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Citation de KrisPy


Note- Voici un extrait du "Silence des survivants", que je viens d'achever, et qui résonne étrangement avec les évènements de la semaine passée... La discussion porte sur la prolifération des gangs à Boston dans les années 2000... Mais elle semble étrangement intemporelle et universelle...
- (...) On tente de convaincre les familles des plus jeunes de nous aider, mais c'est très dur. C'est né dans les ghettos : les ghettos ne parlent pas et se serrent les coudes face aux "étrangers", les extérieurs. On a beau leur expliquer que tous leurs gosses vont se faire exploser d'une façon ou d'une autre, ils préfèrent se taire pour la plupart.
- Tout ça sur fond de chômage et de crise économique ?
- Non, John, non. C'est ce qu'écrivent les journaux qui n'y comprennent rien et qui ont une colonne vide à remplir. C'est beaucoup plus grave.
- C'est quoi selon toi ?
- Le fric, John, le Saint Pognon. Au début du mouvement, ou plutôt au moment où il a explosé, c’était sans doute le chômage, le ras-le-bol qui les poussait. « Bouger son cul, pour quoi faire et pour aller où ? » : c’est ce qu’ils disaient et ils n’avaient pas tort. Mais plus maintenant. Imagine, John. Tu vois ton père qui trime toute sa vie, qui arrive à peine à faire vivre sa famille, qui ne pourra jamais offrir l’université à ses gosses. Ta mère, même modèle. Elle vit dans la terreur d’une catastrophe domestique : la machine à laver, la bagnole qui tombe en panne, ou un gosse malade, parce qu’il faudra choisir. Tout l’argent économisé sous à sou ne suffira pas à payer les trois. Ta petite sœur, si brillante, ne deviendra jamais médecin parce que c’est trop cher. Et puis, il y a en face la télé, les magazines. Et on te tartine la saga de petits jeunes qui ont monté une start-up, et qui en trois mois ont ramassé des millions de dollars, en se « marrant » avec leur ordinateur. Ce sont eux les nouveaux héros, et le monde occidental s’incline et se pâme. Ils passent sur CNN, font la couverture de tous les canards. Et ils sont mignons : « Ils vont acheter une hacienda à maman, au Nouveau-Mexique, et elle aura des domestiques. » Tout le monde se fout du nom du mec ou de la nana qui a traversé l’Atlantique à la rame pour des clopinettes, de la mort de ce médecin de brousse dont les quarante années passées à soigner des gamins avec ce qu’il trouvait lui ont valu un entrefilet de trois lignes.
« Mais les jeunes seigneurs du sport ou de la Bourse qui gagnent en quelques mois ce que d’autres mettront leur vie à gratter, ça fascine tout le monde. Ça les fait baver devant leur téloche à crédit. Alors voit-tu, John, de l’autre côté de ta rue, il existe une alternative, une seule. C’est le mec hyper-sympa, le frère d’un copain, avec ses Ray-Ban, sa casquette en cuir noir et sa Corvette, sa Porsche, ou même sa Lotus, flambant neuve. Les plus jolies gonzesses lui tombent dans les bras. Et il n’a pas l’air d’en branler une de la journée. Tu regardes une dernière fois ta mère, ta sœur, ton vieux et tu choisis quoi ? Le fric, le pouvoir et la fascination qui va avec.
- Mais ils vont mourir.
- Bien sûr, la plupart d’entre eux. Mais ils s’en foutent. Ils sont à un âge où la mort est une notion très abstraite, presque cinématographique, héroïque même.(…) Tu comprends ce que je veux dire mon ami, c’est nous qui les avons créés. Notre admiration, notre dévotion à Saint Pognon. C’est presque comme si la richesse devenait la seule preuve que Dieu t’a élu. Nous en sommes là. Comme dit une chanson de Leonard Cohen, je crois : « j’ai vu le futur, mon frère, et c’est l’enfer. » L’Occident a le cul scotché sur une gigantesque poudrière et tout le monde s’en fout. Les riches deviennent de plus en plus riches, de plus en plus vite, adulés, et les pauvres crèvent, de plus en plus minables.
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