Comment un gamin sait-il qu’il sera mieux dans les bras d’un adulte ? Pourquoi braille-t-il quand on le recouche dans son lit ? Pourquoi avons-nous envie de soirées, d’alcool et de personnes agréables à l’œil ? Pourquoi avons-nous envie d’une Cadillac Escalade ? Qui nous l’a soufflé ? Pourquoi se sent-on tout guilleret quand une beauté nous sourit ? Qu’est-ce que c’est que cette idiotie ? Comment ça fonctionne, ce truc ? Peut-être que tout réside dans le manque qui nous colle à la peau quand nous n’obtenons pas ce que nous souhaitons ? Peut-être que nous le pressentons, l’effet de cette carence ? Et que nous cherchons à tout prix à l’éviter. Avec, pour unique résultat, la poursuite sans fin de l’inaccessible.
C’est un drôle de truc, mais nous nous reflétons plus puissamment dans nos proches que dans un miroir. Moi, par exemple, je ne m’étais pas vu comme un toxicomane jusqu’à ce que ma mère se mette à penser que j’en étais un. Ou plutôt, jusqu’à ce qu’elle le découvre. Autrement dit, je vivais ma vie, j’écrivais des morceaux, je me shootais, et rien ne m’inquiétait vraiment. Et puis j’avais regardé ma mère et je m’étais dit : Ouh là, en fait, je suis un toxico. La réalité, c’est plus abrupt qu’un miroir.
Aprés, à l'hôpital, un instructeur politique, qui était aussi commotionné , m'a dit qu'à Königsberg, Il y avait un philosophe allemand du nom de Kant qui était enterré là.Et alors ce philosophe disait qu'il est très facile d'être heureux. Il suffit seulement d'en vouloir moins. p. 95
On rigolait à en pleurer, que ce soit un effet des propos qu’elle tenait ou de la came super classieuse que Vadik nous avait procurée grâce à l’oseille des pigeons. Car ceux-ci ne cessaient d’affluer, l’un après l’autre, impatients de fumer la chaux bon marché qu’on arrachait aux murs de notre cage d’escalier. Il y avait un lycée professionnel dans les parages, et ce petit malin de Jora avait fixé des prix tout ce qu’il y avait de raisonnable pour notre came. Par comparaison avec les vrais dealers, nous ne prenions presque rien. Autrement dit, le marché était aussi honnête et dénué d’entourloupe que les boniments d’un magicien.
À dire vrai, au bout d’une heure et demie, Jora totalisa ce que nous avions gagné et calcula combien de chaux nous devrions vendre pour rembourser ma dette aux truands, pour l’herbe que je leur avais incendiée. Il en ressortait que, si le commerce demeurait aussi dynamique, nous devrions faire le pied de grue dans cette cage d’escalier pendant plus de deux siècles.
Je n'avais pas réussi à caser toute la vodka dans le frigo. J'avais d'abord essayé de poser les bouteilles debout, puis je les avais couchées les unes sur les autres. Elles ressemblaient comme ça à des poissons transparents. Tapis et silencieux. Mais je n'avais plus de place pour les dix dernières.
(incipit)
Il avait une excellente vodka. Dans une jolie bouteille, avec des étiquettes d'importation. Mais c'était beaucoup trop peu. Il n'y en avait que pour un quart d'heure.
….il ne me resta plus grand-chose pour louer un studio*. Inutile de ramener ma fraise chez un ingénieur du son professionnel avec aussi peu de fric.
-T’aurais besoin d’un grand local ? demanda mon frère.
- Ben, non. J’ai plus assez d’argent pour du matériel, de toute façon. Du moment qu’il y a de la place pour un ordinateur. Et peut-être pour construire une cabine. On tapissera l’intérieur de mousse, et le tour sera joué.
- Parce que j’ai vu une publicité à la fac. Ils louent leurs salles de cours comme bureaux. C’est plutôt bon marché. Tu pourrais dire que tu as une agence de voyages. Il y en a déjà deux.
- À la fac ? répétai-je. Ouais, ce serait marrant. Et c’est ainsi que je fis mes premiers pas dans un établissement d’enseignement supérieur.
On ne nous demanda pas les papiers de notre société. Dans les faits, j’aurais pu raconter à mon interlocutrice, qui était une bonne femme coiffée d’une choucroute monumentale, que nous représentions une société en train de préparer une expédition sur Mars. En coopération avec le gouvernement du Honduras. Elle n’en avait strictement rien à foutre.
* le narrateur est un musicien qui promet , on lui a donné de l’argent pour qu’il loue un studio qu’il a distribué pour autres causes:-)
Des oiseaux qu'on avait tués, il en avait vu des quantités, mais il n'avait jamais eu l'occasion d'en rencontrer qui soient morts comme des gens, de vieillesse ou de maladie. Pourtant s'ils étaient morts tout seuls, ils devaient traîner quelque part. Impossible en effet de tomber du ciel ailleurs que sur la terre. Mais ni à Razgouliaevka même, ni aux alentours, Petka n'avait vu d'oiseaux morts par terre. Seulement des oiseaux tués par les chats ou par une bande de gamins. Par conséquent, ils s'envolaient ailleurs pour mourir. Ou bien, ils ne mouraient pas du tout. p 149
Debout dans la sépulture d'un de ses camarades, Hirotaro eut la sensation soudain qu'il était lui aussi déjà mort. Il lui semblait toujours que la maladie rendait l'homme meilleur et qu'elle lui était envoyée comme une chance de purification, mais à présent, il sentit que ce n'était pas seulement la maladie, mais aussi la mort qui jouait ce rôle. il ne pouvait pas encore formuler définitivement ce nouveau sentiment, mais le silence des pins, des nuages, des tombes et du sable dans le ravin lui suggérait de façon inexplicable qu'il avait raison.
Pendant un congé à Drakino, avant son avancement au premier grade d’officier, il avait été sincèrement étonné en apprenant les souffrances amoureuses d’une jeune domestique. Jusqu’alors, il était totalement convaincu que les serviteurs ne pouvaient éprouver que la faim, la soif, le désir de voler et le besoin d’assouvir les exigences de la physiologie. Pourtant, au cours de cet hiver enneigé de 1836, la servante de sa mère avait souffert de façon réelle et tout à fait tangible, après s’être amourachée d’un homme comme si elle était une véritable personne, faite des sentiments et des émotions que l’on trouvait couramment chez les humains.
[PARTIE I - Chapitre 1]