Chasse à l'éléphant, 1947, A.E.F
A propos de ce puits d'Ayoub, je raconterai ici la légende de la naissance du ver à soie en Ouzbékistan. Ayoub que nous appelons Job dans l’Écriture Sainte, pauvre comme seul pouvait l'être Job, gisait dans son lit de douleurs, accablé de maux. Son corps n'était qu'une plaie suppurante, mais jamais Ayoub ne se plaignait, jamais il n'avait un mot de colère contre le Créateur, et il attendait la mort comme une délivrance, offrant toutes ses souffrances à Dieu. Un jour, sa femme souhaitant le soulager prit un des nombreux vers qui grouillaient dans son corps épuisé et le jeta avec dégoût. Job trouva assez de force pour sermonner son épouse ; les vers qui le rongeaient étaient des créatures de Dieu qu'il ne fallait pas détruire, le Seigneur seul savait ce qu'il faisait. Son épouse, soumise, remit le ver où elle l'avait pris. Dieu fut ému de tant de soumission et fit jaillir du sol, à côté du grabataire, une source miraculeuse qui guérit instantanément toutes les plaies de l'infirme. Quant aux vers, ils quittèrent en bon ordre le corps parfaitement sain d'Ayoub et s'installèrent sur les muriers voisins où ils commencèrent à enrouler leurs cocons. La soie était née.
Sur la place du Reghistan, on nous fit remarquer avec orgueil que le minaret de gauche de la médressée d'Ouloug Beg venait d'être remis d'aplomb et ne risquait plus de s'effondrer. Cette réparation était un succès étonnant de la technique : au bout de cinq années de patients et minutieux travaux préparatifs, le minaret avait été redressé en une nuit ! Auparavant il y avait un très dangereux écart de plusieurs mètres entre le niveau supérieur et la base. Il est vrai que la tour de Pise penche depuis des siècles ! Les minarets et les dômes de la médressée des lions, Chyr Dor, étaient débarrassés de leurs échafaudages, et les briques vernissées, turquoise, vert et bleu, brillaient admirablement au soleil. La dernière université coranique, qui complète cet ensemble en fer à cheval si harmonieux, la médressée des Ors, Tilla Kari du XVIIe siècle nous sembla plus belle que jamais. Je songeais en moi-même à ce que devait représenter cette médressée lorsque toutes les chambrettes d'étudiants étaient occupées, avec cet aspect de ruche que donnent toutes les ouvertures des cellules monacales !
L'activité de ce mois d'avril n'était pas la plus photogénique mais elle était pour nous l'une des plus curieuses et des plus intéressantes à enregistrer. On lavait les terres, c'est-à-dire que les innombrables canaux d'irrigation apportaient l'eau de l'Amou-Daria, toujours boueuse à cette époque, en la dirigeant vers des rectangles proprement découpés et nivelés où la terre, naturellement salée, devait subir un traitement de lavage avant de pouvoir être utilisée. Chafkat nous précisa que nous nous trouvions à sept mètre au dessous du niveau de la mer, tout près de la mer d'Aral, et que cette opération était nécessaire chaque fois que l'on mettait en exploitation des terres nouvelles. Cette terre salée, que nous devions filmer aussi dans la région de Boukhara, couvrait le sol à l'état vierge et montrait que la mise en valeur de ces régions avait posé de graves problèmes. Il y a un siècle tous ces terrains étaient jugés inexploitables par les spécialistes.
Dès les premières conversations avec nos guides locaux, nous devions apprendre qu'en France nous nous faisions des illusions sur l'une des ressources de la ville : les fameux tapis de Boukhara n'ont jamais été fabriqués dans cette ville mais dans l'actuel Turkmenistan ; Boukhara, comme Astrakhan, n'était qu'un marché, mais au croisement des routes de l'Occident et de l'Orient, la ville avait donné son nom à un produit qui ne faisait que transiter.
L'okapi attrape facilement des infections quand il s'écorche dans sa cage, en captivité, mais il est très facile à soigner, car il adore être propre. Il n'y a qu'à lui jeter sur la peau une solution de sulfamides dans de la vaseline ; il se lèche immédiatement et avale ainsi son remède ! (p.115)
Comme il serait agréable de faire des films de chasse sans chasse !... Je crois d'ailleurs que j'y arriverai un jour. Mais aurai-je la force de mépriser la viande, quand j'aurai le ventre creux ? C'est une autre affaire...(p.107)