« Harvey était doué pour analyser le langage du corps. Par beau temps, il pouvait se vexer à cent mètres de distance. » (p. 289)
Finalement, il décida de ne rien faire du tout. C'était une décision qu'il prenait souvent dans sa vie et qui se révélait souvent concluante.
C'était comme imaginer toute sa vie qu'on rencontre Lou Reed et, le jour où ça arrive enfin, il vous parle de tissus d'ameublement.
[…] Le dimanche présentait toujours un défi : comment tuer le temps ? Ce jour semblait renforcer et exagérer la vacuité de son existence. Un homme de son âge, avec son style de vie, devrait avoir toutes sortes de choses à faire entre le déjeuner et le dîner lors de sa seule journée libre de la semaine, mais ça semblait ne jamais être le cas. Heureusement, il y avait toujours cette obligation de faire la lessive et de sortir pour acheter le journal car sans cela, il aurait été contraint de rester assis à contempler la fenêtre.
- Alors, qu'est-ce que tu deviens ?
C'était la question que les anciens et lui avaient activement et précisément bannie quand ils s'étaient retrouvés pour la première fois.
A une époque, il avait même adopté l’accent irlandais, mais ça lui donnait un côté agressif. Alors, maintenant, il essayait juste d’avoir l’air irlandais, ce qui n’était pas très difficile car, venant des Cornouailles, il avait déjà le teint pâle, les cheveux bruns et l’air misérable ; bientôt, histoire de compléter le tableau, il serait ivre.
Nulle part, il était possible d’être plus anonyme qu’à Croydon. Cet endroit semblait presque construit pour offrir une sécurité sans visage ni personnalité. Elle trouvait cela apaisant. Elle aimait se promener dans les larges rues piétonnes avec ce côté tape-à-l’œil familier, commun à toutes les rues principales. En outre, elle était tombée amoureuse de la laideur suprême du centre commercial. Elle adorait l’altérité proche de ces visages qui passaient sans jamais croiser son regard. Elle voyait comme il était facile, pour elle et pour n’importe qui, de trouver sa place dans ce lieu, d’en faire partie, et de ce fait, de n’être plus rien : une absence, un non-être.
Il n’avait jamais essayé de coucher avec quelqu’un sans avoir bu, ça paraissait impossible. Même si l’alcool pouvait inhiber la libido, sans alcool, ça devenait carrément infaisable : un acte mythologique qui se produisait seulement dans les civilisations anciennes, avant Internet.
Contrairement aux romans modernes ou à l’art postmoderne, la bande dessinée possédait une logique linéaire parfaite. Aussi complexe que soit l’intrigue, les bons l’emportaient toujours à la fin et les méchants se faisaient prendre, par les bons généralement, vêtus de combinaisons moulantes qui mettaient en valeur leurs muscles, avec des masques et des capes super-chouettes. Impossible de s’exposer à ce genre de narration pendant très longtemps sans finir par attendre des issues logiques et des élucidations bien claires dans votre vie quotidienne. Voilà pourquoi le rêve éveillé de Harvey, sensé et raisonné jusqu’à présent, ne s’acheva pas à ce stade.
Ca n’allait pas du tout. On aurait dit que quelqu’un s’était introduit dans sa bouche durant la nuit et s’en était servi comme toilettes ; il avait au fond de la gorge une matière inconnue et malodorante, et en même temps, une sorte d’humidité visqueuse et anormale sur la langue.