La première fois qu'elle a souri, quelque chose s'est éveillé en moi et j'ai ressenti un bonheur que je n'avais jamais connu. Evidemment, vous me direz que j'aurais dû voir le danger venir. Mais une fois qu'une bougie a été allumée dans le noir, qui veut la souffler ? Et quel danger peut représenter une seule petite bougie ? Profiter de la lumière d'une seule bougie dans toute une vie, ce n'est pas trop en demander, si ?
Ce n'était qu'un jeu. Je contrôlais la situation.
Mais la flamme de cette petite bougie a grandi et quelque chose a pris feu. Qui aurait pensé qu'une seule petite bougie qui brûlait dans le noir calcinerait un jour le tissu de toute mon existence ?
L'attirance que j'éprouvais pour elle était un mystère. Je n'ai jamais compris pourquoi mais, dès le premier instant où je l'ai vue, lui prendre la main est devenu une obsession.
Depuis la mer, l'île de Thiminos apparaissait pour ce qu'elle était: un énorme rocher à la base tellement errodée par le ressac qu'il semblait flotter, porté par les vagues de la mer Egée. La plupart des côtes étaient des falaises abruptes; les autres, en pente plus douce, offraient un mélange de rocaille et de terre poussièreuse. Il n'y avait pas grand chose hormis quelques pins noirs plantés à des angles improbables dans le flanc de la montagne et des buissons épineux cachés entre les rochers. Pourtant, ça et là, quelques éléments colorés surprenaient le regard: sur une plage déserte, une minuscule chapelle blanche était entourée d'un jardin de plantes vivaces aux fleurs fuchsia.
A ses yeux, cette pièce sentait la pauvreté et les économies de bouts de chandelle. Les maigres étaient suspendus à un fil de pêche cloué dans le mur dont le plâtre s'effritait. Le plateau de la table avait été scié dans une porte mise au rebut ; sous la nappe à carreaux bleus, on sentait nettement les creux à l'endroit où les gonds avaient été enlevés. L'assise des quatre chaises à cannage était trouée ; pour le cacher, Elpida avait fait des coussins dont elle avait taillé les enveloppes dans de vieux habits et qu'elle avait rembourrés avec un drap déchiré.
« […] Le mariage n'a rien à voir avec l'amour, il n'a rien de romantique. Le mariage est fait pour apporter de la sécurité, et une famille, et quelqu'un qui te nourrisse. Mais le plus important, ce sont les enfants. Voilà la raison pour laquelle les femmes se marient. Parce qu'alors les hommes nous font le plus beau cadeau qui puisse être donné à une femme, kori mou. Ils nous donnent nos bébés. Et c'est là que nous trouvons l'amour et le respect : chez nos enfants. Rien d'autre n'a d'importance. Les femmes peuvent tout supporter pour leurs enfants. »
Le soir approchant, elle entendit des sons de vie domestique, le tintement d'une tasse qu'on repose, les applaudissements bruyants d'un jeu télévisé, de l'eau qui s'égoutte dans un évier ; mais par-delà ces sons, le silence s'épaississait. Jour après jour, il devenait plus fort, et elle n'allait pas tarder à comprendre le paradoxe : ce n'était pas du silence, mais le bruit assourdissant du vide.
J'ai choisi le Conformisme plutôt que l'Amour.