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Citation de GabySensei


J'avais pour présenter les tripaillons chinois, reconstitué le chou mythologique d'où nous venons tous, ce légume génératif que l'on ne trouve pas dans les jardins. A l'aide de feuilles de chou vert j'avais recréé un nid, et en son cœur, bien serré, j'avais mis la tripe rouge, trachée en l'air, disposée comme elle est quand elle est dedans. Je l'avais préservé de la découpe car sa forme intacte en était tout le sel.

J'avais fait frire les crêtes de coq, juste un peu, et cela les avait regonflées et avait fait jaillir leur rouge. Je les servis ainsi, brûlante et turgescentes, sur un plat noir qui offrait un terrible contraste, un plat lisse où elles glissaient, frémissaient, bougeait encore.

"Prenez-les avec des baguettes, des pincettes allais-je dire, et trempez-les dans cette sauce jaune. Mais attention, ce jaune-là est chargé de capsaïne, bourré de piment, teinté de curcuma. Vous pouvez aussi choisir celle-là si elle vous convient mieux. Elle est verte couleur tendre, mais tout aussi forte. Je l'ai chargée d'oignon, d'ail et de radis asiatique. La précédente ravage la bouche, celle-ci ravage le nez. Choisissez; mais dès que vous essayez il est trop tard."

Les crêtes frites dont je n'avais pas épongé l'huile glissaient vraiment trop dans le plat noir; un mouvement brusque au moment de les poser en fit déraper une qui jaillit comme d'un tremplin et heurta la main d'un convive, il gémit, la retira vivement, mais ne dit rien. Je continuai.

Je n'avais pas coupé le boudin et ne l'avait pas trop cuit plus non plus. Je l'avais enroulé en spirale dans un grand plat hémisphérique, et juste parsemé de curry jaune et de gingembre en poudre, qui à la chaleur dégageaient leur parfum piquant.

Enfin je plaçai au centre les têtes tranchées, les têtes de moutons laissées intactes posées sur un plat surélevé, disposés sur un lit de salade émincée, chacune regardant dans une direction différente, les yeux en l'air et la langue sortie, comme une parodie de ces trois singes qui ne voient rien, n'entendent rien, ne disent rien. Ces cons.

"Voila", dis-je.
Il y eut un silence, l'odeur envahissait la pièce. S'ils n'avaient pas tous ressenti ce sentiment d'irréalité, nos convives auraient pu être incommodés.
"Mais c'est dégueulasse!" dit l'un deux d'une voix de fausset. [...] Je me souviens de la musique exacte de ce mot qu'il prononça pour dire son malaise: le d comme un hoquet, le a long, et le sse traînant comme un bruit d'atterrissage sur le ventre. La musique de ce mot, je m'en souviens bien plus que de son visage car il avait prononcé "dégueulasse" comme dans un film des années cinquante, lorsque c'était le mot le plus violent que l'on pouvait se permettre en public. [...]

Je les servis à la main car aucun outil ne peut convenir, seule la main, et surtout nue. J'ouvris de mes doigts le chou génératif, empoignai la tripaille luisante, en rompt les cœurs, les rates, désagrégeai les foies, ouvris d'un pouce bien rouge les trachées, les larynx, les côlons pour rassurer mes hôtes quant au degré de cuisson: pour de telles viandes seule une flamme modérée peut convenir, la flamme doit être une caresse, un effleurement coloré, et l'intérieur elle doit saigner encore.
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