La misère de la population d'Aïn-Tabia dans ces années 40 est-elle aussi grande que nous la décrit Gaston Revel ? Ce douar est-il un cas à part ?
En juin 1939, Albert Camus, qui travaille pour le journal Alger républicain, entreprend un reportage en Kabylie. "De ce pays inconnu, Camus parlera au retour, encore bouleversé par ce qu'il a vu, comme s'il revenait d'une terre aussi lointaine et étrangère que l'Australie." Il écrit : "Je crois pouvoir affirmer que 50 % au moins de la population se nourrissent d'herbes et de racines et attendent pour le reste la charité administrative sous la forme de distribution de pain. [...] J'ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens kabyles le contenu d'une poubelle." D'autres instituteurs envoyés dans des bleds de régions différentes et à d'autres époques, sont également confrontés à la misère : en 1932, Lisette Vincent est nommée à Misserghin à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest d'Oran. Il n'y a jamais eu d'enfants arabes à l'école mais elle décide d'en faire venir. Elle se rend donc dans la montagne à leur rencontre. "Au début, les familles refusèrent, le plus souvent par honte, car les enfants n'avaient ni souliers ni vêtement pour aller à l'école."
Confronté à la réalité algérienne, Gaston Revel doit chercher des explications pour comprendre la situation. Il semble évident que cette expérience est un déclencheur. Revel est profondément humaniste et il ne peut accepter une telle misère et de telles inégalités. Il écrira, 25 ans après : "Ce contact direct avec la réalité coloniale a sans doute accéléré ma prise de conscience, mon futur et proche engagement politique et syndical qui va intervenir à Bougie."
Il faut s'imaginer le choc de cette découverte pour un instituteur persuadé que la France amène la civilisation dans ce pays. Il est confronté quotidiennement à la misère et fait beaucoup pour la soulager.
« Il est celui qui semble réaliser le mieux la jonction entre les Européens et les musulmans au sein du Parti communiste, mais aussi dans la population bougiote. Même s’il suscite le respect des musulmans, ce qui l’amène à être élu au conseil municipal en 1953, il veut être aussi le représentant des Européens qu’il n’oublie pas. » (p. 255)
« La guerre terminée, Gaston Revel repart en Algérie avec des idées politiques affirmées. Il semble que sa maturation en ce domaine, après plusieurs expériences, arrive enfin à son terme. Sa difficile mais enrichissante expérience d’Aïn-Taiba l’a certainement poussé à une réflexion sur les méfaits du colonialisme. De plus, même sans preuve, on peut supposer que les deux ans et demi passés sous l’uniforme au contact de ses camarades africains ont pu aussi jouer un rôle non négligeable dans sa prise de conscience anticoloniale. Enfin, l’affrontement face aux puissances de l’Axe l’a persuadé de l’importance de la lutte contre le fascisme. Afin de lutter contre ces deux fléaux, mais aussi dans l’espoir de construire un monde meilleur, il entre au PCA. » (p. 172)
« Nous pendrons le dernier Croix de feu avec le dernier boyau du dernier des curés. » (p. 34)
« Il découvre finalement une Algérie éloignée de celle représentée en 1930 lors du centenaire de la conquête, ou en 1931 dans le cadre de l’Exposition coloniale. » (p. 104)
« Persuadé du rôle émancipateur de l’École républicaine, Gaston Revel espère apporter beaucoup aux petits ‘indigènes’. » (p. 160)