Je veux me souvenir d'elle, dans cette robe de princesse, avec ce sourire. Machinalement, je lâche une de ses mains pour sortir mon portable et prendre une photo... et je me retrouve par terre.
Je me relève, les joues brûlantes de honte, mais Felicity a un rire gentil, pas moqueur. Je m'appuie contre la barrière et je prends une photo, puis une autre. Ensuite, je ne fais plus rien du tout avec mes mains parce que Felicity est dans mes bras et qu'elle m'embrasse. Le monde s'écroule autour de moi tandis que je noue mes bras autour d'elle, profitant honteusement de la situation pour me cramponner à elle. Je lui montre que si je suis maladroit sur la glace, en matière de baiser, je ne crains pas la compétition. Nous nous engageons dans une virevolte de notre cru.
Mon père avait peur que l’école de police ne réveille mon bégaiement. Je parlais à peu près normalement, mais j’étais encore sujet à des crises d’élocution lorsque j’étais stressé. Passer du lycée à un endroit où on allait me beugler des ordres H24, ce n’était peut-être pas l’idéal. J’ai décidé de rendre mon père fier de moi et de vaincre définitivement ce foutu handicap en bossant dans des jobs qui m’obligeaient à parler, comme serveur ou vendeur. Je me suis retrouvé en salle, à porter des plateaux, prendre des commandes et avoir un mot aimable pour tous les clients, surtout les femmes de l’âge de ma mère, les plus généreuses en pourboires avec un beau gosse de dix-huit ans. Je me suis créé un personnage. Travis, le serveur dragueur, qui est cool et n’est intimidé par personne. Travis, le mec qui prend la vie du bon côté, qui fait serveur en attendant de réussir dans la vie. Je disais que je prenais des cours de théâtre pour devenir acteur. Le premier était vrai, le deuxième complètement faux.
Je bégaie depuis que je suis gosse. Du moins, je bégayais. Ça a fait la joie de mes petits camarades dès le jardin d’enfants. Mes parents ont dépensé une fortune en orthophoniste pour corriger ce défaut, et j’ai fini par pouvoir parler d’une façon normale et fluide. Sauf lorsque je suis intimidé par une situation ou une personne. Là, mon bégaiement revient à toute allure. J’essaie de ne pas être intimidé. Lorsque je passe des auditions, je me mets en condition avant. Je me dis que je me fous d’être choisi ou pas, que le directeur de casting en face de moi m’importe peu, que je peux me planter sur le texte, sur tout, je m’en fous, de toute façon je vais rentrer chez moi et me regarder une série en mangeant de la glace au chocolat arrosée de bière. Moyennant quoi, j’arrive à passer un casting sans tout faire foirer.
Je me fous qu’il soit milliardaire. Je sais que ce genre d’homme fait rêver pas mal de femmes, juste parce qu’elles viennent d’un milieu modeste et qu’elles savent qu’à moins d’un miracle, elles en baveront toute leur vie pour avoir ne serait-ce qu’un peu d’argent à mettre de côté pour se faire de petits plaisirs. Je ne les juge pas. Quand tu fais un boulot que tu détestes, que tu as des petits chefs sur le dos toute la journée, c’est clair que ça doit faire rêver d’épouser un milliardaire et de ne plus jamais avoir à travailler de sa vie. Sans compter les voyages fabuleux qu’on doit faire.
J’ai besoin d’une épouse pour sauver ma vie, pour pouvoir la présenter à des gens vis-à-vis de qui je me suis mis en position difficile. Trouver une femme qui réponde à mes critères n’est pas si facile que ça. J’ai d’abord éliminé les petites annonces, et surtout les listes de beautés venant d’Europe de l’Est. J’en viens, je sais comment ça fonctionne. C’est le genre à vous planter un couteau dans le dos au profit du premier qui leur offrira plus de fric.
Une robe inspirée des années 1950, mais avec ce qu’il faut de légèreté dans la silhouette pour être portée par une femme avec un peu de ventre. Oui, messieurs, après deux ou trois enfants – les vôtres -, à quarante ans passés, une femme a un petit bidon. Avant de froncer le nez et de regarder votre secrétaire, commencez donc par baisser les yeux vers votre propre estomac et les vingt ans de bons repas que votre épouse vous a concocté avec amour.
Et je ne plaisante pas avec mon honneur. C’est une des rares choses sur lequel l’argent n’a pas de prise. Quand je donne ma parole, je la tiens.
Pour moi, la vraie beauté, c’est ce qui ressort de la personnalité, pas un assemblage de traits dit harmonieux à la loterie génétique. Surtout que les critères varient selon les décennies. Il y a vingt ans… bon on m’aurait probablement trouvé sexy aussi. Mais il y a cinquante ans, je serais passé pour trop musclé et pas assez policé. Dans vingt ans, on me trouvera probablement ringard.
Je n’ai pas menti en disant que le sexe n’est pas mon truc. Je ne sais pas ce qui cloche avec moi, mais je n’ai jamais connu l’orgasme, du moins avec un homme. Toute seule, j’y arrive très bien, parfois avec l’aide de petits jouets pour femmes seules, mais je n’ai jamais rien éprouvé dans les bras d’un homme, à part me demander quand il aura fini de s’agiter et me laissera dormir
Le coup de foudre est bon pour les romans et les films, dans la vraie vie, on apprend d’abord à se connaître avant de se marier. Et épouser un milliardaire n’a jamais été une option dans les gendres idéaux pour mes parents. Un homme avec une bonne éducation, un bon métier et honnête, voilà le mari idéal pour leur fille.