Citations de Alexandre des Isnards (40)
Accessible (tutoiement), ouvert (open-space), le nouveau management joue sur un registre plus intime, plus participatif. De l'extérieur; cela donne envie. De l'intérieur, on se rend compte que rien n'a changé : sur fond d'imposture, d'attaques personnelles et de dictature du bonheur, les rapports sont violents et les hiérarchies bien présentes.
S'épanouir dans son boulot...Bel objectif. C'est vrai. Mais si on n'y arrive pas, on veut juste ne pas être forcé de le faire croire.
L'open space ressemble à un petit village où les petits vieux observent ce qui se passent à travers des persiennes. Les petits vieux, ce sont les Vincent, Guillaume, Sonia and Co, des consultants ni langue de pute ni délateurs, mais des personnes qui jugent. Tout le monde surveille tout le monde. Tout le monde s'entend, se voit, s'épie. Des bruits de couloir, des rumeurs, des réputations se construisent peu à peu.
En open space, les salariés sont mis en concurrence. Par le regard, ils se régulent les uns les autres. Mais de petites solidarités locales viennent casser le jeu de la concurrence pure et parfaite. Les camaraderie endorment la surveillance entre voisins et ça se relâche. Alors, pour réintroduire de l'émulation saine, on brasse, on ventile, on redistribue les cartes par un déménagement interne.
Yann, chargé d'évaluer Giovanni, préremplit les cases avant l'entretien. "Sur quoi j'oriente l'entretien? A la réunion de branding, je n'ai pas obtenu de budget pour lui filer une prime. Il faut bien que je trouve un point à améliorer chez lui..."
En parcourant la grille, Yann trouve une pépite dans la partie 5, consacrée à l'attention aux autres: "accepte d'étudier d'autres arguments que les siens sans se braquer".
"Voilà un élément qu'il est bon! Je l'ai vu se braquer, il y a un mois, en plein open space, avec Erika. Je vais lui coller 1 sur 6 à cet item et axer l'entretien là-dessus."
A longueur de journée, les open space résonnent de : "Il faut y aller ! Il faut mettre le paquet !", "Va falloir se booster !", "On va les déchirer !", "On va être les meilleurs !".
Ouais, c'est ça ! Allons-y ! Jusqu'ici, nous voulions tous être médiocres. On est vraiment cons. Merci,Seigneur, de nous avoir apporté l'énergie et la lumière qui nous manquaient.
Downsizing : On ne dit plus "réduction des effectifs", on dit Downsizing . Certains, mal élevés ou gauchistes, s'obstinent à utiliser le mot "licenciement".
Très important. Solliciter l’acceptation de l’évalué pour qu’il soit responsable de ses objectifs.
Impossible de critiquer dans l’open space sans passer pour des syndicalistes ou des révolutionnaires : c’est la dictature de la positive attitude.
Fin de journée, c'est parti pour le ballet des contorsionnistes. On commence à s'observer pour voir qui sort le premier. C'est normal de partir. Mais quand ? Un cadre ne compte pas ses heures.
"Oui, mais le stress est nécessaire à la performance. Il y a du bon stress."
Ah oui, super! La belle idée reçue! Le "stress positif", parlons-en!
Pour que coule la bonne adrénaline, il faut un enjeu positif: relever un défi en équipe, remporter une compétition où chacun trouve son compte... Mais quand c'est de la pression absurde, qu'on est isolé sur un projet sans emprise, ça provoque des situations de détresse.
Julien a eu un malaise vagal, ça fait partie du métier. Sonia passe son temps à s'arracher des bouts de peau sur les doigts, ce n'est rien. David se gratte ses sourcils rongés par l'eczéma, pas de quoi appeler l'inspection du travail. Stéphane grince des dents comme un hamster et vient de faire un ulcère, c'est déjà plus lourd. Un cadre d'IBM se noie dans sa baignoire... Bon, j'arrête.
Non, vraiment, il y a des limites au stress "positif".
Je m'énerve pas, Madeleine, j'explique!
Les dirigeants peuvent bien pester contre cette génération qui a perdu la valeur travail et ne pensent qu’à leur vie privée, ils oublient juste une chose ; cette attitude n’est pas une cause mais une conséquence.
La comédie humaine a toujours existé au sein de l’entreprise. Vous y trouverez les affairés et ceux qui font semble de l’être.
Chez les consultants, on n'a pas le droit de se plaindre dans l'incertitude, surtout dans l'incertitude. L'inconfort, l'instabilité font partie du jeu. Un bon consultant doit savoir importer son stress, exporter son enthousiasme et vivre sereinement cette belle aventure pleine de rebondissements et de projets flexibles.
C'est rageant car les boîtes mises toujours sur les même profils. Dans le conseil, le genre à l'aise mais pas grande gueule. Dans la pub, le décalé alternant vannes et coups de gueule. Dans la com, le « pro » toujours « charrette ». Dans le marketing, l'enjoué malgré le stress...
Affirmez-vous...pour mieux rentrer dans le moule.
Dans Huis clos, les personnages sont condamnés à « vivre les yeux ouverts ». En open space, les consultants doivent « vivre à visage et écran ouverts ». Tout le monde peut passer vérifier si vous êtes heureux, si vous dormez, soupirez, riez... « Détection de sourire », comme dit la pub pour Canon. Smileys sur son MSN. « Put a smile on your face and you ass on facebook. » Les moins adaptés au jeu du je-t'observe-mais-ne-te-juge-pas-mais-en-fait-si-je te-juge sont vite repérés.
Affirmez-vous ...pour mieux rentrer dans le moule.
Dans l'open space, on appelle Mathieu la "boite à idées". Mais la boîte à idées, pour se nourrir, surfe souvent sur des sites qui n'ont rien à voir avec son travail. Il doit alors mettre "inoccupé" sur le timesheet, car cela ne correspond à aucune tâche mesurable.
Or, pour trouver une bonne idée, il faut parfois sortir la tête du guidon, s'ouvrir l'esprit, ne rien faire de précis - bref, avoir un peu de liberté. Celle de Mathieu est fractionnée en huitièmes de journée. Et ses idées s'appauvrissent. Mais sa boite s'en moque. Un travail qui n'est pas quantifiable n'est pas facturable au client. Donc inutile.
Alors oui, les cadres sont autonomes, mais comme des détenus en liberté surveillée, un timesheet en guise de bracelet électronique.
On organise des jeux en équipe pour essayer de souder les équipes et tout cela se termine par des récompenses...individuelles.
"Tu m'la fais courte, ste plaît?" Essayez de faire ca si vous êtes un consultant junior!