'avais loué la villa de Bellevue, parce qu'elle n'était pas heureuse ici, au Ritz. Oui, une villa rien que pour elle, pour lui donner des arbres où grimper, où se faire les griffes, une prairie avec de bonnes odeurs de nature, où bondir, où chasser. J'avais fait meubler le salon pour elle avec un canapé, des fauteuils, un tapis persan. Je l'aimais, petite bourgeoise à habitudes et conforts, capitaliste en son fauteuil, mais aussi anarchiste qui détestait obéir quand je lui disais de rester couchée, ange kleptomane, petite tête sérieuse même quand elle folâtrait, usine à ronrons, petite bonne femme joufflue et foufflue, silencieuse damette aux moustaches, paix et douceur devant le feu, soudain si lointaine et digne, légendaire.
« Timie avec qui je pouvais sans inconvénient être tendre et absurde et adolescent, Timie ma mousseuse,
tête soudain plus menue quand ça lui chantait de faire du sentiment, yeux qui se fermaient de complicité tendre, yeux mi-clos extasiés parce que pour la centième fois je lui disais qu'elle était gentille, Timie ébouriffée rêvant au soleil, donnant son petit nez au soleil, trouvant belle la vie, la petite vie sous le soleil, ô ses chers yeux vides. Timie si studieuse lorsqu'elle faisait, soudain inspirée, sa toilette au soleil et qu'elle léchait sa cuissette d'arrière relevée avec des gestes de joueur de contrebasse, s'arrêtant subitement pour me regarder avec un intérêt ahuri, cherchant à comprendre, ou pour réfléchir, distraite, petit penseur avachi par le soleil qui tapait. Quand je revenais de chez les hommes, c'était un petit bonheur, loin de ces singes méchants en vestons noirs et pantalons rayés, de la retrouver, si prête à me suivre, à avoir foi en moi, à carder mes genoux, à me faire des grâces avec sa tête impassible qui se frottait contre ma main, petite tête qui ne pensait jamais de mal de moi, ma chérie pas du tout antisémite.
« Elle comprenait plus de vingt mots. Elle comprenait sortir, attention méchant chien, manger, pâtée poisson, bon petit foie, fais gracieuse, dis bonjour — qu'il fallait prononcer dibouzou et alors elle frottait sa tête contre ma main pour me dire bonjour. Elle comprenait mouche, et ce mot s'appliquait à toute la gent ailée, et alors comme ma chasseresse se précipitait à la fenêtre dans l'espoir d'une proie. Elle comprenait vilaine, mais alors elle n'était pas d'accord et protestait. Elle comprenait tiens et viens. Elle ne venait pas toujours, mon indépendante, quand je lui disais viens. Mais comme elle accourait, aimable, empressée, première vendeuse de grand couturier, si je lui disais tiens. Quand je lui disais tu me fais de la peine elle miaulait en tragédienne. Quand je lui disais tout est fini entre nous, elle allait sous le divan et souffrait. Mais je la repêchais avec une canne et je la consolais. Alors elle me donnait un baiser de chat, un seul coup de langue rêche sur la main et on ronronnait ensemble, elle et moi.
« La pauvrette restait seule toute la journée dans la grande villa. Sa seule compagnie était la femme du jardinier qui venait le matin et le soir lui préparer ses repas. Alors, quand elle s'ennuyait trop et se languissait de moi, elle faisait une sottise comme d'entailler à coups de griffes la Bible posée sur la table du salon. C'était une petite opération cabalistique, une incantation, un sortilège pour me faire magiquement surgir, pour évoquer l'ami indispensable. Dans cette petite cervelle, il y avait cette idée : quand je fais quelque chose de mal, il me gronde et par conséquent il est là. Ce n'était pas plus absurde que de prier.
« Quand je venais la voir le soir après la sous-bouffonnerie, quels bonds à travers le corridor dès qu'elle entendait la merveille de la clef dans la serrure, et alors c'était une petite scène conjugale. J'ai souffert, disaient ses pathétiques miaulements de contralto, tu me laisses trop seule et ce n'est pas une vie. Alors, j'ouvrais le frigidaire et j'en sortais du foie cru, je le découpais avec des ciseaux et tout allait bien de nouveau. Idylle. J'étais pardonné. La queue vibrante d'impatience et de bonheur, elle fabriquait des ronrons premier choix, frottait sa frimousse contre ma jambe pour me faire savoir combien elle m'aimait et me trouvait charmant de découper du foie. Lorsque le foie était prêt dans la soucoupe, j'aimais ne pas le lui donner tout de suite. Je me promenais à travers le hall et le salon avec des méandres, et elle me suivait partout en grande fête, avec une démarche de marquise, cérémonieusement, enfant modèle et grande maîtresse de la cour, habillée soudain de gala, son noble panache frémissant et dressé, me suivait à pas mignons feutrés, si empressée en son menuet charmant, légère de convoitise et d'amitié, les yeux levés vers la sainte soucoupe, si fidèle et dévouée et prête à aller au bout du monde avec moi. Mon cher petit faux bonheur, ma chatte.
« Lorsque j'arrivais, si elle était dehors, à l'autre bout de la prairie, dès qu'elle m'apercevait de loin, cette course folle, cette trajectoire de petit bolide le long de la pente, et c'était de l'amour. Arrivée, elle s'arrêtait net devant moi, adoptait une attitude de dignité, faisait lentement le tour de l'ami, majestueuse, si coquette et impassible, le somptueux panache glorieusement dressé de bonheur. Au deuxième tour, elle se rapprochait, incurvait sa queue contre mes bottes, levait les yeux pour me regarder, faisait le gros dos et la charmante puis ouvrait sa petite gueule rose en délicate supplique pour demander sa pâtée.
« Le petit repas terminé, elle allait au salon faire sa sieste, s'installait sur le meilleur fauteuil, le plus griffé, et elle s'endormait, une douce patte velue contre ses yeux fermés pour mieux les protéger de la lumière. Mais soudain les oreilles de Timie endormie se dressaient, se dirigeaient vers la fenêtre et quelque bruit important du dehors. Alors, elle se levait, passant brusquement du sommeil à une attention passionnée, effrayante et belle, concentrée vers le bruit captivant, puis s'élançait. Sur le rebord de la fenêtre, devant les barreaux, elle restait un moment figée, pathétique d'intérêt, les yeux fixés sur une proie invisible, poussant de légers appels de désir félin, saccadés, plaintifs. Enfin, après les ondulations préparatoires et les déhanchements de prise d'élan, elle bondissait à travers les barreaux. Elle était en chasse.
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