Rencontre autour des poétesses avec Diglee pour Je serai le feu :
"une anthologie sensible et subjective, dans laquelle Diglee réunit
cinquante poétesses et propose pour chacune d'entre elles, un portrait,
une biographie, et une sélection de ses poèmes préférés" qui paraît le 8
octobre aux éditions La ville brûle.
On a parlé de désir, d'écriture, de Joumana Haddad, Audre Lorde, Natalie Clifford Barney, Ingeborg Bachmann, Joyce Mansour, Anna Akhmatova...
Les livres de cette anthologie sont réunis dans une sélection spéciale poétesses sur notre site Librest (https://www.librest.com/livres/selection-thematique-poetesses,1303.html?ctx=81551c627cc90eb2e85d6f7d5f4bcdfb) : https://www.librest.com/livres/selection-thematiq ue-poetesses,1303.html?ctx=81551c627cc90eb2e85d6f7d5f4bcdfb
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Enfant, déjà j'avais peur des masques.
Il me semblait toujours (et j'ignore pourquoi)
Que je ne sais quelle ombre indésirable
« Sans visage et sans nom », au milieu d'eux
S'était glissée...
Demande aux femmes de mon temps,
Bagnardes, " cent-cinq ", prisonnières,
Et nous te raconterons tout :
Que la peur nous abrutissait,
Que nous élevions des enfants,
Pour la prison, la torture et la mort.
Pinçant nos lèvres bleuies,
Hécubes devenues folles,
Cassandres de Tchoukhloma
Portant des couronnes de honte,
Nous serons un chœur de silence :
" Au-delà de l'enfer, il y a nous. "
POÈME SANS HÉROS, deuxième partie (strophes 24 & 25).
DEUX CHANSONS - LA SECONDE
Cette merveille de notre rencontre,
Etait lumière et chanson.
Je ne voulais plus
Aller nulle part.
C'était une amère douceur
Qu'un bonheur au lieu d'un devoir,
Je devais ne pas lui parler,
Et j'ai parlé longtemps.
Que les passions étouffent les amants,
Qu'elles exigent des réponses !
Nous n'étions plus, mon ami, que des âmes
Sur le bord du monde.
1956
« Je bois à la maison en feu,
A ma vie aux abois,
Et à la solitude à deux »
LA PORTE EST ENTROUVERTE
La porte est entrouverte.
Les tilleuls frémissent…
Oubliés sur la table :
Une cravache, un gant.
La lampe fait un cercle de clarté.
Il y a des bruits que j’entends.
Pourquoi es-tu parti?
Je ne comprends pas.
Demain matin la lumière
Sera pleine de joie.
Cette vie est brève.
Sois sage, mon coeur.
Tu es à bout de force,
Tu bats plus sourdement.
Tu sais, je l’ai lu quelque part:
Les âmes sont immortelles.
“Chaque jour il est un instant
Et trouble et chargé de menace.
A voix haute, les yeux somnolents,
je bavarde avec mon angoisse.”
Et quand il te sourit
Au jardin comme au champ,
Ou chez toi, il te semble
Partout que tu es libre.
Non, ce n’est pas moi. C’est quelqu’un d’autre qui souffre. Moi, je n’aurais pas pu souffrir autant.
Moi, comme un fleuve,
Une époque de fer m'a détournée.
On m'a changé de vie.
Elle a suivi un autre lit, vu d'autres paysages,
Et mes rivages me sont inconnus.
O combien de spectacles j'ai manqués,
Que de rideaux levés en mon absence et retombés!
Combien de mes amis je n'ai jamais croisés,
Combien de villes dont les contours
Auraient pu m'arracher des pleurs,
Alors que je n'en connais qu'une,
Que je saurais retrouver même en rêve
Et à tâtons.
Et combien de poèmes que je n'ai pas écrits:
Leur choeur secret,
Il rôde autour de moi, et un beau jour
Il se pourrait qu'il vienne m'étouffer...
Je connais tout, commencements et fins,
La vie après la fin, et quelque chose
Qu'il ne faut pas rappeler à présent.
Et quelqu'un d'autre,
Une femme inconnue a pris ma place,
Mon unique place,
Et porte ici mon légitime nom,
Ne me laissant qu'un surnom
Dont j'ai fait tout ce que l'on pouvait,
je le crois bien.
Ma tombe, hélas, ne sera pas pour moi.
Mais qu'une folle brise de printemps,
Ou deux mots dans un livre de hasard,
Ou le sourire de quelqu'un
M'entraînent soudain
Dans cette vie inaccomplie...
Cette année-là il serait arrivé ceci, et puis cela:
Partir au loin, voir et penser,
Se ressouvenir,
Entrer comme on ferait dans un miroir
Dans un amour nouveau,
Avec la sourde conscience de trahir,
Et une ride nouvelle,
Qui n'était pas encore là
Hier...
Si de là-bas pourtant
J'apercevais ma vie de maintenant,
Je connaîtrais enfin
L'envie...
Au seuil du printemps, il est certains jours
Où la prairie se repose sous la neige dense,
Où les arbres font un bruit gai et sec,
Où le vent tiède est tendre et moelleux,
Où le corps s'étonne de sa légèreté,
Où l'on ne reconnaît plus sa maison,
Où la chanson qui déjà lassait
On la chante avec émoi, comme neuve.
Printemps 1915, Stepnévo