On ouvre les yeux ; rien ne remue ; on entend
Au chevet de son lit la montre palpitant ;
La fenêtre livide aux spectres est pareille ;
On est gisant ainsi qu’un mort. On se réveille,
Pourquoi ? parce qu’on s’est la veille réveillé
Au même instant. Ainsi qu’un rouage rouillé
Et vieilli, mais exact, l’âme a ses habitudes.
Oh ! la nuit, c’est la plus sombre des solitudes.
L’heure apparaît, entrant, sortant, comme un passeur
D’ombres, et notre esprit voit tout dans la noirceur ;
Des pas sans but, des deuils sans fin, des maux sans nombre.
Le rêve qu’on avait et qui tremblait dans l’ombre,
S’ajuste à la pensée indistincte qu’on a.
Tous les gouffres au bord desquels nous amena
Ce fantôme appelé le Hasard, reparaissent ;
Les mêmes visions redoutables s’y dressent ;
Ici le précipice, ici l’écroulement,
Ici la chute, ici ce qui fuit, ce qui ment,
Ce qui tue, et là-bas, dans l’âpre transparence,
Les vagues bras levés de la pâle espérance.
Comme on est triste ! on sent l’inexprimable effroi ;
On croit avoir le mur du tombeau devant soi ;
On médite, effaré par les choses possibles ;
Toute rive s’efface. On voit les invisibles,
Les absents, les manquants, cette morte, ce mort,
On leur tend les mains. Ombre et songe ! On se rendort… —
Homme, debout ! voici le jour, l’aube ravie,
L’azur ; et qu’est-ce donc qui rentre ? C’est la vie,
C’est le cri du travail, c’est le chant des oiseaux,
C’est le rayonnement des champs, des airs, des eaux ;
La nuit traîne un linceul, l’aurore agite un lange ;
Tout ce qu’on vient de voir spectre, on le revoit ange ;
Du père qu’on vit mort on voit l’enfant vivant ;
Le monde reparaît, clair comme auparavant ;
On ne reconnaît plus son âme ; elle était noire,
Elle est blanche ; elle espère et se remet à croire,
À sourire, à vouloir ; on a devant les yeux
Un éblouissement doré, chantant, joyeux,
On ne sait quel fouillis charmant de lueurs roses ;
Et tout l’homme est changé parce qu’on voit les choses,
Les hommes, Dieu, les cœurs, les amours, le destin,
À travers le vitrail splendide du matin.
Effets de réveil
Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,
Nous apportait l'odeur des fleurs qui s'ouvrent tard ;
La nuit tombait ; l'oiseau dormait dans l'ombre épaisse.
Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse ;
Les astres rayonnaient, moins que votre regard.
Moi, je parlais tout bas. C'est l'heure solennelle
Où l'âme aime à chanter son hymne le plus doux.
Voyant la nuit si pure et vous voyant si belle,
J'ai dit aux astres d'or : Versez le ciel sur elle !
Et j'ai dit à vos yeux : Versez l'amour sur nous !
Hier au soir
Hier au soir
J'ai payé de vingt ans d'exil ce droit austère
D'opposer aux fureurs un refus solitaire
Et de fermer mon âme aux aveugles courroux ;
Si je vois les cachots sinistres, les verrous,
Les chaines menacer mon ennemi, je l'aime,
Et je donne un asile à mon proscripteur même;
Ce quittait qu'il est bon d'avoir été proscrit.
Je sauverais Judas si j'étais Jésus-Chris
Pas de représailles