Sorti en 1986 au Japon, "Le château dans le ciel" est inspiré des "Voyages de Gulliver". Une île mystérieuse flotte dans le ciel, où la nature semble avoir repris le dessus. Elle est convoitée par les hommes qui y voient une gigantesque arme de guerre... Miyazaki poursuit sa réflexion sur la technologie et ses conséquences sur l'équilibre entre l'homme et la nature. La technique est-elle le poison, le remède, ou les deux à la fois ?
Dans ce huitième épisode, Adèle van Reeth reçoit Alexandre Mathis, critique de cinéma.
"Philosopher avec Miyazaki", c'est une série de podcasts en huit épisodes qui revisite huit films du génial Hayao Miyazaki. Vent, enfants, personnages étranges, nature, animaux, machines, guerre... Chacune de ses oeuvres offre de multiples niveaux de lecture et renferme de grandes notions philosophiques.
Pour en savoir plus : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-philosopher-avec-miyazaki
Découvrez aussi notre vidéo sur ce génie de l'animation : https://youtu.be/sFGMoBpO2S4?si=W26ErDQByCq3FU7a
#miyazaki #anime #philosophie
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L’avenir n’existe pas. L’avenir est néant. Seul le présent existe. Toujours vécu au jour le jour. Sans prévoir. […] Le passé existe. A partir du passé que se font les livres, les films… pas sur l’avenir ! Pas d’avenir sans passé. Sans mémoire. Je ne regarde pas en arrière. Je me fiche de mon passé, dont je me passerais bien. Si on pouvait tout effacer ! On doit faire avec. Le refuge est le présent. Comme si j’étais en équilibre à haute altitude sur un emplacement où il y a juste la place pour poser les pieds, avec le brouillard partout en dessous.
Je me présente en défoncé à mes heures, comme on endosse un habit, surtout pas en malade. Curieux état intermédiaire. Comment sortir de ça ?...
Autant poser une nouvelle fois la question comment sortir de soi. Si je sors de moi, je n'existe plus... bien que des dragées psychédéliques procurent la sensation de se sortir de soi, tout en continuant d'exister.
Je n'aime pas trop ce que je suis, je balaie cela. Je dois être devant une sorte de représentation, permanente. En me retrouvant seul, ça doit bloquer. Comment fuir tout ça, sinon qu'en fuyant davantage. Le navire ivre doit poursuivre son périple, sans faire escale. Tout reste secret.
Je déprime à mort.
Chihiro, assise dans un train, voit le paysage défiler. Elle est accompagnée du Sans-Visage, de Bô et de Kashira. Le train roule sur l’eau. Il ne se passe rien. Pourtant, cette scène a marqué toute une génération. Elle résume Chihiro, Miyazaki et, par extension, Ghibli. Car cet instant suspendu dit tout : le périple d’une jeune fille qui s’émancipe et la beauté d’une nature magique remplie d’esprits. Le studio ne survivra peut-être pas, ou difficilement, à la retraite prochaine de Miyazaki et à la disparition de Takahata. Le futur de l’animation au Japon se passera peut-être ailleurs. Mais une chose est sûre : Chihiro restera à jamais la petite fille craintive devenue courageuse, qui a accompagné des millions de petits et de grands dans un voyage qui, lui, est éternel.
Le nubarène peut être un philtre d'amour, qui se prolonge au-delà de l'effet. Comme la sensation du poing dans la gueule, trouvant une réalité après coup. Ce qui est arrivé peut perdurer.
De manière transversale, deux éléments récurrents portent ces questionnements sur l’enracinement et le déracinement. Le premier est le mariage. De Pocahontas et Rolfe à Marina et Neil en passant par Abby et le fermier, ces unions forgent un enracinement. En s’engageant, les amants attestent devant une communauté leur envie de s’épanouir en son sein. Or, tous ces mariages sont forcés. Neil hésite à s’engager et quand il accepte enfin, quelque chose s’est déjà brisé dans son couple. Le mariage d’Abby est, quant à lui, un pur mensonge. Seul celui de Pocahontas, au départ accepté par pur besoin social, s’épanouit en un amour véritable, certes moins idéal que ses émois avec Smith. Ce qui forme le ciment du couple aux yeux de la loi et de la religion ne s’accorde pas avec une véritable plénitude amoureuse pour les personnages de Malick. À un moment ou à un autre, l’un d’eux finit par prendre le large.
Et c’est un second élément – encore plus récurrent – qui atteste du déracinement des personnages: le départ qui clôt l’histoire. À la Merveille s’achève donc sur une séparation, avec le départ définitif de Marina. C’est aussi le cas du Nouveau Monde, où Rolfe retourne sur les terres américaines avec son fils alors que sa femme est morte. Toujours sur mer, les soldats de La Ligne rouge quittent le front et rentrent au bercail. Dans Les Moissons du ciel, la petite Linda s’échappe d’un orphelinat avec une amie et part on ne sait où le long d’un chemin de fer. La fuite criminelle du couple de La Balade sauvage prend fin à bord d’un avion, alors que les amoureux sont cernés par des policiers. Holly, en voix off, nous apprend que Kit sera condamné à mort et qu’elle s’en tirera, de son côté, avec quelques mois de prison. En ce sens, ils ont été physiquement déracinés du sol, eux qui étaient restés jusque-là dans un rapport horizontal à l’espace. Dans The Tree of Life enfin, les ultimes souvenirs de Jack sont ceux où il déménage et quitte son quartier.
À eux seuls, ces deux éléments résument l’attachement de Malick à un espace chéri par les personnages. L’épanouissement se fait chez soi, proche des siens. Quitter sa terre, se faire renier par ses pairs, c’est déjà un peu mourir, ou du moins ne plus pouvoir grandir et s’élever. Souvent, Malick accompagne ces adieux déchirants d’une musique funèbre, comme pour pleurer l’échec d’une mixité sociale rêvée. Si l’Amérique est une terre de promesses dans ses six films, c’est précisément parce qu’elle comporte la promesse d’une plénitude, d’un enracinement et d’un épanouissement. Ce n’est pas toujours le même continent qui est douloureux à quitter selon les personnages, mais Malick démontre que chacun trouve une terre promise au pied de l’arbre qui l’a vu grandir.
Rien n’est jamais refermé sur lui-même chez Terrence Malick. Sans extrapoler outre mesure, on se rend compte que cela tient à toute une culture dont il a hérité. Profondément américain, il façonne les mythes et les remet au goût du jour : la conquête du territoire, le questionnement de la violence, les valeurs religieuses, les traumatismes des tueries des Amérindiens et de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi toute une culture artistique, des luministes aux grands cinéastes classiques. La fin du monde se télescope avec l’image religieuse des Enfers, l’amour éphémère avec le jardin d’Éden.
Mais comme l’Amérique, qui puise ses racines dans la vieille Europe, le cinéma de Malick ne cesse de faire l’aller-retour entre ces deux continents : les philosophies allemandes et anglaises, le territoire français, ses souvenirs parisiens, la grande musique symphonique, de Wagner à Górecki. Et puis, devant le statut à part que lui confèrent les Américains (pas vraiment une figure du Nouvel Hollywood, cinéaste très marqué par le classicisme, manque de succès populaire), des critiques le disent européen, donnant à ce terme un sens cérébral.
Seulement, c’est toute une branche du cinéma états-unien qui utilise Malick comme figure de proue. Benh Zetlin (Les Bêtes du sud sauvage), David Gordon Green (L’Autre Rive, George Washington), John Hillcoat (La Route, Des hommes sans loi), Andrew Dominik (L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) ou Jeff Nichols (Take Shelter, Mud) revendiquent plus ou moins directement cette filiation. Dans les bonus de The Tree of Life, David Fincher et Chistopher Nolan attestent également de leur admiration pour le réalisateur. Entre le pan hollywoodien et le cinéma new-yorkais, une troisième voie s’est fondée, au Texas, sous l’impulsion de Richard Linklater et du festival South By Southwest basé à Austin. Là-bas s’y développe le cinéma indépendant américain le plus vivace, le plus créatif. Là encore, tel un mystérieux parrain, Malick est dans toutes les têtes, mais il n’apparaît pas de manière officielle. Reste qu’il déambule souvent là-bas, qu’il tourne même avec Rooney Mara et Val Kilmer. La voilà sa réussite, être au centre des attentions tout en restant à l’écart. Quitte à rester caché à Cannes et à ne récupérer sa Palme d’or que le lendemain. Il est un moine réalisateur : grand penseur à la parole de sage, mais en dehors du siècle, au risque d’alimenter les fantasmes.
Imaginer le cadre de vie de Terrence Malick relève de l’exploit. Réalisateur le plus secret depuis Stanley Kubrick, le Texan n’a cessé de fuir les projecteurs durant ses quarante ans de carrière. Dès lors, difficile d’espérer aller puiser dans sa vie médiatique pour le comprendre. Sa plus belle évocation intime reste ses films. Parce qu’il dédie À la Merveille à sa femme, qu’il laisse y entrevoir un aspect de sa vie passée à Paris, parce qu’il se livre sur son enfance dans The Tree of Life, qu’il utilise ses souvenirs de saisonnier dans les champs pour réaliser Les Moissons du ciel, mais surtout parce qu’il raconte sa terre, son pays et les croyances qui le traversent.
Travailler sur l’Amérique, c’est forcément revenir au culte de la terre promise, d’un monde nouveau aux mille espoirs : cette terre où les colons européens ont débarqué, chassé les Amérindiens, conquis les Appalaches et fondé leur morale sur les bases du protestantisme et de la propriété privée. À partir de ce rapport au territoire, à la glaise, au sol que foule l’homme, Malick élabore un jeu sur les espaces (géographiques, visuels, sonores) à la fois unique et très référencé. Le sacré, dans sa définition la plus large, fait lui aussi partie intégrante à la fois de la mentalité américaine et du cinéma de Malick.
La critique a parfois eu du mal à appréhender ce personnage. Elle lui a toujours accordé une sorte de respect froid et la reconnaissance de son talent, sans pour autant le porter aux nues. Un temps perçu comme une figure du Nouvel Hollywood, il est devenu une sorte d’icône en disparaissant de la circulation. Mais si des magazines comme Positif ont toujours suivi de près sa carrière, le cas Malick a l’air d’embarrasser tant il ne rentre pas dans les cases. Avec sa Palme d’or en 2011 pour The Tree of Life, le succès semblait à nouveau au rendez-vous, avant l’étrange retour de bâton qu’a suscité son film suivant, À la Merveille. Son cinéma est complexe, à la fois immédiatement reconnaissable et difficile à résumer. Il y a une « forme Malick », un type de cadre, un ton, un lyrisme qui lui est propre. Mais, comme chez ses compatriotes Mark Twain ou Georges Stevens, Terrence Malick plonge ses histoires au cœur de thématiques américaines classiques. Chacune de ses six réalisations en atteste.
Lune de sang Le film était commencé
Nuit du 4 au 5 avril 1958. Villejuif, banlieue sud de Paris. Route de Fontainebleau.
Au milieu de la nuit, après la rue Pascal et la bretelle du boulevard Maxime-Gorki partant vers Paris, une traction avant, phares jaunes allumés, s’arrête devant la pompe d’une station service Esso, située 58, avenue de Stalingrad. Le conducteur arrête le moteur. Au-dessus, la pleine lune s’est élevée, haut dans le ciel. Elle diffuse une luminosité blafarde, éclairant la nuit. Cercle parfait, blancheur polaire, laissant imaginer des mers gelées. Incandescence d’un globe d’airain chauffé à blanc… Astre au halo glacial… Sa clarté immobile inonde la carrosserie de la traction, brillant dans l’obscurité comme un diamant noir. Le conducteur klaxonne
Place Blanche. La Dauphine rétrograde bruyamment pour ralentir, s’arrêter juste avant le cinéma Moulin Rouge. Les ailes du moulin, au-dessus du cinéma, qui a perdu sa couleur vive dans la pénombre, ont cessé de tourner. Un camion Publidécor, flancs chargés de panneaux de films de dimensions diverses, stationne devant le cinéma. Le panneau géant du film projeté à partir du lendemain est hissé sur la partie vitrée au-dessus des larges marches du cinéma, couvertes d’un tapis rouge, visible le jour, du boulevard, à travers les portes vitrées, closes. Le moteur de la Dauphine arrêtée, phares allumés, en double file, continue de tourner, à hauteur du camion de Publidécor.
Une jeune fille, sanglée dans un imperméable en plastique transparent, laissant paraître les formes, la teinte des vêtements dessous, remonte, d’un pas lent, comme Isabel Corey dans Bob le flambeur, le trottoir entre la Pharmacie de la place Pigalle et l’entrée des Naturistes, regard tourné vers l’homme sorti de la Dauphine. Elle a réussi à lui faire tourner la tête. L’homme, un grand gaillard d’1 m 80, dévisage la blonde décolorée, chevelure ébouriffée, mâchant du chewing-gum. Leurs regards se croisent. Insistant. Il ne l’avait jamais vue, celle-là. Sans doute une nouvelle.