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Critiques de Anton Tchekhov (651)
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La Mouette

Courir après des chimères, se brûler les ailes aux lumières de la rampe et autres trivialités humaines...

Anton Tchekhov aborde dans La Mouette la thématique, ô combien d'actualité, des jeunes gens désirant plus que tout s'adonner aux métiers artistiques, et tout particulièrement, ceux du spectacle.

Combien d'apprentis chanteurs, danseurs, acteurs, humoristes, musiciens, écrivains se retrouveront, eux et leurs illusions déçues dans cette mouette, symbole du jetable ; un coup de fusil et on n'en parle plus !

Mais La Mouette c'est aussi bien plus que cela et s'il est réellement une œuvre qui souffre de la traduction en français, c'est assurément celle-là. En effet, Anton Tchekhov joue fréquemment sur le signifiant et le signifié des mots et des noms qu'il emploie, chose indubitablement perdue à la traduction.

En russe, le mot « mouette » ressemble à un verbe qui signifie « espérer vaguement quelque chose, plutôt en vain » (de même pour le nom de Medvedenko qui évoque en russe l'ours pataud). De plus, si l'on se souvient que la scène se déroule au bord d'un lac à l'intérieur des terres, la mouette devient alors un oiseau égaré, blanc parmi les sombres alentours, symbole à la fois de candeur, de fragilité et d'égarement, d'espoirs plus ou moins déçus et de voix dissonante.

On est donc loin des hordes piaillardes et envahissantes des bords de mer auquel le nom « mouette » fait référence, de prime abord, dans notre esprit, pour nous autres, habitants des franges du continent. L'oiseau le plus proche en français de ce qu'a voulu exprimer l'auteur serait peut-être l'hirondelle, pour la notion de fragilité et de vague espoir, mais bien loin de recouvrir toutes les thématiques évoquées plus haut.

Tchekhov nous dépeint un monde où les artistes célèbres sont mesquins, égoïstes, narcissiques et sans intérêt comme l'actrice Irina Arkadina ou l'écrivain Trigorine, ceux qui désirent devenir artistes sont gonflés d'orgueil et de talent parfois douteux à l'instar de Treplev et Nina, les gens en place désirent autre chose que ce qu'ils ont tels Sorine, Medvedenko, Macha ou Paulina.

Bref, tous courent plus ou moins après des chimères (la reconnaissance du public ou celle de ses pairs, l'amour de quelqu'un qui ne vous aime pas, le mode de vie opposé à celui que l'on pratique, etc.). Finalement, (est-ce un hasard sachant que Tchekhov est médecin de formation ?), un des seuls à avoir des yeux lucides semble être le médecin Dorn, qui possède un regard distancié et détaché des émotions, qui sait goûter le talent quand il est là et qui n'essaie pas d'avoir un autre âge que celui qu'il a.

En somme, une pièce qui remue beaucoup du côté de nos attentes, souvent un peu triviales ou inaccessibles, alors qu'à deux pas, l'accessible est négligé, tels l'amour de Macha pour Treplev, l'amour de Treplev pour Nina ou sa mère, l'amour d'Arkadina pour Trigorine, l'amour de Paulina pour Dorn, etc.

Le message de Tchekhov pourrait être : " Ne regardez pas trop haut, n'allez pas vous griller les ailes comme un papillon de nuit sur une lampe à incandescence et sachez jouir de ce qui est à votre portée. " Si vous obtenez de la reconnaissance sans l'avoir cherché, tant mieux, sinon, ce n'est pas bien grave car les trompettes de la renommée sont souvent bien mal embouchées comme disait si justement Georges Brassens...

Voici mon avis, un tout petit avis, blanc et piaillard, tout blanc, sur fond blanc, c'est-à-dire bien peu de chose en définitive.
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Oncle Vania

Puis-je me permettre un conseil ? Si vous ne lisez qu'une pièce de Tchekhov, choisissez celle-ci : vous ne serez pas déçus, ou si vous l'êtes, vous le serez de toutes les autres. Il s'agit chronologiquement de la cinquième de ses sept pièces longues et elle en constitue, selon moi, la quintessence.



Anton Tchekhov signe en effet un petit bijou avec cet Oncle Vania (diminutif d'Ivan, rien à voir avec un quelconque représentant en serviettes hygiéniques). Il a l'art de créer des ambiances, dans ses pièces, où tout semble voué au capotage.



Des gens contraints de vivre ensemble et qui ne peuvent pas se souffrir, certains qui en aiment d'autres sans qu'il y ait de réciprocité, des ambitions inassouvies, des attentes, des frustrations, bref, un cocktail détonnant pour planter le décor d'une bonne empoignade familiale !



Jugez plutôt : Vania déteste Sérébriakov, l'ex-mari de sa soeur défunte, mais il aime Eléna, la nouvelle épouse de celui-ci. Sonia, la fille de Sérébriakov aime le docteur Astov, qui lui aussi aime Eléna, qui elle n'aime personne, tout comme son mari Sérébriakov d'ailleurs.



Une véritable orfèvrerie de situation pourrie où les protagonistes ont ruminé de longue date leurs frustrations respectives. Ajoutez là-dessus le sel d'un tempérament bien trempé, ironique, caustique, sarcastique tel que celui de l'oncle Vania, le tout doublé d'une sérieuse tendance à démarrer au quart de tour, et vous aurez une petite idée de l'ambiance de plomb qui règne dans cette maison de campagne.



Hormis ce décor relationnel, Tchekhov peaufine aussi la patine historique de ses personnages ainsi que l'environnement géographique rural de cette pièce : Sérébriakov est un professeur à la retraite, surtout expert en glose, qui jouit d'une certaine célébrité et qui a toujours vécu en ville, loin des préoccupations matérielles. Mais étant retiré, et faute de moyens suffisants, il est venu s'installer avec sa jeune et jolie nouvelle femme, Eléna, dans la maison appartenant à sa première épouse décédée, une grosse ferme à la campagne.



Le domaine fonctionne depuis des lustres grâce à l'abnégation et l'énergie de Vania et de sa nièce Sophia, fille du professeur issue de son premier mariage. On apprend que depuis des années, le professeur tire ses revenus du travail de Sophia et Vania, lequel a ouvert récemment les yeux sur le talent douteux de Sérébriakov ainsi que sur Eléna, dont il est tombé follement amoureux.



À travers les yeux de Sophia et de Vania, l'un et l'autre non désirés et pourtant méritants, Tchekhov nous peint un tableau touchant, tragique, bouché et sans issue, d'une existence ratée où il ne reste guère que le suicide ou l'abnégation. C'est donc un regard assez déprimant mais non dénué de vérité sur la condition humaine et son non-sens.



En outre, au-delà des frustrations et vitupérations de Vania, il me faut signaler l'autre personnage hyper intéressant de cette pièce, en la personne du docteur Astov. Si l'on se souvient que l'auteur était lui-même médecin, on comprend qu'il y a mis une certaine dose de sa propre personne.



J'en retiens surtout un étonnant discours écologiste et une vision du développement durable très en avance sur son époque. Ce n'est pas un motif nouveau chez lui, il l'avait déjà exprimé dans une pièce antérieure, Le Sauvage (ou L'Homme Des Bois, selon les traductions). Ceci n'est probablement pas étranger au fait qu'Anton Tchekhov fit son fameux voyage à l'île de Sakhaline dans la même période où il remaniait sa pièce Le Sauvage qui allait finalement aboutir à cette pièce, constatant au passage l'étendue de l'impact négatif de l'Homme sur la nature.



À plusieurs égards, cet Oncle Vania reprend, revisite ou annonce certains des éléments typiques du " style " Tchékhov, comme on peut le retrouver dans ses autres pièces, mais avec une légère préférence quant à moi pour cette version de son style, un peu moins intellectuel ou oscarwildesque, un peu plus " à la bonne franquette ", quasi franchouillard, au sens de Michel Audiard j'entends.



Et sur ce point, je ne peux que féliciter le metteur en scène qui eut l'idée géniale de confier le rôle de Vania à Jean-Pierre Marielle (voir la couverture de l'édition du livre de poche) car, durant toute la lecture de la pièce, j'entendais sa voix dans les répliques et c'était un bonheur, souvent drôle et grotesque, caustique et cassant, tragique et touchant.



En somme, une pièce superbe, d'une fraîcheur et d'une efficacité redoutables ; du très grand Tchekhov, en tout cas c'est mon petit avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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L'homme des bois

Il y a bien longtemps, lorsque j'étais au collège, il y avait un type d'ouvrage qui faisait fureur à l'époque chez les ados que nous étions : les livres dont vous êtes le héros. Peut-être certains d'entre-vous s'en souviennent-ils avec émotion et/ou nostalgie ? L'archétype du genre était certainement le Labyrinthe de la Mort de Ian Livingstone. Je me souviens en avoir lu un, un seulement, vaguement, qu'on m'avait prêté. Non pas qu'il ne m'ait pas plu mais tout simplement parce qu'en ce temps-là, il fallait se lever de bonne heure pour essayer de me faire lire un livre. Voyez comme les choses peuvent changer…



Bref, si le concept vous plait, sachez qu'avec L'Homme Des Bois, et dans cette édition Babel en particulier, c'est possible. Je m'explique. L'Homme Des Bois (traduit chez Gallimard sous le titre : le Sauvage, et chez Bouquins sous l'appellation : le Génie Des Bois) est en fait une version préliminaire de ce qui deviendra le véritable chef-d'oeuvre d'Anton Tchékhov, Oncle Vania.



Prenez la même trame, le même début, amoindrissez quelque peu le rôle de Vania et enrichissez de façon inversement proportionnelle le rôle du médecin Astrov et vous obtenez L'Homme Des Bois. Changez simplement quelques noms voire seulement les prénoms comme c'est le cas pour Vania qui s'appelait initialement Iégor, ajoutez ou retirez l'un ou l'autre des personnages secondaires et vous basculez facilement de l'une à l'autre de ces pièces en quatre actes.



L'essentiel des différences se situent en fin d'acte III et dans l'acte IV, mais le début, la trame et l'esprit sont en tous points les mêmes. Et si vous êtes absolument fan des lectures sur synopses comme pour les trois évangiles de Marc, Mathieu et Luc, les traducteurs André Marcowicz et Françoise Morvan vous ont gâtés et ont mis à votre disposition une version totalement inédite en français qui est un proto Homme Des Bois.



Elle aussi présente des différences surtout en fin d'acte III et dans l'acte IV. C'est alors un drame très sombre, rendu plus heureux sur la fin dans la version définitive de L'Homme Des Bois. Mais, selon votre humeur et vos attentes, vous pouvez, en combinant ces deux versions de L'Homme Des Bois avec cette troisième version qu'est Oncle Vania, vous créer une pièce de théâtre dont VOUS êtes le héros.



Choix n°1 : vous voulez que tout capote sentimentalement de bout en bout et pour tout le monde avec une dominante écologique — choisissez la version initiale de L'Homme Des Bois.



Choix n°2 : vous souhaitez conserver le personnage de doux rêveur du médecin Khrouchtchov mais en ayant un épilogue un peu moins déprimant — choisissez la version définitive de L'Homme Des Bois.



Choix n°3 : vous privilégiez les pétages de boulon de celui qui a travaillé dans l'ombre toute sa vie pour un universitaire tocard et préférez moins vous étendre sur les états d'âme du médecin écolo — choisissez Oncle Vania.



Anton Tchékhov avait très bien perçu qu'il y avait une tension dans cette pièce entre deux personnages hyper intéressants l'un et l'autre et qui pourtant n'ont rien à voir ni à se dire. Je lui donne 100 % raison d'avoir remanié cette pièce pour en faire Oncle Vania, car ce personnage de Vania, ici Iégor est vraiment trop intéressant, dramatiquement parlant, pour ne pas l'étoffer.



En revanche, je trouve que dans cette version définitive de L'Homme Des Bois, version médiane pourrait-on dire, ni l'un ni l'autre des deux personnages phares ne sont développés à fond et cela me semble dommage. J'aurais aimé que, comme son nom l'indique, l'homme des bois, c'est-à-dire le personnage du médecin Khrouchtchov, eût été plus poussé, plus creusé, plus développé car il a lui aussi un potentiel dramatique, probablement trop peu exploité.



La logique veut que lorsqu'on donne pour titre à une pièce le nom d'un de ses personnages, ce personnage en question soit le principal, or ce n'est pas le cas ici. La logique veut également que lorsqu'une pièce est bicéphale ou polycéphale, le contraste entre les principaux protagonistes soit porteur de sens or, ici, les deux personnages centraux que sont Iégor Voïnitski et Mikhaïl Khrouchtchov n'offrent pas un contraste l'un par rapport à l'autre, mais par rapport à un troisième, à savoir, Alexandre Sérébriakov, l'universitaire à la retraite.



C'est en ce sens que je trouve L'Homme Des Bois moins bien né et moins bien construit que ne peut l'être Oncle Vania où c'est clairement l'opposition Vania/Sérébriakov qui est le poumon de la pièce. Il y avait, je pense, moyen d'en faire autant ici car l'auteur souhaite épingler le comportement déviant de ces citadins qui viennent, pour des raisons économiques, s'installer à la campagne, tout en souhaitant conserver leur train de vie et leurs loisirs des grandes villes.



Il y a donc incompatibilité et incompréhension, de nature et de conviction entre ceux d'ici, de la terre, qui essaient de trouver un mode de vie et de revenu durable, qui ne s'accommodent donc pas des flambées d'argent inutiles et injustifiées avec ceux de là-bas, ceux des villes, ceux qui sont déconnectés de la réalité pragmatique du sol, ceux qui utilisent comme seul moyen de médiation l'argent — désincarné, comptable.



L'étincelle, le catalyseur de discorde, va être la décision de vendre le domaine familial pour le convertir en argent sonnant. C'est une thématique chère à l'auteur et qui reviendra dans son oeuvre, notamment au travers de sa toute dernière pièce, La Cerisaie.



L'homme des bois condamne et fustige cette attitude qui consiste à ne considérer la terre, le sol ou les forêts que comme une source de revenu sans aucune prise en compte de l'écosystème dont elles font partie. Selon lui, c'est un comportement irresponsable et nuisible pour l'avenir.



Iégor s'oppose lui aussi à la vente du domaine, mais pour une tout autre raison, qui n'a rien à voir avec l'écologie. C'est le déni des humains qui l'habitent et qui lui donnent corps, le fait de les considérer comme quantité négligeable qui révolte ce dernier.



Et n'oublions pas, comme à chaque fois dans les pièces longues de Tchékhov, cette fondamentale incompréhension des coeurs humains. Tout le monde aime quelqu'un qui en retour ne l'aime pas et en aime un autre, qui à son tour en aime un autre, si bien que tout le monde en est malheureux et incompris.



En somme, des thématiques toujours très actuelles, qui ne concernent certes plus tellement les possessions de l'aristocratie mais plutôt de nos jours les entreprises. Pour gagner tel pourcentage, tant de points sur un bilan annuel devant les actionnaires, on n'hésite pas à sabrer tout un bassin d'emploi, pour gagner telle somme, ponctuellement et en une seule fois, on n'hésite pas à polluer ou piller les sols durablement, etc.



D'indéniables qualités mais une construction dramatique pas optimale selon moi, qui explique la moins grande renommée de cette pièce au détriment de sa fille, Oncle Vania. Ceci n'étant, vous l'aurez compris, que l'expression hautement subjective d'un modeste avis isolé, un baliveau au milieu d'un vaste bois, c'est-à-dire pas grand-chose.
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L'Île de Sakhaline

Ça vous dirait un petit séjour dans une station bagne & air ? Anton Tchékhov nous offre ici une très étrange contribution à l'histoire mondiale de la littérature. Bien malin celui ou celle qui pourrait catégoriser cet écrit de façon formelle.



Tout d'abord récit de voyage dans les quatorze premiers chapitres puis rapport d'analyse quasi scientifique dans les neuf chapitres suivants. C'est autant au Tchékhov médecin qu'au Tchékhov écrivain auquel nous avons affaire, triplé du Tchékhov journaliste, acteur social et politique.



Le contexte : 1890, il fait beau, Anton s'ennuie et a des fourmis dans les jambes, donc, que fait-il ? Il prend ses clics et ses clacs et s'embarque pour le bagne de l'île de Sakhaline (c'est un peu comme si Victor Hugo avait décidé de faire une virée aux îles du Salut en Guyane), sans aucun mandat officiel, avec le risque éminent de se faire refouler à l'entrée, histoire d'avoir une idée de ce qu'est ce bagne insulaire et des conditions de vie endurées par les condamnés.



Cette île, située à peu près à la même latitude que la France, jouit de sa splendide position aux confins de la Sibérie et de la glaciale mer d'Okhotsk qui lui confère un climat semi polaire océanique, caractérisé par un froid humide constant, difficilement supportable l'été et cent fois pire en hiver.



L'auteur va entreprendre une tâche pharaonique, à savoir se rendre dans toutes les isbas des relégués ou les centres pénitentiaires afin de faire un recensement précis et exhaustif de toutes les informations que l'on peut raisonnablement obtenir des bagnards.



Bien que dans cet ouvrage Tchékhov nous donne souvent son avis et à ce titre, pourrait faire penser à un essai politique, le plus souvent, l'auteur choisit une certaine objectivité, une distanciation, se borne à apporter des éléments de compréhension et de comparaison afin que son lecteur se fasse sa propre opinion.



Il est bien évident que les conditions sanitaires, l'aliénation physique et mentale des condamnés, l'âpreté générale de la vie sur l'île sont les axes majeurs de l'oeuvre. Mais pas seulement, et loin s'en faut ; Tchékhov souligne aussi, à chaque fois que c'est justifié les manquements et les réussites de l'administration pénitentiaire, il nous évoque l'aveuglement, soit volontaire, soit par négligence ou soit par désintéressement, de la Russie d'Europe, commanditaire de cette institution.



Il donne des éléments ethnographiques sur les populations locales, des informations biologiques ou géographiques sur l'île, raconte des anecdotes ou cite des références bibliographiques techniques.



Au final, cet étonnant ouvrage qui annonce le terrifiant "Archipel du Goulag" d'Alexandre Soljenitsyne, se veut probablement une dénonciation du bagne en tant que "moyen d'amendement du condamné" car selon lui, la rudesse et les déviances subies par des lascars déjà assez rudes et déviants engendre une rudesse et une déviance plus coriaces encore, mais aussi une dénonciation du système de "colonie" pénitentiaire.



En effet, selon lui, la colonisation de cette terre très hostile présente et nécessite des exigences bien particulières afin de mettre les colons en situation de réussite pour tendre vers l'autosuffisance, conditions jamais réunies même pour les paysans proscrits de bonne foi et qui cherchent réellement à reconstruire un foyer et à vivre de leur travail (c'est-à-dire ceux qui ont fini leur temps au bagne, mais qui doivent demeurer sur l'île leur vie durant car la relégation définitive faisait aussi partie de la peine, donc une forme patente de double peine).



Tchékhov laisse d'autant mieux l'opinion finale au lecteur qu'il ne donne pas de conclusion, laissant à chacun sa libre perception des éléments fournis (même si cette liberté n'est que polichinelle et que son message demeure très clair et sérieusement orienté vers l'intelligentsia russe de l'époque en une sorte de "vous ne pourrez plus dire qu'on ne savait pas").



En somme, un véritable petit OVNI littéraire, mais ceci n'est que mon avis, digne de relégation parfois, c'est-à-dire, pas grand chose.
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La Dame au petit chien

"Personne, avant Tchekov, ne sut montrer avec autant d'impitoyable vérité, le fastidieux tableau de leur vie, telle qu'elle se déroule dans le morne chaos de la médiocrité bourgeoise." Maxime Gorki.



"Une vie étriquée aux ailes rognées, une vie de pacotille et aucun moyen de s'en échapper, de fuir..."



La Vie donne une chance à Anna, (une aristocrate malheureuse dans son mariage) et Dmitri...



La souffrance, la timidité et la naïveté d'Anna, la dame au petit chien, en font un personnage attachant.



Elle est celle qui va révéler à Dmitri Gourov, époux infidèle et séducteur patenté, la vacuité de son existence...



"Quelles nuits stupides, quels jours dépourvus d'intérêt et de sens!"

S'enivrer, bâfrer, jouer aux cartes, se vanter et parler encore et toujours de la même chose...



Dmitri va racheter ses erreurs et ses mensonges grâce à l'Amour! ( Anton Tchekov multipliait les conquêtes avant de se marier, 3 ans, avant sa mort...)



L'auteur traite le désir d'émancipation de la femme russe au XIXe siècle, différemment de Tolstoï ou de Dostoïevski (qui ont un message à faire passer, via leur personnages...)
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La Dame au petit chien et autres nouvelles

Je n'avais encore rien lu d'Anton Tchékhov, cet écrivain russe, principalement nouvelliste et dramaturge. C'est en découvrant La dame au petit chien arabe de Dana Grigorcea, roman de la rentrée littéraire 2019 - librement inspiré de la nouvelle de Tchékhov : La dame au petit chien - que j'ai décidé de lire cette nouvelle et par là même ce recueil de nouvelles. Celui-ci en comporte quinze ayant pour point commun les femmes.

Il m'a fallu un peu de temps pour m'accoutumer à son style. Si, au début, je l'ai trouvé un peu suranné même un peu ennuyeux, au fil des nouvelles, j'ai fini par apprécier ces courts récits, à l'écriture concise, qui disent peu et pourtant beaucoup à la fois. Pas de morale, pas de conclusion, chaque nouvelle nous laisse un peu sur notre faim et ouvre la voie à plusieurs interprétations possibles, mais n'est-ce pas là le propre et le but d'une nouvelle ?

Malgré la brièveté des récits, l'écrivain a su dresser des portraits magnifiques et excellents des personnages, notamment des femmes où leur psychologie est profondément et superbement analysée. Tchékhov brosse ainsi toute une palette de femmes aux caractères très différents parfois superficielles et capricieuses, souvent belles et séduisantes, mais la plupart du temps sensibles, insatisfaites, rêvant d'une autre vie inaccessible. En ressort souvent, une impression de mélancolie et de tristesse, car, à chaque fois ce sont des drames qui sont évoqués, mais drames où l'issue reste ouverte.

A travers ces récits on retrouve l'impossibilité d'aimer que Tchékhov a éprouvé toute sa vie, mais l'amour lui a inspiré émotion ou ironie. Si, comme dans La dame au petit chien, il fait preuve de cynisme, il le fait avec une sensibilité incroyable et décrit à merveille l'hypocrisie du monde. D'ailleurs je laisse la parole à Gorki (écrivain russe du 19e siècle) qui dira à son propos : « Personne n'a compris avec autant de clairvoyance et de finesse le tragique des petits côtés de l'existence ; personne avant lui ne sut montrer avec autant d'impitoyable vérité le fastidieux tableau de leur vie telle qu'elle se déroule dans le morne chaos de la médiocrité bourgeoise ».

Si, bien sûr, ces nouvelles ne se valent pas toutes, elles transcrivent toutes cependant des sentiments de façon magistrale ! Même si ce n'est pas le thème principal, la vie en Russie en cette fin de 19e siècle sert de toile de fond aux différents récits et les enrichit et il est souvent fait allusion aux criantes injustices sociales. Ces nouvelles ont du coup une véritable valeur documentaire.


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La Cerisaie

La Cerisaie est une œuvre symbolique. Les cerisiers en fleur (n'oublions pas la vogue japonaise qui avait frappé l'occident durant le XIXème siècle) symbolisent le raffinement, l'esthétique, l'éphémère, l'art, le faste, le tape-à-l'œil, la frivolité, en un mot l'aristocratie.

Ceci s'oppose bien évidemment au matérialisme, au pragmatisme, à la terre, au sol, en tant que quantité de mètres carrés sur lesquels poussent ces arbres.

C'est donc tout un symbole que la cession de la cerisaie (demeure et domaine de la noblesse russe) par l'aristocratie à la bourgeoisie et c'est ce symbole que choisit Anton Tchékhov pour nous montrer la fin d'une époque, la prise de pouvoir par les financiers au tournant du XXème siècle, notamment suite à l'abolition du servage en Russie en 1861.

Cette pièce est donc tout à fait dans la droite lignée des Démons (les Possédés) de Dostoïevski. Tchékhov sent aussi parfaitement monter les ferments de ce qui sera la révolution de 1917.

Pour nous montrer cette décadence, cette perte de contrôle de l'aristocratie, ce manque de lucidité, au début de la pièce, chaque personnage est dans sa propre bulle, chacun répond à côté de la plaque, sauf l'homme d'affaire, descendant de paysan, Lopakhine, qui, lui, a bien perçu que le vent a tourné et qu'il apporte des odeurs de roussi.

Tous les autres sont dans les mirages d'un monde et d'une époque qui a disparu, révolue, qui s'est évanouie pour laisser place à une autre, mais que leurs yeux sont incapables de déceler, sauf peut-être l'étudiant utopique Trofimov, ancien précepteur d'un enfant qui est mort (encore un symbole !) et qui attend béatement l'heure du changement en s'imaginant que tout sera bonheur, liberté et égalité si une révolution survient.

En ce sens, c'est-à-dire, la poursuite des chimères, la non perception de la réalité, cette pièce se rapproche de La Mouette. C'est probablement la pièce la plus célèbre de Tchékhov, mais, définitivement, ce n'est pas ma préférée, car Oncle Vania m'a beaucoup plus séduite.

Évidemment, le ton Tchékhov, la facture Tchékhov, les ingrédients Tchékhov sont tous là, et comme ses trois sœurs (excusez-moi le calembour, il s'agit évidemment de La Mouette, Oncle Vania et Les Trois Sœurs) c'est une tragi-comédie grinçante et très typique de l'auteur.

On peut juste préciser que certaines mentions, notamment aux vacanciers, à la révolution latente, aux changements économiques annoncent ou font écho à l'œuvre de Gorki.

Voilà, si je dois conclure, je dirais que cette pièce, très caractéristique du style Tchékhov est un trait d'union entre Dostoïevski et Gorki, le témoin d'un pan de l'histoire russe qui s'effondre et d'un autre, à créer.

Ce n'est pourtant pas celle que je porte le plus dans mon cœur, excusez-m'en, en outre rassurez-vous, ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, une floraison aussi futile et éphémère que celle d'une branche de cerisier, autant dire, pas grand-chose.
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Oncle Vania

Je me demande si Tchekhov n’est pas un précurseur du théâtre de l’absurde ? Dans leurs révoltes vaines et décalées au milieu de l’intolérable tranquillité de la vie, les personnages semblent faire une expérience limite du sens de l’existence et le deuil de leur destin.



Le séjour d’un écrivain imposteur et de sa jeune épouse Elena, brulante de sensualité et de désir de vivre étouffés par l’ennui, perturbe la vie de labeur des autres personnages.



Oncle Vania notamment semble être l’incarnation d’une réflexion du temps qui passe cruellement, « hier encore », il aurait pu se marier, changer de vie, quitter la cage depuis laquelle il éructe.



Sonia est une figure d’abnégation, elle endure les fins de non-recevoir que le bonheur lui oppose sans broncher « nous nous reposerons » répète-t-elle ainsi, s’en remettant à une ligne imaginaire qui recule au fur et à mesure que la vie progresse : l’horizon.



« De rapport immédiat, pur, libre à la nature et aux gens, il n’en a plus…plus du tout (il veut boire) ». Astrov, le médecin écolo (il ne mange pas de viande et plante des arbres pour contrer la déforestation) fait office de personnage philosophique, pour lui l’homme « détruit tout, sans penser au lendemain » ce qui fait sourire un siècle et demi plus tard, notamment vis-à-vis des arguments de type « autre temps, autre mœurs » ...

Astrov n’aime plus personne, il n’attend plus rien pour lui-même et fuit sa lucidité dans les effluves de vodka et la vision d’Elena.



Le style de cette pièce, jouée pour la première fois en 1897, est d’une extrême délicatesse et reste un témoignage de la force de l’âme russe, qui après quelques vodkas disserte des thèmes les plus profonds de l’existence. Notamment les thèmes chers à Tchekhov, comme l’impossibilité de vivre un amour, d’où les désillusions cruelles qu’il inflige à ses personnages, mais aussi sa réprobation sourde d’un mode de vie aristocratique russe coupé des réalités, il fait dire à Astrov, qui par ailleurs clame son mépris de la vie « petite-bourgeoise » : « ce sont les autres qui travaillent pour elle…et une vie oisive ne peut pas être pure ».



Mais quel émerveillement lorsqu’au Théâtre de l’Odéon, les comédiens superbes (Elena notamment, campée par une Elizaveta Boyarskaya magistrale) du Théâtre des Nations de Moscou font revivre, en russe (surtitré français) les mots de Tchekhov et donnent par leurs larmes, leurs cris, leurs étouffements et leurs silences à cette pièce une beauté poignante pour le public français.



Pour finir, avant que le samovar ne refroidisse pour de bon, la frustration humaine, cet ennui, cette paresse qui a tant inspirée les russes, convertis à l’oblomovisme, vient des propensions de notre vie car comme le décrivait si bien Paul Valéry « l’homme est plus général que sa vie et ses actes. Il est comme prévu pour plus d’éventualités qu’il n’en peut connaître » ; c’est sans doute d’ailleurs le carburant premier de la littérature, de la psychologie.



Partant, avec Valéry, du fait que « mon possible ne m’abandonne jamais », qu’il me tourmente, me culpabilise, me ridiculise, m’aveugle, me désillusionne, qu’il faut que je me réconcilie avec lui pour pouvoir continuer à vivre, en espérant, avec Sonia, qu’un jour « nous nous reposerons ».



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Le moine noir

Je découvre Anton Tchekhov avec ce drame en neuf actes au format nouvelle, une soixantaine de pages d'une belle densité. J'ai surtout découvert une belle plume ainsi qu'un excellent novelliste !

On évoque souvent l'âme slave, pour ma part, je l'ai rarement vu aussi bien évoquée que dans ce récit à travers les personnages de Kovrine, de Pessotzki et de sa fille Tania.

Kovrine, le personnage principal du récit est un étudiant brillant, un travailleur infatigable et futur agrégé promis à une grande carrière dans le monde de l'érudition. Au bord du surmenage, il accepte l'invitation de Pessotzki, son ancien tuteur et s'installe dans l'exploitation agricole de ce dernier.

Aimé et admiré de tous, Kovrine devient l'objet de l'attention de tous et toutes, Pessotzki, qui ne vit que pour son jardin, espère que Kovrine épousera la frêle Tania.

Kovrine, qui apprécie ce changement de vie et le bon air n'en réduit pas son rythme de travail pour autant, il dort peu et dilapide son énergie. c'est alors qu'il se repose sur un banc qu'il rencontre pour la première fois le moine noir, un être de légende sensé se manifester tous les mille ans.

Difficile de savoir ce que chaque lecteur trouvera dans cette lecture, pour ma part, j'y ai vu la démonstration que la folie pouvait engendrer le génie, et la schizophrénie provoquer des dialogues féconds, et que le tout pouvait donner à un homme un charisme brillant de mille feux.

Kovrine est-il fou ? Le remède sera-t-il pire que le mal ? Peut-on redevenir quelqu'un de normal après avoir tutoyé les étoiles ? je n'en dirai pas plus, pour ma part j'ai apprécié cette première rencontre avec l'auteur !
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La steppe

Une chevauchée lente sur la mer verte…



Une mer d'un brun vert, vaste plaine sans limite, sertie de collines se fondant au lointain dans une teinte lilas puis une brume mauve. Tel est le cadre, et le personnage principal, de cette longue nouvelle de Tchekhov. Capturée en mille et une estampes sur lesquelles il est aisé d'imaginer chevaucher fougueusement ces cosaques qu'un certain Gogol a si bien mis en valeur dans Tarass Boulba.



La steppe montre à quel point la simplicité peut se parer de ses meilleurs atours. La steppe est en effet la simple histoire d'un voyage en calèche, celle d'un petit garçon de neuf ans, accompagné de son oncle et d'un pope, ayant pour but de l'amener dans une ville lointaine où il doit poursuivre ses études. le voyage part de Moscou pour aller à Taganrog et traverse ainsi la steppe russe et ukrainienne. Traveling lent au cours duquel Anton Tchekhov se fait naturaliste, nous offrant des observations à la beauté renversante de la flore et de la faune, et quelques arrêts sur image permettant de découvrir des personnages pittoresques, âme de la Russie. Et c'est tout. Il ne se passe rien d'autre. Mais cette simple histoire de la fin de l'enfance et du début d'une autre vie, la steppe faisant symbole de transition, m'a fait grande impression.



Ces paysages réveillent chez l'auteur des souvenirs d'enfance. Iegorouchka est sans doute Tchekhov enfant. Armé de son amour et de sa fierté pour son pays, comme l'ont fait également Tolstoï ou Tourgueniev par exemple, l'auteur nous offre de superbes tableaux de la steppe, des tableaux diurnes et nocturnes, des peintures du lever et du couchant, des estampes de chaleur méridienne et d'orages déchainés en pleine nuit. Au moyen d'étonnantes métaphores, l'auteur sait rendre ces tableaux vivants, comme si la steppe était animée de volonté, Tchekhov personnifie la nature et les éléments dans lesquels les humains et les animaux semblent n'être que des pantins voués à l'inéluctable.



« de grosses pelotes de fumée noire, épaisse, se formaient sous les toits de roseaux à ras de terre et s'élevaient paresseusement. le ciel au-dessus des fabriques et du cimetière était bistre ; les grandes ombres que projetaient les nuages de fumée rampaient dans le champ et traversaient le chemin. Dans la fumée, auprès des toits, bougeaient des hommes et des chevaux, couverts de poussière rouge… »



La steppe semble également refléter les états d'âme de ce petit garçon qui a été brutalement éloigné du giron maternel. Véritable cassure, douloureuse déchirure, le garçon sent que son enfance prend fin et éprouve une profonde tristesse tout en étant fasciné par la nature observée. Subtilement, à travers les descriptions de la nature, nous arrivons à ressentir par quels états il passe et quel sentiment de solitude il endure durant ces quelques jours et à éprouver peu à peu une vraie empathie pour lui.

« A peine le soleil est-il couché et la terre emmitouflée de ténèbres, que la langueur diurne est oubliée, tout est oubliée, et la steppe respire légèrement de sa vaste poitrine. Comme si, dans l'obscurité, l'herbe ne voyait pas sa vieillesse, elle devient le lieu d'un jeune et joyeux crépitement, inconnu dans la journée ; craquements, sifflements, grattements, basses, ténors et soprani de la steppe, tout se mêle en un grondement monotone, incessant, favorable aux souvenirs et à la mélancolie ».



Les personnages rencontrés par ailleurs sont particulièrement pittoresques. Durant les arrêts sur image, le naturaliste se ferait presque sociologue. Que ce soit l'oncle, homme d'affaires, le pope, la comtesse Draniska, le voyou Dymov, la famille juive dans sa pauvre isba, le cosaque croisé, cette longue nouvelle contient en elle les germes d'une étude possible de la société russe qui vie ou qui traverse la steppe. A travers les yeux du petit, ces personnages se font parfois inquiétants, dignes des contes et légendes russes.



Roman d'apprentissage, récit initiatique, récit de voyage, récit autobiographique, éloge de la nature et de l'âme russe, Tchekhov disait de ce petit livre qu'il était son chef d'oeuvre. Et en effet, sous une apparence de simplicité, voire d'indolence, ce livre contient beaucoup. Beaucoup d'humanité.



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Les trois soeurs

Quelle est la recette secrète d’une pièce de Tchekhov ?

- Tout d’abord, mettez en présence une bonne brochette de personnages névrosés, dévorés d’ambitions ou d’envies inassouvies, d’amours avortées, de rancœurs diverses, d’inimitiés masquées.

- Enfermez ensuite tout ce petit monde dans le réduit d’une maison de campagne, par exemple, et faites monter la pression façon huis clos dans cette cocotte-minute rurale pour citadins endurcis.

- Pour vos personnages, respectez les proportions suivantes : 1, 2 ou 3 superbes femmes et autant de laides, avec entre elles une bonne pincée de sel de jalousie. Pour les hommes, sélectionnez un vrai tocard, si possible, jouissant d’une situation enviable histoire de susciter les convoitises d’un autre, plus compétent mais non reconnu ; prendre également un homme d’authentique talent dont la promiscuité du groupe rend les qualités inopérantes, sans oublier un amoureux fou, marié ou non, cela n’a pas d’importance, la seule chose qui prime étant qu’il soit raide dingue de la seule femme de l’assemblée qui ne puisse pas l’encadrer. Il faut évidemment que cette femme soit elle-même éprise d’un autre qui ne fera, bien sûr, aucun cas d’elle, et ainsi de suite, vous avez compris le principe.

- Préférez, pour ces personnages, une moitié environ d’aristocrates ou de représentants de la haute bourgeoisie que vous ferez mariner à feu doux avec quelques membres d’autres classes sociales afin de faire ressortir leur ego.

- Ajoutez enfin dans cette pétaudière un petit élément catalyseur qui va faire éclater la marmite.

- Servez très frais en ramassant les débris éparpillés de-ci, de-là.

Voilà pour les aspects généraux du théâtre d’Anton Tchekhov. Concernant plus particulièrement Les Trois Sœurs, on peut dire qu’il n’a pas choisi la facilité car son thème est casse-gueule au possible, à savoir, faire une pièce sur l’ennui, la vacuité de la vie et les vains espoirs. Un drame qui aurait en quelque sorte pour questionnement : Pourquoi faut-il vivre dans cette vie qui ne rime à rien ?

Au départ, nous avons donc trois sœurs, Olga, l’aînée, Macha, la cadette et Irina, la benjamine, qui sont orphelines de leur père, ancien officier haut placé dans l’armée, et de leur mère. Elles partagent la maison familiale, située à la campagne, avec leur frère Andreï.

Toutes trois rêvent de retourner vivre à Moscou, loin de cette petite ville de garnison où leurs seuls contacts sont pour l’essentiel des militaires ayant bien connu le papa.

L’auteur s’essaye à un exercice assez difficile au théâtre, présenter une action qui se déroule sur plusieurs années et ainsi montrer l’œuvre du temps sur la décadence de chacun et la ruine de tous les espoirs, un à un. Ainsi, le second, le troisième et le quatrième acte ont lieu respectivement environ un an, quatre ans et cinq ans après le schéma initial qui ouvre la pièce. Les situations, mentalités et positions de chacun ont donc largement eu le temps d’évoluer.

Tchekhov nous livre sa vision désabusée de l'existence, et fait ouvertement, quant au sens de la vie, un clin d'œil au Candide de Voltaire et à ça fameuse réplique finale "Cela est bien dit, mais il faut cultiver notre jardin."

Pour ceux que cela intéresse, notons qu'une nouvelle fois l'auteur joue en russe sur le signifiant et le signifié des noms de famille de ses personnages. Ainsi, Verchinine, qui est probablement le militaire le plus louable et humain de la pièce, avec la grandeur d'âme la plus élevée, a un nom qui évoque les hauteurs, les sommets. De même, l'étrange et incompréhensible Soliony a un nom qui fait penser tout d'abord à l'adjectif " seul ", mais qui évoque tout aussi bien l'aspect " salé " ou " bourré ". Aaaahhh ! Mauvais génie douanier de la traduction, pourquoi nous voles-tu tant de choses au poste frontière ?

Il est vrai que la question « Pourquoi faut-il vivre dans cette vie qui ne rime à rien ? » est et demeurera toujours intéressante, mais cette pièce, pas forcément. Moi qui suis plutôt très admirative de Tchekhov en général, je me suis parfois ennuyée presque autant que les protagonistes bien que cette pièce soit loin d’être mauvaise.

En manière de conclusion, je ne sais tout simplement pas si le genre théâtral, par nature voué à l’action, au ping-pong des répliques, à une unité de temps hyper condensée se prête particulièrement au thème développé ici, sous forme de drame à monter sur les planches. Le roman, dans ce cas précis, me semble plus à même d’offrir à l’auteur les moyens d’une expression vraiment pertinente. D’où mes trois étoiles seulement, moi qui n’hésite pourtant pas d’ordinaire avec Tchekhov à octroyer le très saint Graal des cinq étoiles de pacotille de mon jugement qui ne vaut pas grand-chose.
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Le pari

Encore une belle surprise que cette nouvelle de Tchekhov, le thème est tellement extravagant que j'ai tout de suite été captivé par cette histoire.

Le pari, oui mais quel pari ! Imaginez le fait d'accepter de sacrifier quinze années de votre vie contre deux millions de roubles (une fortune !), les meilleures années en fait (de 25 à 40 ans).

Tout part d'une soirée arrosée dans la bourgeoisie russe, une discussion animée sur la peine de mort et la prison à perpétuité, l'une est-elle plus humaine que l'autre ? Les esprits s'échauffent entre un banquier et un étudiant jusqu'à l'improbable pari sensé départager les deux querelleurs.

Le contrat est rédigé devant témoins, l'étudiant sera cloitré dans une cabane aménagée dans le jardin du banquier, il ne manquera de rien mais sera contraint à l'isolement total.

Ce récit en deux parties nous propose une réflexion intéressante sur la liberté et la dépendance à l'argent, sur le bien être intérieur et le stress qui consiste à conserver ses privilèges. L'auteur nous invite aussi à observer l'évolution des deux parieurs dont la vie sera marquée à tout jamais par ce pari.

J'ai été enchanté par ce récit et surpris par une fin inattendue.
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Correspondance avec La Mouette : Anton Tchékh..

Merci à Babelio via la masse critique et aux Editions Arléa pour l'envoi de cette correspondance entre Anton Tchekhov et Lydia Mizinova, soit près de 140 lettres dont les deux tiers rédigées par Tchékov à l'adresse de celle qui fut son amoureuse ardente et son amie.



Cette correspondance s'étend sur neuf années, de janvier 1891 à janvier 1900.



Leurs lettres montrent surtout la relation complexe entre les deux personnes qui m'ont finalement donné l'impression d'être tous deux bien centrés sur eux-mêmes. Ils ne cessent d'ailleurs de se le reprocher, surtout Lika à l'égard d'Anton. Celui-ci donne l'impression de voler plus haut dans ses pensées mais il revient très souvent à des réalités matérialistes peu intéressantes. Du côté de Lika, ce sont des reproches permanents qu'elle adresse à Anton, le menaçant de ne plus lui écrire, mais elle ne parvient pas à s'en passer.



A travers ces lettres, ils se donnent d'hypothétiques rendez-vous dans différentes villes d'Europe où ils pourraient se retrouver, mais leur mobilité respective et sans doute leur manque de désir réel empêchent cette rencontre.



J'ai trouvé quelques fulgurances dans leurs propos respectifs, souvent pessimistes, avec des lueurs chez Tchekhov lorsque le printemps arrive, que les arbres fleurissent et les fruits mûrissent, mais leur relation reste confuse et cette correspondance sur près d'une décennie ne la clarifie pas.



Tchekhov ne semble pas réaliser d'effort de qualité littéraire dans ses lettres, il se laisse aller, comme il le fait dans sa vie quotidienne, il est vrai qu'il souffre de tuberculose qui finira par l'emporter, Lika subissant le même sort bien des années plus tard.



Ces lettres méritent toutefois un petit détour au fil d'autres lectures et c'était donc une opportunité intéressante proposée par Babelio. Merci.
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Ivanov

Ah ! Revoilà du bon Tchékhov pur jus, première pression à froid !



Bien que cette pièce en quatre actes soit précoce dans la production de l'auteur, tous les ingrédients qu'il affectionne y sont déjà : la vie de campagne ennuyeuse à mourir, les amours non partagées, la mesquinerie, l'envie, la bêtise, l'avarice, la médisance, sans oublier quelques belles âmes qui se consument pour rien parmi cette moisissure, cette flétrissure et le tout couronné d'une extrême sensation de " voie sans issue ".



Cette pièce, Ivanov, est brève, peut-être un peu trop vite expédiée quant à la forme, mais elle est forte et profonde sur le fond. Anton Tchékhov nous sert un trentenaire, naguère riche, brillant et très en vue mais qui s'est laissé cuire dans le jus de ses désillusions. Ajoutons à cela le filtre de la vision des gens ordinaires, qui interprètent tous ses agissements à leur sauce, lui prêtant des visées ou des sentiments qu'il n'a pas.



Il est vrai qu'il peut paraître tentant de conjecturer car Ivanov s'est marié à une juive de famille riche. Sa charmante et follement amoureuse Sarah n'a pas hésité à tout abandonner pour lui : famille, religion, identité, richesse. Les parents juifs ayant très mal vécu la spoliation culturelle et identitaire de leur fille ont refusé de lui léguer leur magot.



Et la pauvre Sarah, devenue entre temps Anna Pétrovna, a été bien mal payée en retour de tant d'amour : Ivanov la laisse dépérir dans son coin. Il est toujours fourré chez les Lébédev où, comme un fait exprès, l'unique fille de la famille, Sacha, seule héritière de la fortune de sa mère, lui fait les yeux doux. Étrange coïncidence, n'est-il pas ? On comprend que les cancans aillent bon train et que le comportement d'Ivanov soit jugé trouble par ses plus proches voisins...



Tchékhov sait nous brosser un portrait subtil, ambigu, complexe et dense de son héros, en proie au doute et au nihilisme. Le contraste entre ce que l'on sait d'Ivanov, ce qui se déroule sous nos yeux et ce que les autres en disent est, de mon point de vue, le grand point fort de la pièce.



Ce serait mentir, probablement, que de prétendre que cette pièce n'a pas de défauts ou qu'elle est la meilleure de son auteur, mais peut-être serait-ce mentir tout autant que d'arguer qu'elle ne vaille pas le coup d'être lue ou vue.



Personnellement, j'hésite dans mon évaluation entre 4 et 5 étoiles ; cinq parce que je l'ai trouvée particulièrement réussie quant à la densité et aux multiples facettes du personnage central, quatre parce que certaines ritournelles comiques ou supposées telles, comme les joueurs de cartes, m'ont un peu parues lourdes, inutiles et loin de la grande finesse de propos de l'ensemble. Mais vous l'aurez compris, sans doute, une fois encore, tout ceci ne représente que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de choses.
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La Mouette

J’ai aimé Tchekhov novelliste, l’auteur de « La dame au petit chien » ou « Un royaume de femme » a su me faire entrer, à mon insu, si loin, si fort dans l’intime et l’empathie, rendant la nouvelle cruellement courte, preuve de sa redoutable efficacité : le « fusil de Tchekhov » vise toujours juste.



“Les gens ont des destins divers. Les uns, à peine ils arrivent à traîner une existence ennuyeuse, insipide, ils se ressemblent tous, ils sont malheureux ; les autres, vous, par exemple- vous seul sur un million- le sort leur offre une vie intéressante, lumineuse, pleine de sens...”



“Le théâtre, pas possible de faire sans.” Anton Tchekhov ne s’est jamais complètement considéré comme un écrivain, en dépit du succès qu’il connu de son vivant. Avec « La Mouette », le dramaturge interroge la notion d’art, de création artistique et la condition de l’artiste. Sont-ce ses propres doutes, son rapport au succès, à la modernité qu’il veut mettre à distance dans sa pièce, jouée pour la première fois en 1896 ?

“ il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle se représente en rêve.” Cette pièce est (si j’ose) le théâtre d’une réflexion sur l’art et le beau, le beau doit-il être sérieux, l’abstraction est-elle encore de mode et trahit-t-elle le réel ?



L’édition « Babel » avec la traduction « à l’allemande » d’André Markowicz, que j’avais découverte par la lecture de « Un homme ridicule » de Dostoïevski et qui, malgré quelques perditions lourdes de sens (beaucoup de jeux d’équivoques, à commencer par le titre : « Mouette » voulant dire « espérer » en russe par exemple), se veut plus fidèle au texte d’origine et nous donne à lire la version originale non censurée.

Car la censure de l’époque exigea le retrait de certaines répliques ou didascalies en lien avec le concubinage de la mère actrice, avec un jeune homme de lettres, qui passait aux yeux des autres personnages comme trop banal. Pourtant rien d’étonnant de la part de Tchekhov qui, détestant la « petite morale », n’a jamais jugé ses personnages.



« Si un jour tu as besoin de ma vie, viens et prends là ». Tchekhov, qui n’a jamais connu l’amour, comme le personnage Trigorine, rend compte de l’impasse illusoire de la rédemption amoureuse pour Tréplev et Nina.



« La frivolité est dure comme de l’acier » écrivait Montherlant. Cette pièce relate les tragédies silencieuses, l’insatisfaction létale, qui se jouent sous l’épaisseur de l’épiderme, qui coulent dans les veines déjà froides, alors même qu’autour la vie -mondaine - suit ennuyeusement et implacablement son cours, « fatal and faithed » comme écrivait Lord Byron, les gens évoluent autour du mort-vivant, Tréplev, dans une indifférence totale, “souvent, je n’ai pas la moindre envie de vivre.”



“C’est très difficile de jouer dans votre pièce. Il n’y a pas de personnages vivants.” Cette pièce n’est pas aisée à appréhender. De son propre aveu, l’écrivain russe en souligne le « peu d’action » mais la grande émotion. Comme dans ses nouvelles, le lecteur fait irruption dans la vie des personnages, une immersion empathique et totale, et le retrait est tout aussi brutal, pas de début et pas de fin, juste un morceau de vie. Cependant, le chemin du succès sera houleux, la pièce, jouée en 1896, est d’abord très mal reçue par la critique.



En effet, comment écrire, sans dérouter, ce que le poète belge Henri Michaux appelait « l’amère vie quotidienne » ? De tous les critiques, c’est peut-être Anatoli Koni qui a le mieux compris « La Mouette » : « une vie quotidienne toute proche et que personne ne comprend dans sa cruelle ironie intérieure ».



Qu’en pensez-vous ?

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Une Demande en Mariage et autres pièces en un..

Ce mini recueil regroupe trois pièces en un acte : Une Demande En Mariage, L’Ours et Les Méfaits Du Tabac. Ces trois pièces ont en commun, hormis leur brièveté, d’être à tendance comique et centrée sur les misères de la vie conjugale, que ce soit avant même la demande ou bien des années après.



Les hommes et les femmes semblent condamnés à se plaire de prime abord et à ne pas se convenir par la suite, et cela sur toute la ligne tant les abysses qui séparent les visions féminines et masculines des choses paraissent à jamais inconciliables.



L’autre point commun de ces trois pièces est que le protagoniste principal vient avec l’idée et le but de faire quelque chose de précis, ce quelque chose n’étant finalement jamais réalisé.



Cette édition est très bien faite avec un bon petit dossier, principalement à l'adresse des lycéens, mais même pour les autres, cela ne fait pas de mal.



1) UNE DEMANDE EN MARIAGE est une grosse et grasse farce épaisse, avec une mécanique comique lourde, insistante et redondante, qui, vous l’aurez remarqué, ne brille pas selon moi par sa subtilité ni une quelconque forme de finesse.



Lomov, un rural trentenaire vient faire sa demande en mariage à son voisin Tchouboukov, père d’une certaine Natalia. Anton Tchékhov fustige l’âpreté au gain et l’étroitesse d’esprit de ces propriétaires terriens. Toujours est-il que toute la pièce est un crêpage de chignon sur des peccadilles, qui interdisent même à Lomov de formuler sa demande auprès de Natalia.



Bon, sans mentir, je n’ai pas du tout aimé et heureusement que Tchékhov a su faire autre chose (et d’autre envergure) que cette petite pièce facile et bâclée.



2) L’OURS, sans être transcendante ni extrêmement différente, passe déjà un peu mieux et jouit d’un cortège de petites tirades savoureuses qui me la rendent plus digeste.



Un créancier, Smirnov, vient réclamer une somme d’argent à une jeune veuve, Mme Popova, éminemment droite et fidèle vis-à-vis de son défunt mari. Smirnov a un besoin urgent de la somme aujourd’hui même tandis que Mme Popova lui explique qu’elle ne pourra lui fournir l’argent que dans trois jour.

Smirnov est bien décidé à ne quitter la place qu’avec ses roubles en poche et Mme Popova s’offusque des manières de cet « ours ». S’en suit une mémorable prise de bec, qui tourne au duel et je vous laisse découvrir le fin mot de la fable…



3) LES MÉFAITS DU TABAC est une petite pièce monologue, où l’auteur nous offre une farce grinçante, sans prétention, mais pas extrêmement drôle non plus.



Un mari, Ivan Ivanovitch Nioukhine, complètement phagocyté par sa femme, tenancière d'un pensionnat-école de musique, est mandé par son épouse pour faire une énième conférence de bienfaisance. Vous vous doutez que ce brave factotum de l'établissement de sa redoutable compagne n'a absolument aucune idée de ce dont il va parler et que son auditoire n'a, visiblement, pas non plus l'habitude de l'écouter.



Mais voilà, c'est peut-être la conférence de trop, accablé par la férule de son despote femelle, Nioukhine pète un câble et balance les secrets du caractère de sa femme et de ses pitoyables relations avec elle.

Bref, il parle de tout, sauf peut-être des méfaits du tabac...



Je pense que, dans l’ensemble, Anton Tchékhov a tenté de renouer avec une forme de comique ou de burlesque à la Nicolaï Gogol ; il est néanmoins clair qu’au vu de ces trois pièces-là en tout cas, c’est un plantage, car, quel que soit l'angle d'approche, c’est moins drôle, plus poussif et plus rébarbatif que son trublion de modèle. Tchékhov excelle dans un autre registre mais dans celui-ci, n’est pas Gogol qui veut.



Au demeurant, ce n’est bien sûr que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose. À vous de vous forger le vôtre.
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Les huîtres

Petit mais costaud ! Court mais intense !

Cette toute petite nouvelle possède cette faculté de nous faire voyager dans le temps tout en nous parlant de notre quotidien, où plutôt d'un quotidien qui existe encore aujourd'hui pour de nombreux malheureux qui ne mangent pas à leur faim.

Ce court récit est l'évocation de l'extrême misère à laquelle répond le plus odieux des cynismes, cela se passait il y a un siècle ou deux, et cela c'est probablement passé hier et continuera demain, encore et longtemps, ici ou là-bas...

Une belle illustration du talent de Tchekhov et de la puissance évocatrice de ses textes, ces quelques pages valent d'être lues !
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Théâtre complet, tome 2 : La Cerisaie - Le Sa..

Ce volume 2 du théâtre complet d'Anton Tchékhov regroupe trois pièces de format classique et neuf courtes pièces en un acte. Ce programme peut vous sembler alléchant, sachez toutefois que Le Sauvage et Oncle Vania sont plus ou moins la même pièce vue à des moments différents de sa gestation ; Oncle Vania étant la forme ultime.



Sachez encore que les pièces en un acte de Tchékhov me semblent vraiment très en-dessous du reste de sa production théâtrale. Si bien qu'au bout du compte, ce tome vaut surtout pour deux de ses pièces, à savoir La Cerisaie et Oncle Vania.



1) LA CERISAIE.

C'est une œuvre symbolique : les cerisiers en fleur (n'oublions pas la vogue japonaise qui avait frappé l'occident durant le XIXème siècle) symbolisent le raffinement, l'esthétique, l'éphémère, l'art, le faste, le tape-à-l'œil, la frivolité, en un mot l'aristocratie.



Ceci s'oppose bien évidemment au matérialisme, au pragmatisme, à la terre, au sol, en tant que quantité de mètres carrés sur lesquels poussent ces arbres.

C'est donc tout un symbole que la cession de la cerisaie (demeure et domaine de la noblesse russe) par l'aristocratie à la bourgeoisie et c'est ce symbole que choisit Anton Tchékhov pour nous montrer la fin d'une époque, la prise de pouvoir par les financiers au tournant du XXème siècle, notamment suite à l'abolition du servage en Russie en 1861.



Cette pièce est donc tout à fait dans la droite lignée des Démons (les Possédés) de Dostoïevski. Tchékhov sent aussi parfaitement monter les ferments de ce qui sera la révolution de 1917.



Pour nous montrer cette décadence, cette perte de contrôle de l'aristocratie, ce manque de lucidité, au début de la pièce, chaque personnage est dans sa propre bulle, chacun répond à côté de la plaque, sauf l'homme d'affaire, descendant de paysan, Lopakhine, qui, lui, a bien perçu que le vent a tourné et qu'il apporte des odeurs de roussi.



Tous les autres sont dans les mirages d'un monde et d'une époque qui a disparu, révolue, qui s'est évanouie pour laisser place à une autre, mais que leurs yeux sont incapables de déceler, sauf peut-être l'étudiant utopique Trofimov, ancien précepteur d'un enfant qui est mort (encore un symbole !) et qui attend béatement l'heure du changement en s'imaginant que tout sera bonheur, liberté et égalité si une révolution survient.



En ce sens, c'est-à-dire, la poursuite des chimères, la non perception de la réalité, cette pièce se rapproche de La Mouette. C'est probablement la pièce la plus célèbre de Tchékhov, mais, définitivement, ce n'est pas ma préférée, car Oncle Vania m'a beaucoup plus séduite.



On peut juste préciser que certaines mentions, notamment aux vacanciers, à la révolution latente, aux changements économiques annoncent ou font écho à l'œuvre de Gorki. Cette pièce, très caractéristique du style Tchékhov, peut donc être perçue comme un trait d'union entre Dostoïevski et Gorki, le témoin d'un pan de l'histoire russe qui s'effondre et d'un autre, à créer.



2) LE SAUVAGE.

Cette pièce, également traduite sous le titre L’Homme Des Bois ou Le Génie Des Bois est en fait une version préliminaire de ce qui deviendra le véritable chef-d’œuvre d’Anton Tchékhov, Oncle Vania.



Prenez la même trame, le même début, amoindrissez quelque peu le rôle de Vania et enrichissez de façon inversement proportionnelle le rôle du médecin Astrov et vous obtenez L’Homme Des Bois. Changez simplement quelques noms voire seulement les prénoms comme c’est le cas pour Vania qui s’appelait initialement Iégor, ajoutez ou retirez l’un ou l’autre des personnages secondaires et vous basculez facilement de l’une à l’autre de ces pièces en quatre actes.



L’essentiel des différences se situent en fin d’acte III et dans l’acte IV, mais le début, la trame et l'esprit sont en tous points les mêmes. Vous pouvez donc sans problème vous reporter sur Oncle Vania.



3) ONCLE VANIA.

Si vous ne lisez qu’une pièce de Tchekhov, choisissez celle-ci. Vous ne serez pas déçu, ou si vous l’êtes, vous le serez de toutes les autres. Il s’agit chronologiquement de la cinquième de ses sept pièces longues et elle en constitue, selon moi, la quintessence car Anton Tchekhov signe un vrai petit bijou avec cette pièce.



Des gens contraints de vivre ensemble et qui ne peuvent pas se souffrir, certains qui en aiment d'autres sans qu'il y ait de réciprocité, des ambitions inassouvies, des attentes, des frustrations, bref, un cocktail détonnant pour planter le décor d'une bonne empoignade familiale !



Jugez plutôt : Vania déteste Sérébriakov, l'ex-mari de sa sœur défunte, mais il aime Eléna, la nouvelle épouse de celui-ci. Sonia, la fille de Sérébriakov aime le docteur Astov, qui lui aussi aime Eléna, qui elle n'aime personne, tout comme son mari Sérébriakov d'ailleurs.



Une véritable orfèvrerie de situation pourrie où les protagonistes ont ruminé de longue date leurs frustrations respectives. Ajoutez là-dessus le sel d'un tempérament bien trempé, ironique, caustique, sarcastique tel que celui de l'oncle Vania, le tout doublé d'une sérieuse tendance à démarrer au quart de tour et vous aurez une petite idée de l'ambiance de plomb qui règne dans cette maison de campagne.



Hormis ce décor relationnel, Tchekhov peaufine aussi la patine historique de ses personnages ainsi que l'environnement géographique rural de cette pièce : Sérébriakov est un professeur à la retraite, surtout expert en glose, qui jouit d'une certaine célébrité et qui a toujours vécu en ville, loin des préoccupations matérielles. Mais étant retiré, et faute de moyens suffisants, il est venu s'installer avec sa jeune et jolie nouvelle femme Eléna dans la maison appartenant à sa première épouse décédée, une grosse ferme à la campagne.



Le domaine fonctionne depuis des lustres grâce à l'abnégation et l'énergie de Vania et de sa nièce Sophia, fille du professeur de son premier mariage. On apprend que depuis des années, le professeur tire ses revenus du travail de Sophia et Vania, lequel a ouvert récemment les yeux sur le talent douteux de Sérébriakov ainsi que sur Eléna, dont il est tombé follement amoureux.



À travers les yeux de Sophia et Vania, l'un et l'autre non désirés et pourtant méritants, Tchekhov nous peint un tableau touchant, tragique, bouché et sans issue, d'une existence ratée où il ne reste guère que le suicide ou l'abnégation. C'est donc un regard assez déprimant mais non dénué de vérité sur la condition humaine et son non-sens.



En outre, au-delà des frustrations et vitupérations de Vania, il me faut signaler l'autre personnage hyper intéressant de cette pièce, en la personne du docteur Astov. Si l'on se souvient que l'auteur était lui-même médecin, on comprend qu'il y a mis une certaine dose de sa propre personne.



J'en retiens surtout un étonnant discours écologiste et une vision du développement durable très en avance sur son époque. Ce n’est pas un motif nouveau chez lui, il l’avait déjà exprimé dans Le Sauvage. Ceci n'est probablement pas étranger au fait qu'Anton Tchekhov fit son fameux voyage à l'île de Sakhaline dans la même période où il remaniait sa pièce Le Sauvage qui allait finalement aboutir à cette pièce, constatant au passage l'étendue de l'impact négatif de l'Homme sur la nature.



À plusieurs égards, cet Oncle Vania reprend, revisite ou annonce certains des éléments typiques du " style " Tchékhov, comme on peut le retrouver dans ses autres pièces, mais avec une légère préférence quant à moi pour cette version de son style, un peu moins intellectuel ou oscarwildesque, un peu plus " à la bonne franquette ", quasi franchouillard, au sens de Michel Audiard j’entends.



Et sur ce point, je ne peux que féliciter le metteur en scène qui eut l'idée géniale de confier le rôle de Vania à Jean-Pierre Marielle car, durant toute la lecture de la pièce, j'entendais sa voix dans les répliques et c'était un bonheur, souvent drôle et grotesque, caustique et cassant, tragique et touchant.



En somme, une pièce superbe, d'une fraîcheur et d'une efficacité redoutables ; du très grand Tchekhov.



4) LES PIÈCES EN UN ACTE.

Ces pièces en un acte se répartissent pour trois d'entre elles en études dramatiques et pour six d'entre elles en farces. Il convient, je pense, de bien distinguer ces deux ensembles ; les premières étant, selon moi, de bonne voire très bonne qualité, et les secondes très moyennes à franchement mauvaises.



Les trois études dramatiques sont : Sur La Grand-Route, Le Chant Du Cygne et Tatiana Répina. Les six farces étant : Des Méfaits Du Tabac, L'Ours, La Demande En Mariage, Le Tragédien Malgré Lui, La Noce et Le Jubilé.



SUR LA GRAND-ROUTE me semble être à la fois la plus ambitieuse et la plus intéressante de ces pièces en un acte. C'est en tout cas ma préférée et de très, très loin. On y perçoit une claire, nette et évidente annonciatrice et inspiratrice de la célèbre pièce de Maxime Gorki, Les Bas-Fonds.



C'est un théâtre rare pour Tchékhov. Lui qui nous a plutôt habitué à faire frayer ses drames parmi la petite aristocratie ou la bourgeoisie, il nous transporte cette fois-ci dans une taverne franchement mal famée et peu recommandable des bords de route où s'y croisent des pèlerines hors d'âge, des voyous patentés, des ivrognes de toute espèce, des vieillards à l'article de la mort, des voyageurs tombés en panne, etc.



La langue n'y est pas fleurie et les vies sont abîmées, frappées du sceau du destin. On y retrouve les mêmes appels messianiques que dans Les Bas-fonds, les mêmes hors-la-loi, les mêmes empoignades verbales qui peuvent à chaque instant devenir physiques. L'omniprésence de l'alcool, la précarité et la promiscuité.



Et, comme dans Les Bas-Fonds, on y rencontre un personnage surprenant, Bortsov, un ancien propriétaire foncier opulent, c'est-à-dire, un aristocrate, désormais ruiné, sali, mis plus bas que terre, plus mendiant que le dernier des mendiants, plus ivrogne que le dernier des ivrognes. Je vous laisse découvrir son histoire qui arrive même à attendrir les rudes gaillards de la taverne.



LE CHANT DU CYGNE nous présente la grande remise en question d'un acteur âgé, sur le déclin, qui s'interroge sur son art et sur le sens qu'il a donné à sa vie durant toutes ses années de scène. Cette pièce fait écho, mais de façon plus faible, à La Mouette, où cette thématique est mieux développée.



Enfin, dernière étude dramatique, TATIANA RÉPINA est une variation sur le thème du mariage orthodoxe. On assiste donc à une cérémonie en bonne et due forme, qui assomme tout le monde d'un puissant ennui et le décalage est donc réalisé par les voix et commérages en coulisses, sur les bancs de l'église, les remarques du marié à son témoin qui croule sous le poids de la couronne et... sur les murmures qui s'opèrent lorsqu'il semble à chacun que Tatiana Répina a fait son apparition à la cérémonie...



Viennent alors les six farces qui m'ont cordialement ennuyée sauf peut-être L'Ours, à un degré moindre.



LES MÉFAITS DU TABAC est selon moi une pièce creuse où l'auteur n'a rien ou à peu près à nous dire, tout comme son protagoniste principal. C'est un monologue, un peu comme Le Tragédien Malgré Lui, où un mari, complètement phagocyté par sa femme, tenancière d'un pensionnat-école de musique, est mandé par son épouse pour faire une énième conférence de bienfaisance. Le brave factotum va donc s'exécuter, en ayant bien évidemment pas la moindre idée de ce dont il va pouvoir parler devant un auditoire qui, de toute façon, ne l'écoutera pas. Or, accablé par la férule de sa despotique épouse, il pète un câble et balance à l'assemblée les secrets du caractère de sa femme et de ses pitoyables relations avec elle. Bref, il parle de tout, sauf peut-être des méfaits du tabac...



L'OURS nous met en présence un créancier qui vient réclamer une somme d'argent à une jeune veuve. Cette dernière, plutôt prude et de belles manières, lui confesse qu'elle ne pourra recouvrer sa créance que dans quelques jours. Or, lui, a un besoin urgent de la somme aujourd'hui même. S'ensuit donc une empoignade verbale de toute beauté où fourmillent quelques belles répliques pour se finir d'une façon quelque peu inattendue.



UNE DEMANDE EN MARIAGE surfe sur l'éternelle âpreté au gain et l’étroitesse d’esprit de ces propriétaires terriens que fustige souvent Tchékhov. Toujours est-il que toute la pièce est un crêpage de chignon sur des peccadilles, qui interdisent même au fiancé de formuler sa demande auprès de la jeune fille convoitée. Très faible intérêt selon moi.



LE TRAGÉDIEN MALGRÉ LUI, c'est encore pire, du gros, lourd et gras qui tache... Un quasi monologue où un citadin de la classe moyenne, qui vient passer son été en datcha à la campagne, égrène les mille misères que cette vie de villégiature lui cause auprès de son épouse tyrannique. On est au fond du trou de Tchékhov d'après moi.



LA NOCE, un peu à la manière d'Une Demande En Mariage, se prétend une caricature des classes moyennes qui veulent faire comme les " grands ", en mettre plein la vue, mais qui n'en ont ni les moyens ni les manières. Le passage avec le capitaine de frégate, assez drôle au tout début, devient catastrophique et d'un lourdingue absolu vers la fin.



LE JUBILÉ nous transporte dans une banque où, là encore, Tchékhov s'en prend au vernis derrière lequel se cachent les personnages " respectables " et essaie de l'écailler. Mais c'est encore de la grosse mécanique redondante, pas drôle et qui ne présente pas beaucoup d'intérêt à mes yeux.



En conclusion, un recueil très inégal, qui vaut selon moi essentiellement La Cerisaie, Oncle Vania et, dans une moindre mesure, Sur La Grand-Route, très intéressante si l'on souhaite comprendre l'ontogenèse des Bas-Fonds de Gorki. Pour le reste, vous pouvez sans doute passer votre route, mais ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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Une demande en mariage

Cette pièce en un acte est, selon moi, une grosse et grasse farce, épaisse à souhait, avec une mécanique comique lourde, insistante et redondante, qui, vous l’aurez remarqué, ne brille pas, selon mes critères, par sa subtilité ni une quelconque forme de finesse.



Lomov, un rural trentenaire vient faire sa demande en mariage à son voisin Tchouboukov, père d’une certaine Natalia. Anton Tchékhov fustige l’âpreté au gain et l’étroitesse d’esprit de ces propriétaires terriens. Toujours est-il que toute la pièce est un crêpage de chignon sur des peccadilles, qui interdisent même à Lomov de formuler sa demande auprès de Natalia.



Bon, sans mentir, je n’ai pas du tout aimé et heureusement que Tchékhov a su faire autre chose (et d’autre envergure) que cette petite pièce facile et bâclée. Si vraiment vous n'avez rien d'autre à faire et que vous avez envie de sourire une ou deux fois par mégarde, allez-y, mais je ne la conseille pas d'enthousiasme. Retenez néanmoins que ce n’est là que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Les méfaits du tabac

Dans cette courte pièce monologue, Anton Tchékhov nous offre une petite farce grinçante où un mari, Ivan Ivanovitch Nioukhine, complètement phagocyté par sa femme, tenancière d'un pensionnat-école de musique, est mandé par son épouse pour faire une énième conférence de bienfaisance.



Vous vous doutez que ce brave factotum de l'établissement de sa redoutable compagne n'a absolument aucune idée de ce dont il va parler et que son auditoire n'a, visiblement, pas non plus l'habitude de l'écouter.



Or voilà, c'est peut-être la conférence de trop, accablé par la férule de son despote femelle, Nioukhine pète un câble et balance les secrets du caractère de sa femme et de ses pitoyables relations avec elle. Bref, il parle de tout, sauf peut-être des méfaits du tabac...



Au final, une petite pièce sans prétention, pas extrêmement drôle non plus, qui se prête peut-être assez bien à la jeunesse d'où l'idée, pas idiote, d'en faire un album jeunesse.



Bien sûr, il faut apprécier les illustrations de Patrick Couratin. Personnellement, je ne trouve pas qu'elles apportent grand-chose, et ce style un peu à la Anthony Brown, n'est pas franchement de mon goût, mais ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Je m'appelle .............?..........." je suis un jeune homme de dix-sept ans, laid, maladif et timide", je passe mes étés dans la "maison de campagne des Choumikhine", et je m'y ennuie.

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