Un entretien avec Allen Eskens pour évoquer son premier roman "Mensonge bien gardé" (The Life we bury" en version originale).
Un mensonge. Ma mère et mon frère ne vivaient qu’à deux heures de Minneapolis, mais même une brève visite à ma mère m’aurait fait l’effet d’une course à travers des orties. Je n’avais jamais connu mon père, et je ne savais même pas s’il entachait encore la face de ce monde. Tout ce que je savais de lui, c’était son nom, ma mère ayant eu la bonne idée de me le donner dans l’espoir que Joe Talbert père ne la quitte pas, voire qu’il accepte de l’épouser et de s’occuper d’elle et du petit Joey. Peine perdue. Elle avait essayé le même coup à la naissance de Jeremy, mon petit frère, et le résultat avait été le même. J’avais passé mon enfance à expliquer pourquoi je m’appelais Joe Talbert alors que ma mère s’appelait Kathy Nelson et mon frère Jeremy Naylor.
Je me souviens qu’un sentiment de peur indéfinissable me taraudait tandis que je rejoignais ma voiture ce jour-là, comme oppressé par un nuage de fumée qui tournait autour de ma tête et se dissipait dans l’air du soir en petites volutes. Quelqu’un de superstitieux aurait pu y voir une prémonition, un avertissement lancé par un sixième sens prophétique. Je n’ai jamais cru à ce genre de choses, mais j’avoue que, lorsque je repense à cette journée, je me demande parfois : Si le destin m’avait vraiment murmuré à l’oreille, si j’avais su tout ce que ce voyage allait changer, aurais-je pris un chemin plus sûr ? Aurais-je tourné à gauche plutôt qu’à droite ? ou aurais-je quand même emprunté la route qui m’a mené jusqu’à Carl Iverson ?
Si un homme murmure le nom de son meurtrier juste avant de mourir, c’est considéré comme une preuve recevable, parce qu’il est accepté qu’un mourant ne veut pas mourir avec un mensonge sur les lèvres. Il n’y a pas plus grand péché qu’un péché qu’on ne peut pas rectifier, qu’un péché qu’on ne peut pas confesser.
Tu n’es qu’un gosse, un petit étudiant qui gaspille l’argent de papa pour se payer des bières et des filles, qui essaie d’obtenir une bonne note pour profiter de quatre ans de plus sans bosser.
– Il veut te donner quoi ?
– Sa déclaration de mourant… c’est comme ça qu’il l’appelle. C’est une déclaration qui est vraie parce qu’on ne veut pas mourir avec un mensonge sur les lèvres.