La prise du palais des Tuileries à Paris, le 10 août 1792, est à la fois un aboutissement et un commencement. Ce n`est pas n`importe quelle journée de la Révolution : c`est le jour où la vénérable monarchie française, âgée de 800 ans, s`écroule comme un château de carte. A partir de ce moment, on bascule dans l`inconnu de la guerre civile. Il y aura désormais deux France, et cette séparation fait partie de nos gènes jusqu`à aujourd`hui.
Les personnages principaux, les frères Jean et Camille de Pierrebelle, le marquis du Torbeil, Irénée et Rambert Conche, mais aussi le Chancru, Jeanne ou encore Sophie de Pale, sont des personnages fictifs : je les ai nourris de hantises, de paysages et d`obsessions qui me sont propres. Pour autant, pendant plusieurs années, je me suis plongé dans les mémoires, biographies et études historiques publiés ou réédités sur cette période. Et par bien des aspects, les parcours de mes personnages sont représentatifs des nombreux destins brisés, transcendés, « révolutionnés » par cette époque troublée, dont nous sommes encore loin d`avoir fait le tour.
Mes personnages appartiennent dans leur majorité à la petite noblesse, à la moyenne bourgeoisie, au clergé, ce sont des hommes et des femmes des Lumières, mais aussi des gens de « la base ». Avec cette révolution, ils voient le monde dans lequel ils vivent, qui paraissait devoir durer toujours, tomber à la renverse, pour ne pas se relever. Les uns le déplorent et cherchent à se mettre en travers, les autres accompagnent le mouvement avec enthousiasme, mais tous sont balayés comme des fétus par ce flot qui déferle, qui emporte tout dans sa violence, destinée à changer le cours du monde.
Le véritable héros de ce roman ? Tel un Deus ex-machina, il se cache peut-être derrière le décor, bien au-delà de nos médiocrités… Vous lui donnerez le nom que vous voudrez. Je ne crois pas tellement au hasard, et suis un lecteur de Joseph de Maistre : « Ce qu`il y a de plus admirable dans l`ordre universel des choses, c`est l`action des êtres libres sous la main divine… »
L`affrontement entre Paris et Lyon, à l`été 1793, est d`abord dû à un concours de circonstances. Fin mai à Paris, les jacobins radicaux prennent le pouvoir par une sorte de coup d`Etat, tandis qu`à Lyon se produit un mouvement exactement inverse : l`insurrection des modérés fait tomber le pouvoir local, la municipalité, dominée par les jacobins de Chalier. Parmi ces insurgés, tous donnent leur consentement, à quelques nuances près, au nouvel état des choses. Les deux camps qui s`affrontent sont donc « révolutionnaires ». Seulement, les uns pensent que la révolution doit s`arrêter, qu`elle a atteint ses objectifs, et les autres veulent aller encore plus loin, toujours plus loin... Ajoutez à cela le mépris traditionnel des gens de Paris pour la province, de laquelle on attend une soumission aveugle au pouvoir central, la surenchère des radicaux (ceux du camp jacobin de loin les plus enragés), l`absence de mécanisme démocratique et l`effet d`aubaine que représente cette insurrection providentielle pour les tenants de l`ancien monde, vous trouvez réunis tous les ingrédients de la guerre civile.
L`exemple de Lyon est loin d`être isolé. Au printemps et à l`été 1793, en réaction au coup d`Etat des Montagnards contre les Girondins, de nombreuses villes de France se sont soulevées contre Paris. On peut citer les exemples de Caen, Bordeaux, Marseille (soulèvement évoqué par Joseph Conrad dans son roman le Frère de la Côte) ou encore Toulon, qui fut réprimée au canon par un certain général Bonaparte. A chaque fois, les partisans modérés de la révolution se retrouvent aux côtés de ceux que j`appelle les « tenants de l`ancien monde », ceux qui formaient les cadres de la monarchie dans les provinces. On dénombre également de nombreuses « petites Vendée » paysannes, dans l`ouest bien sûr, mais aussi dans le Forez, en Lozère, dans le midi et même dans le Nord. Ceci est connu, mais rarement enseigné dans les manuels d`histoire…
La particularité de Lyon est d`être une ville bourgeoise et laborieuse, modérée, dotée d`une tradition industrielle et ouvrière qui est une exception dans la France de l`époque. Assez naturellement républicaine, la ville ne se laisse pas intimider par l`accusation de contre-révolution. Et l`asphyxie économique provoquée par la politique étrangère de la Convention ne prédispose pas les esprits en faveur de Paris...
Mon livre n`est pas un « livre d`histoire », et d`ailleurs –comme Louis Aragon au début de La Semaine sainte- je récuse le terme de « roman historique », que je trouve trop réducteur. Il ne s`agit pas pour moi de proposer une promenade plaisante et neutre dans un passé pittoresque. En ressuscitant cette Histoire refoulée, mon livre veut aussi contribuer à dire notre temps. Le roman, pour aborder l`Histoire, dispose de moyens qui lui sont propres. A travers l`exploration des sentiments, des émotions, des passions, il peut aller très loin dans la poésie d`une époque. Pour ceux qui la vécurent, la Révolution ne fut pas l`avènement bien ordonné d`une nouvelle ère, mais bien un temps d`angoisse, de chaos et de frénésie.
Sans doute Les Misérables, de Victor Hugo, lu à l`école primaire avec les encouragements de mon instituteur laïc et républicain. Victor Hugo, c`est un peu le patron. Même si, sur le plan politique, j`aurais adoré rompre des lances avec lui.
Aucun auteur ne m`a jamais donné envie d`arrêter d`écrire, bien au contraire. Mais j`avoue avoir été époustouflé ces dernières années par Les Maïa du Portugais Eça de Queiroz, ou encore par Anna Karénine, qui me fait rêver aussi puissamment qu`A la recherche du temps perdu de Proust. Bien plus qu`un grand roman sur l`adultère, c`est le chant du cygne d`une aristocratie, dernier inventaire d`un monde sur le point de disparaître.
Peut-être le Père Goriot de Balzac, à l`adolescence. J`étais sûr de m`ennuyer, le livre m`a subjugué. Depuis, j`ai contracté la joyeuse ambition de lire tous les livres.
La Bible, bien sûr. En France, on ne lit pas assez la Bible, contrairement à ce qui est de tradition dans les pays anglo-saxons. Il y a là pourtant une source inépuisable de poésie, de violence, de liberté, sans compter la confrontation avec la Vérité, qui ne va pas sans risque... Avec les éditions de Corlevour, nous rééditons en format de poche, livre par livre, la Bible de Port-Royal, dans la traduction de Lemaître de Sacy. Un joyau de la prose française.
J`ose à peine le dire : Guerre et paix de Léon Tolstoï. Cette lacune sera comblée dès cet automne. A trente ans, je préférais Dostoïevski, Tolstoï me tombait des mains. J`ai changé…
Smara, bien sûr, de Michel Vieuchange (Libretto). Sous le patronage duquel j`ai placé, il y a dix ans, mon désir de cheminer en littérature…
Ce qui est surfait, en littérature, se trouve rarement parmi les classiques. Heureusement, on peut encore faire confiance au travail du temps…
Il y en aurait des milliers. Peut-être celle-ci, du cardinal de Retz, qui est très valable pour le romancier : « on ne sort de l`ambigüité qu`à son détriment »…
Les Forestiers, de Thomas Hardy (trad. Antoinette Six, Libretto). Un magnifique roman, par l`auteur de Tess d’Urberville et de Jude l`obscur. Le destin amoureux d`une jeune femme éduquée en demoiselle, quoiqu`issue de la paysannerie, dans les tréfonds d`une Angleterre sauvage.
'L'histoire se déroule à Ille, petite commune du sud de la France dans :