André Maurois et Roger Pierrot ont tous deux rédigés une excellente biographie De Balzac, chacun dans un style différent, mais avec la même passion et la même érudition pour tout ce qui concerne la vie et l'oeuvre de l'auteur de la Comédie humaine. J'ai lu et relu plusieurs fois leurs livres, mais je n'avais jusqu'à présent jamais réalisé l'expérience de lire leurs deux essais consécutivement. Outre le fait que cela m'a permis une nouvelle immersion totale dans Balzac (respectivement 697 pages et 582 pages, sans compter les nombreuses lectures parallèles pour aller rechercher des compléments d'information dans l'oeuvre ou la correspondance De Balzac) cette lecture confirme mon impression première, il s'agit de deux ouvrages parfaitement réussis et qui peuvent d'une certaine manière se compléter même s'ils relatent les mêmes évènements et développent les mêmes thèmes. Chaque auteur le fait à sa façon, Maurois est avant tout un écrivain, il a l'habitude de raconter des vies et des intrigues et son récit sur Balzac se lit comme un roman. Roger Pierrot est un érudit, spécialiste De Balzac, ancien directeur de la bibliothèque nationale et son point fort est la rigueur et la précision. Tous deux sont animés d'une grande passion pour Balzac et cela se ressent dans leurs ouvrages. Je garde toutefois une petite préférence pour la biographie réalisée par Maurois, elle délivre plus de commentaires sur l'homme sans pour autant négliger la genèse de l'oeuvre et son contexte.
Maurois ne laisse rien de ce qu'il faut savoir sur la vie De Balzac et nous renseigne sur son entourage et sur l'époque. Il nous décrit merveilleusement la personnalité De Balzac sans nous cacher ses défauts, ses excès, ses petites mesquineries, ses lourdeurs de styles, sa philosophie, ses espoirs, ses goûts, ses histoires d'amour et nous ramène toujours à son génie, sa connaissance intuitive de l'âme humaine et sa puissance d'écriture qui emporte tout. L'une des caractéristiques de la personnalité De Balzac, c'est sa qualité de visionnaire ou plutôt de voyant, cette faculté lui faisait ressentir et comprendre tous les méandres de la psychologie humaine simplement en observant quelques détails. Il y a ce fameux passage dans « Facino Cane » ou Balzac lui-même explique ce don mystérieux :
« Je demeurais alors dans une petite rue que vous ne connaissez sans doute pas, la rue de Lesdiguières : elle commence à la rue Saint-Antoine, en face d'une fontaine près de la place de la Bastille et débouche dans la rue de la Cerisaie. L'amour de la science m'avait jeté dans une mansarde où je travaillais pendant la nuit, et je passais le jour dans une bibliothèque voisine. Je vivais frugalement, j'avais accepté toutes les conditions de la vie monastique, si nécessaire aux travailleurs. Quand il faisait beau, à peine me promenais-je sur le boulevard Bourdon. Une seule passion m'entraînait en dehors de mes habitudes studieuses ; mais n'était-ce pas encore de l'étude ? J'allais observer les moeurs du faubourg, ses habitants et leurs caractères. Aussi mal vêtu que les ouvriers, indifférents au décorum, je ne les mettais point en garde contre moi ; je pouvais me mêler à leurs groupes, les voir concluant leurs marchés, et se disputant à l'heure où ils quittent le travail.
Lorsque, entre onze heures et minuit, je rencontrais un ouvrier et sa femme revenant ensemble de l'Ambigu-Comique, je m'amusais 8 jusqu'au boulevard Beaumarchais. Ces braves gens parlaient d'abord de la pièce qu'ils avaient vue ; de fil en aiguille, ils arrivaient à leurs affaires ; la mère tirait son enfant par la main, sans écouter ni ses plaintes ni ses demandes ; les deux époux comptaient l'argent qui leur serait payé le lendemain, ils le dépensaient de vingt manières différentes. C'était alors des détails de ménage, des doléances sur le prix excessif des pommes de terre, ou sur la longueur de l'hiver et le renchérissement des mottes, des représentations énergiques sur ce qui était dû au boulanger ; enfin des discussions qui s'envenimaient, et où chacun d'eux déployait son caractère en mots pittoresques. En entendant ces gens, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur. »
Ce passage explique le génie créateur De Balzac comme cet autre extrait d'une lettre adressée à la Duchesse d'Abrantès ou Balzac fait son auto-portrait :
« Je renferme dans mes cinq pieds deux pouces toutes les incohérences, tous les contrastes possibles, et ceux qui me croiront vain, prodigue, entêté, léger, sans suite dans les idées, fat, négligent, paresseux, inappliqué, sans réflexion, sans aucune constance, bavard, sans tact, mal-appris, impoli, quinteux, inégal d'humeur, auront tout autant raison que ceux qui pourraient dire que je suis économe, modeste, courageux, tenace, énergique, négligé, travailleur, constant, taciturne, plein de finesse, poli, toujours gai. Celui qui dira que je suis poltron n'aura pas plus tort que celui qui dira que je suis extrêmement brave, enfin savant ou ignorant, plein de talents ou inepte ; rien de m'étonne plus de moi-même. Je finis par croire que je ne suis qu'un instrument dont les circonstances jouent.
Ce kaléidoscope-là vient-il de ce que le hasard jette dans l'âme de ceux qui prétendent vouloir peindre toutes les affections et le coeur humain, toutes ces affections mêmes afin qu'ils puissent par la force de leur imagination ressentir ce qu'ils peignent et l'observation ne serait-elle qu'une sorte de mémoire propre à aider cette mobile imagination. Je commence à le croire. »
Balzac pouvait étonner ses contemporains par son aspect physique, il était brèche-dent, avaient de l'embonpoint et ses manières montrait ses origines modestes, il s'habillait d'une manière un peu voyante, mais il captivait et suscitait l'admiration par sa joie de vivre, sa bonté, sa naïveté, sa conversation toujours intéressante et amusante où il faisait tourbillonner comme un artificier la poésie, la politique, les forçats, le magnétisme, le sidérisme etc. Il subjuguait son entourage par l'éclat de ses yeux « des yeux de souverain, de voyant, de dompteur… un oeil noir, brûlant, fascinateur, plein de fluide magnétique » (Théophile Gautier).
Il a eu l'intuition de ce que serait sa fin. En 1831, il a 32 ans, il publie « La peau de Chagrin », un roman philosophique et fantastique qui développe l'idée selon laquelle la vie décroît en fonction de l'intensité des désirs. Il prévoit sa fin prochaine : « J'ai peur d'avoir mangé tout mon capital. Ce serait curieux de voir mourir jeune l'auteur de la Peau de chagrin » écrira-t-il en 1834.
« Atteindre au but en expirant, comme le coureur antique ! voir la fortune et la mort arrivant ensemble sur le seuil de sa porte ! obtenir celle qu'on aime au moment où l'amour s'éteint ! n'avoir plus la faculté de jouir quand on a gagné le droit de vivre heureux oh de combien d'hommes ceci fut la destinée ! » (dans « Albert Savarus » 1842).
Et Victor Hugo reprend cette idée dans son hommage funèbre « Il entre, le même jour, dans la gloire et le tombeau ».
Balzac s'est éteint à l'âge de 51 ans après avoir publié plus de 100 romans (une petite partie de ce qu'il prévoyait d'écrire).
Balzac est un géant de la littérature dont il est quasiment impossible de faire le tour complet.
À l'heure ou après avoir obtenu un prestigieux prix littéraire, l'autrice japonaise Rie Kudan a confié avoir partiellement écrit son roman en utilisant chat gpt on peut se demander si notre époque est capable de produire encore de nouveaux génies tel que Balzac (il a rédigé toute son oeuvre avec une plume d'oie animée par un prosaïque cerveau humain).
– « Prométhée ou la vie De Balzac », André Maurois, Flammarion 1974 (697 pages).
Commenter  J’apprécie         50