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Citation de Cielvariable


Le vent glacial eut raison de l'immobilité de Kira. Depuis un moment, son esprit analysait la teneur des paroles du dieu déchu : On peut difficilement cloîtrer la descendante d'un dieu et d'un grand sorcier dans un cachot ordinaire. J'ai donc choisi pour toi une vaste prison que tu ne pourras jamais quitter, malgré tous tes pouvoirs. Je t'ai fait reculer dans le temps. Quand tu seras prête à me servir, tu n'auras qu'à prononcer mon nom. Kira avait pourtant appris du Magicien de Cristal qu'il était impossible de se déplacer physiquement dans le temps, mais Akuretari possédait des pouvoirs bien plus grands que tous les magiciens du monde réunis. Cependant, lorsqu'il avait emprunté l'aspect de Nomar, jadis, la divinité avait menti à Jahonne, à Wellan et même à Sage. Lui avait-il menti à elle aussi ?
Kira refusa de paniquer même si son épée double venait de disparaître de ses mains. Avec confiance, elle se mit à chercher ses frères d'armes à l'aide de ses sens magiques, puis les appela avec son esprit. Ils n'étaient nulle part.
— C'est donc à moi de trouver du secours, décida-t-elle.
Hathir ne l'ayant ,pas accompagnée dans sa mésaventure, Kira entreprit à pied le long trajet vers le sud en se frottant les bras pour se réchauffer. À sa grande surprise, elle ne repéra pas, sur la falaise de Shola, le sentier creusé par ses ancêtres pour descendre au pays des Elfes. Abnar lui avait pourtant raconté qu'il avait été façonné par les Sholiens des centaines d'années auparavant pour faire le commerce des pierres précieuses...
Kira fut donc forcée d'utiliser la lévitation pour descendre au pied de l'escarpement. Elle suivit la rivière Mardall jusqu'à la tombée de la nuit et dormit en boule au pied d'un arbre. Au matin, elle cueillit des fruits, but de l'eau et se remit en marche. Son périple dura plusieurs jours. Lorsqu'elle atteignit finalement ce qui aurait dû être la frontière séparant le Royaume d'Argent de celui des Fées, Kira ne vit ni la grande muraille élevée par le Roi Cull, ni les merveilles créées par les ancêtres du Roi Tilly. Elle sonda la région et ne découvrit aucune trace de vie. De plus en plus inquiète, elle piqua vers Émeraude.
La princesse mauve utilisa une fois de plus ses facultés surnaturelles pour franchir le cours d'eau. En avançant d'un bon pas, elle examina la végétation et la maturité des fruits dans les arbres. Elle devina ainsi que la saison chaude s'achevait. Les pluies s'abattraient bientôt sur Enkidiev. Il lui faudrait donc un abri étanche durant les prochains mois si elle n'arrivait pas à se soustraire au sortilège d'Akuretari.
Tandis qu'elle traversait un grand champ dominé par le pic majestueux de la Montagne de Cristal, son estomac se contracta tout à coup : un danger la guettait ! Elle ralentit le pas, tous ses sens en alerte. Les larves l'avaient-elles suivie dans ce cauchemar ? La terre se mit à trembler sous ses pieds.
— Mais qu'est-ce que...
Elle n'avait pas fini de prononcer ces mots qu'au nord se profilèrent les silhouettes d'immenses dragons. Ils se dirigeaient vers le sud au galop. Or, il n'y avait aucune cachette sur cette immense plaine. L'intuition de Kira lui recommanda de ne pas fuir : ce geste aurait tôt fait d'attirer les prédateurs. Elle se laissa donc tomber sur le sol et serra ses jambes contre elle, se faisant aussi petite que possible. Elle ravala un cri de stupeur lorsque les énormes pattes martelèrent le sol à sa gauche et à sa droite. La cavalcade dura de longues minutes. Kira ne respirait plus. Elle n'aurait pas hésité un instant à affronter une seule de ces bêtes, mais pas tout un troupeau. « Comment sont-elles arrivées ici ? » s'étonna-t-elle.
Les secousses cessèrent enfin. La Sholienne releva doucement la tête au-dessus des graminées. La bande de monstres était déjà très loin.
— Il faut que ce soit un rêve, murmura-t-elle pour se rassurer.
Elle hâta le pas vers son pays d'adoption, sans jamais rencontrer de fermes, ni de cultures. L'appréhension qu'elle éprouvait se mua en certitude lorsqu'elle atteignit enfin la base de la montagne. En temps normal, elle aurait dû voir les tours d'Émeraude, mais la trouée où le château s'élevait était vide ! Kira escalada le pan rocheux pour avoir une meilleure vue du pays. Elle s'assit sur une corniche d'où elle pouvait voir aussi loin que les montagnes de Béryl, au sud, et la chaîne de volcans fumants, à l'est. Mais il n'y avait ni forteresse, ni villages...
Incapable de se retenir plus longtemps, la Sholienne éclata en sanglots. Son châtiment était encore pire que la mort. Elle était seule au monde dans un univers qu'elle ne reconnaissait pas.
— Mama... hoqueta-t-elle.
Elle ne reçut aucune réponse. Elle appela Dylan, Abnar et même Parandar. Le ciel semblait l'avoir abandonnée. Les paroles d'Akuretari résonnèrent alors dans son esprit. Pour sortir de ce mauvais pas, il lui suffisait de prononcer son nom et de devenir sa marionnette.
— Pas question ! se fâcha la Sholienne.
Elle parvint à se calmer afin de raisonner clairement. Elle avait reculé dans le temps, à une époque où les humains n'avaient pas encore bâti leurs châteaux. « Quand était-ce donc ? » Elle remercia intérieurement le Magicien de Cristal de l'avoir obligée à étudier l'histoire. Il y avait peu d'ouvrages sur la période précédant la monarchie d'Enkidiev, mais elle en avait trouvé deux. Les grands chroniqueurs de cette époque s'entendaient pour dire que les premiers habitants, soit les Enkievs, avaient réussi à maîtriser suffisamment leur environnement pour permettre l'édification des premières cités. C'était avant l'arrivée des Fées et des Elfes.
— Il est donc en mon pouvoir de changer le cours des événements, comprit-elle.
Rien ne l'empêchait en effet de débarquer sur Irianeth et d'éliminer l'ancêtre d'Amecareth, sinon toute sa race. Elle sauverait ainsi les futurs humains de sa domination. Mais comment se rendre là-bas sans embarcation ? Ses pouvoirs de lévitation lui permettaient certes de descendre d'une falaise ou de sauter par-dessus une rivière, mais de là à traverser tout un océan... Elle avait appris beaucoup de choses auprès d'Abnar, mais pas à construire un bateau ni à maîtriser les déplacements dans l'espace.
Quelque peu découragée, elle s'endormit sur la pierre froide. Ce fut la faim qui la réveilla. L'absence de paysans tirant du sol tous leurs merveilleux produits lui posait un problème de taille. Kira se souvint alors des vergers qui s'alignaient au sud du château. Mais existaient-ils dans ces temps immémoriaux ? Elle quitta son perchoir pour mener son enquête. Le cœur serré par la tristesse, elle marcha dans un champ qui aurait dû être la grande cour. Les douves étaient inexistantes. Elles avaient donc été creusées par les Émériens.
— Armène avait raison de dire que c'est lorsqu'on perd quelque chose qu'on s'aperçoit à quel point on l'appréciait, soupira-t-elle.
Elle aurait tout donné pour retrouver la sécurité de ses appartements royaux. Le cœur lourd, elle poursuivit sa route vers les arbres fruitiers pour se rendre compte, avec soulagement, qu'ils poussaient déjà à l'état sauvage. Elle se gava de pommes mûres. Au moins elle ne mourrait pas de faim, le temps d'imaginer une solution pour revenir dans le présent. La chaleur devenant de plus en plus insupportable, elle se défit de son armure et la suspendit à une haute branche, loin des rongeurs.
— Par où commencer ?
En attendant d'avoir une idée brillante, elle retourna à la montagne. À l'aide de ses pouvoirs, elle pourrait certainement creuser une tanière avant l'arrivée de la pluie. Elle détermina l'emplacement parfait, à une hauteur où le plus grand des dragons ne pourrait pas lui arracher le cœur. Utilisant les rayons ardents de ses mains, elle fit exploser le roc. De gros morceaux de pierre s'écrasèrent lourdement au pied de la falaise. Kira ne termina son travail de forage qu'au coucher du soleil. Elle regretta alors d'avoir accroché sa gourde à sa selle plutôt qu'à sa ceinture.
Prudente, elle étudia les alentours à partir de son perchoir avant de se risquer jusqu'à la rivière Wawki. Il n'y avait aucun prédateur en vue, mais ces bêtes se déplaçaient si rapidement... La Sholienne ne devait pas perdre une seconde. Elle se laissa glisser le long de la paroi, freinant sa descente avec ses griffes, puis courut entre les arbres. « Maintenant, je sais comment se sentent les lapins », songea-t-elle. Elle s'accroupit au bord de l'eau et but tout son saoul. Derrière elle, les derniers rayons de l'astre du jour coloraient la montagne de chaudes teintes. Malgré la beauté du paysage, Kira devait retrouver la sécurité de son sanctuaire avant l'obscurité, car si ces dragons étaient bel et bien les ancêtres de ceux d'Irianeth, ils devaient surtout chasser la nuit.
Elle décrocha son armure de l'arbre pour la ramener dans la caverne qu'elle avait aménagée. Ce n'était pas le matelas dont elle rêvait, mais elle lui permettrait de dormir plus confortablement que sur la pierre froide. Elle se lova autour de la croix de l'Ordre et observa la lune par l'ouverture de la grotte. Les bons soins d'Armène et d'Émeraude Ier, ainsi que les cours d'Abnar, avaient fait d'elle une jeune femme accomplie, et sa formation auprès de Bridgess et d'Hadrian d'Argent l'avait transformée en une redoutable guerrière. Toutefois, rien de ce qu'elle avait appris ne l'avait préparée à survivre sans les ressources qu'elle avait toujours tenues pour acquises.
— Je sais chasser et apprêter le gibier, se dit-elle pour se consoler.
Elle ne connaissait cependant pas la façon de travailler les peaux de bêtes pour s'en faire des vêtements.
— Je ne sais même pas d'où vient le thé...
Elle s'endormit sur ces sombres pensées.
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