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Critiques de Arthur Rimbaud (263)
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Poésies

Quelle critique peut-on faire lorsqu’il s’agit d’une œuvre si connue et si souvent visitée… On ne peut parler que de sa propre rencontre avec elle qui est toujours unique et souvent multiple. J’ai découvert Rimbaud il y a vingt ans et j’y ai replongé récemment. Arthur Rimbaud c’était ma porte vers la poésie moderne !

Je constate que mes textes préférés restent les même : Après le déluge, Enfance, Phrases, Veillées, Aube, Alchimie du verbe. Et encore une fois Veillées ! Les rimes ne m’intéressent plus. Elles font partie de la « virtuosité » du langage alors que depuis quelques années je tends uniquement vers le sens poétique. La même chose m’arrive dans la musique, dans l’interprétation musicale. Jouer Bach avec ses tripes et laisser tomber les œuvres techniques !

Avant je me disais que mon expérience (petite) du français m’empêchait de profiter pleinement de tous les poèmes de Rimbaud. Mais même actuellement, certains de ses textes ne sont pour moi que de beaux objets sonores, ou visuels, sans le naturel qui m’est nécessaire pour éprouver de l’émotion véritable.

Rimbaud dans Une saison en enfer déclare lui-même : « La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe. Je m’habituai à l’hallucination simple ; je voyais très franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d’un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi. Puis j’expliquai mes sophismes magiques avec l’hallucination des mots ! Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. »

Je pense que quand un poème me plaît c’est que j’ai eu les mêmes hallucinations que lui ! Finalement la question principale est la même pour tout art moderne : cette création-là, relève-t-elle des « combats spirituels » ou de l’amusement ou de la provocation ? …

Mais encore une fois le début des Veillées c’est mon poème préféré de toujours !

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Les plus beaux manuscrits de Arthur Rimbaud

Ce livre est pour tous ceux qui voient en Arthur Rimbaud une idole inégalable. Idole, idolâtres… Quoique le mot est mal choisi car Rimbaud aurait horreur d'être placé sur un piédestal. On ne peut pas l'aimer trop, on peut l'aimer à peine assez ! Qui n'aurait pas rêvé de sillonner les quartiers de Charleville, les itinéraires parisiens de Rimbaud, ses déplacements en Asie ou en Europe, toucher le papier et sentir l'encre de ses manuscrits ?... Pourtant quand je regarde le nombre de lecteurs Babelio pour ce livre je me dis qu'on n'est pas sur une route très fréquentée.

Ce beau livre est le fruit du travail des historiennes Nathalie des Vallières et Roselyne de Ayala. Il fait partie de la collection des « Plus beaux manuscrits de ». Les manuscrits de Rimbaud ne sont pas toujours uniques, et le choix de la bonne transcription et la date de leur composition alimentent les universitaires depuis près de cent ans comme c'est le cas des manuscrits des grands compositeurs classiques Bach, Beethoven ou Chopin…

Je cite le nom des dix chapitres du livre car je trouve cela très parlant : « Je est un autre », Charleville, Satan au milieu des docteurs, L'art de la fugue, Rimbaud et Verlaine, L'homme aux semelles de vent, L'ange blasphémateur, Rimbaud en Afrique, Rimbaud et les femmes, La dernière année.

Aujourd'hui, au fil des legs, peu de documents demeurent en main privée. À la Bibliothèque nationale de France, on trouve toutes sortes de manuscrits : des devoirs scolaires de Rimbaud, des cahiers raturés de son enfance, des poèmes impeccablement calligraphiés aux lettres écrits en Afrique. Ils reflètent les méandres de son oeuvre et le parcours d'une vie tumultueuse jusqu'au solde ultime qu'Arthur s'impose : la liquidation de sa vie littéraire. Mais on reconnaît partout la même écriture, toujours à l'encre brune. Quant à la plume, neuve ou cassante, elle aussi suit à sa manière, les voyages de son possesseur. le papier, toujours de qualité, est peu altéré par le temps. Pourtant il parle aussi car il est parcimonieusement recoupé aux moments de solitude ou de précarité…

Ici, il ne s'agit pas de l'ensemble des manuscrits conservés de Rimbaud mais d'une sélection, en couleurs, pour bien illustrer la vie de Rimbaud. Car ce livre représente une sorte de biographie. La force des bonnes biographies est dans le fait qu'on y perçoit un homme célèbre comme une personne très proche, il devient presque un copain. C'est le cas des « Plus beaux manuscrits de Rimbaud » ! Je suis toujours émue, quand au début d'une partition de musique, je tombe sur une page manuscrite de Bach ou de Chopin, un autographe m'impressionne toujours. Il va jusqu'à stimuler mon travail d'interprétation des oeuvres musicales. Une écriture, c'est un dessin, un trait, c'est plein de vie, on y découvre toujours quelque chose d'insoupçonné !

Mais dans le livre de Nathalie des Vallières et Roselyne de Ayala, il y a aussi un grand nombre de reproductions de tableaux en rapport avec la vie de Rimbaud (Raoul Dufy, Camille Pissarro, Claude Monet, Jean-François Millet, Jean-Baptiste Corot, H. Fantin-Latour, Erich Ekel, Eugène Delacroix, Édouard Manet…), de croquis et de caricatures. C'est un grand plaisir esthétique, cette lecture !

Rimbaud, le poète de sept ans… Je me suis posé la question quel âge faut-il avoir pour approcher Rimbaud. Par un jour de l'un, j'ai lu à mon enfant de six ans le début des Étrennes des orphelins. Cela semblait se produire par hasard. Nous avons compté les syllabes, examiné de très près les métaphores du poème. Une admiration se lisait sur le visage du petit. Il n'est jamais trop tôt pour toucher à la poésie, pour toucher au Beau. Était-ce vraiment le hasard ou cela a couronné ma lecture de Roselyne de Ayala ? Une lecture en appelle une autre…

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Poésies

"Rentrés au logement vers deux heures, il a fermé la porte à clef, s'est assis devant; puis, armant son revolver, il en a tiré deux coups en disant :"Tiens, je t'apprendrai à vouloir partir !"

(de la déclaration de Rimbaud au Commissaire de Police, concernant l'incident du 10 juillet 1873)



Ce jour là, tout le monde écoutait la prof. Même les blasés, les cancres, et ceux qui ne venait au lycée que pour dormir.

Elle racontait l'histoire d'un trentenaire, qui, après avoir abandonné femme et travail, a essayé de tuer son jeune amant qui l'a entraîné dans un monde d'alcool, de drogues et de filles faciles, et maintenant il voulait tout simplement le quitter. Heureusement, il était plus doué pour écrire des vers que pour viser, alors le jouvenceau à peine blessé a survécu, a fait une croix sur sa propre carrière poétique, et est parti vadrouiller dans le vaste monde; tout ça pour mourir dix-sept ans plus tard d'une façon peu glorieuse suite à une inflammation au genou, en nous laissant en héritage quelques poèmes.



On était tous enchanté par l'histoire de Verlaine et de Rimbaud. C'était tellement différent des biographies de tous ces écrivains rangés... mais quitter le boulot le jour au lendemain, descendre un litre d'absinthe et partir en Belgique avec un jeune ado qui n'apportait, certes, rien de bon, mais avait des yeux si bleus qu'on ne pouvait pas faire autrement, c'était une autre tasse de café ! Les "maudits" ont le don d'interpeller par leur vie non-conforme et leur poésie même les jeunes d'aujourd'hui, et rien que pour ça, j'ai envie de les remercier. Mais les lire et apprécier vraiment, c'est une autre paire de manches.



La plupart de ces poèmes sont écrits avant le vingtième anniversaire de Rimbaud. Ils reflètent la crise d'adolescence d'un garçon incontestablement surdoué, son orientation sexuelle indécise, ses déceptions de la vie et ses incertitudes en ce qui concerne le futur. Comme s'il ne savait pas quoi faire de lui-même, et pour compenser ses interrogations, il écrivait. Sa poésie est pourtant étrangement lumineuse, même si elle combine d'une façon incroyable, dans une explosion d'images, le beau et l'immonde dans un seul vers.

Il remplit son chaudron de vieilles hardes dégoûtantes, mais sa décoction sent la rose. Ou alors il arrange des roses fraîches dans un vase, juste pour les regarder se faner ? Il balance dans la grande marmite de son imagination de belles jeunes Parisiennes, des égouts puants, la mer qui gronde, des chats crevés, ivrognes et cafards au clair de lune, pour flanquer dans votre assiette une portion qui n'est absolument pas indigeste, mais laisse quand-même une étrange sensation autour de l'estomac.



Toujours, Cher, quand tu prends un bain,

Ta chemise aux aisselles blondes

Se gonfle aux brises du matin

Sur les myosotis immondes !



La poésie de Rimbaud s'adresse parfaitement à tous nos sens connus, et nous fera possiblement découvrir quelques autres dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Elle est remplie de couleurs, odeurs et saveurs de toutes sortes. Rimbaud faisait partie de ces fous qui éprouvaient le besoin de tout tester sur eux-mêmes : amour, souffrances, toutes les douleurs du monde et des centaines de malheurs possibles... Finalement, il ne pouvait peut-être pas finir autrement qu'il n'a fini.

On pourrait se demander comment évoluerait la poésie de ce jeune homme, s'il n'avait pas arrêté d'écrire à vingt ans, pour nous gratifier de ses vers encore les dix-sept années qui lui restaient à vivre. Il est devenu une icône patinée de mille traces de doigts, devant laquelle viendront se prosterner les générations futures. Est-ce mérité ? Essayez : on a du mal à se détacher de ses images, même si on ne sait pas si c'est beau, ou si ça donne plutôt envie de piquer une crise de nerfs.



L'amour ne passe à tes octrois

Que les Lilas, - ô balançoires !

Et les Violettes du Bois,

Crachats sucrés des Nymphes noires !...



C'est grâce à ces vers ("Ty kreslíš pro své rusalky/jen šeřík – liliově bílý! /A temné lesní fialky/ty sladké chrchle černé víly!") que j'ai découvert Rimbaud à dix-sept ans, avant de pouvoir le déguster en français. Le traducteur, excellent Nezval, avait le culot de traduire le mot "crachats" par un immonde synonyme tchèque "chrchle", et je savais tout de suite que la poésie de Rimbaud ne sera pas aussi prévisible que les vers de Jiri Wolker qu'on avait l'habitude de côtoyer...

L'autre soir j'avais rajouté une poignée de pâtes-lettres dans la soupe aux légumes, et en regardant les mots se former au hasard au milieu des carottes et des petits pois, je me demandais si... ? Peut-on vraiment "comprendre" la poésie de Rimbaud ?

Mais "Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours!..." 4,5/5
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Illuminations

Ce recueil de poésies en prose — l'un des plus célèbres de l'un des plus célèbres représentants de la poésie française — est-il une gigantesque mystification (à tout le moins un gros, gros, gros malentendu) ? Et si tout ça c'était du flan ? Que devrions-nous en penser ?



Question : Les illuminations ont-elles été écrites par Arthur Rimbaud ? Certains poèmes (plutôt minoritaires en nombre) semblent effectivement de lui mais d'autres (la majorité en fait) semblent avoir été écrits par quelqu'un d'autre. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Eddie Breuil dans son étude troublante (et remarquable) publiée chez Honoré Champion ayant pour titre " du Nouveau chez Rimbaud ".



Le jeu de mot, certes, était facile mais ce qui me paraît intéressant, c'est qu'il semble bien que le véritable auteur principal des Illuminations soit plutôt Germain Nouveau, auteur considéré comme " mineur ". Quel effroi ! Si la légende est fausse, cela brise beaucoup de nos rêves de lecteurs ! Si l'on apprend ensuite que la sélection de poèmes et l'attribution des titres sont le fait principalement de Paul Verlaine et de l'éditeur, cela casse encore un peu plus le mythe Rimbaud. (Mais ce n'est pas la seule fois que l'histoire recolorie les vérités à sa façon, que ce soit en art comme en beaucoup d'autres disciplines…)



Les éléments qu'apporte Eddie Breuil sont selon moi très convaincants et donnent également un côté plus " prosaïque " aux poèmes (telle inspiration factuelle chez Germain Nouveau qui, assortie d'une coquille de copie ou d'un titre ad hoc de Verlaine, décuple le " pouvoir " poétique des textes.)



Bon, Ok ! D'accord ! me direz-vous, mais de tout cela on s'en fiche, le principal est que la poésie nous transporte, nous fleurisse, nous surprenne et nous rajeunisse, n'est-il pas ? Eh bien, là encore, mes pauvres amis, quel ennui pour moi, quel ennui ! Si la poésie consiste à aligner des choses absconses les unes derrière les autres, alors, oui, indubitablement, on a affaire ici à un expert. À ce compte-là, Nostradamus doit d'urgence être réhabilité comme l'un de nos plus grands poètes de tous les temps.



Or, voyez-vous, pour moi, la poésie ce n'est pas cela. Certes, qu'il y ait une part de mystère, d'indétermination, de polysémie, de message à caractère double ou triple, que sais-je, cela fait partie du contrat poétique et je l'accepte, et je l'exige même. Mais la poésie, c'est aussi, c'est surtout une musique, un agencement particulier des mots qui fait vibrer leurs sonorités les uns avec les autres, tels les instruments d'un orchestre symphonique. Et par delà la musique, c'est l'émotion suscitée qui m'intéresse dans la poésie.



C'est cette musique, cette partition que j'aime chez Corneille, chez Racine — chez Bossuet, même ! — et bien entendu chez les anciens tel Malherbe, tel Du Bellay ou chez les frais devanciers de Rimbaud : les Lamartine, les Hugo, les Baudelaire, les Verlaine. C'est encore vrai chez les suiveurs, Valéry, Apollinaire, Éluard et… (Oui, c'est bon, c'est bon, arrête ton Char !)



Or, de cette musique, ici, à mes oreilles, point. (J'ai le même problème avec Stéphane Mallarmé.) du mystère, oui, à la pelle, mais de la musique, néant, de l'émotion, néant, du plaisir, néant. Et quant au sens, des exégètes pompeux nous expliquent, conjectures et tuyaux de poêle à l'appui, que sans doute Rimbaud à voulu dire ceci, en référence à cela, par le truchement de truc et selon l'interprétation de Machin, expert en branlettes furtives les soirs de déprimes dans les sombres locaux de son université. (J'ai lu les notes de l'édition de Louis Forestier, ç'en est presque comique tellement on peut dire tout et son contraire.)



Oui, car, j'incline à me laisser convaincre par la démonstration d'Eddie Breuil. Et s'il est plus que probable qu'Arthur Rimbaud soit effectivement l'auteur d'un poème comme Vagabonds, il semble également très probable que celui qui vient juste après, à savoir le 2ème poème intitulé (par qui ?) Villes, soit du pur Germain Nouveau. Et quand lesdits exégètes vous affirment que tel et tel mot ou situation fait écho sous la plume de Rimbaud à un poème d'Une Saison en enfer, cela me fait (intérieurement) doucement rigoler.



Le titre même du recueil, qui est l'oeuvre de Verlaine et qui possède une puissance poétique phénoménale, quand on l'interprète au niveau de l'individu, perd de sa superbe si on comprend qu'il est bêtement matériel et que sa raison d'être est livrée dans le poème Phrases : « Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres vole dans l'air […] J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaines d'or d'étoile à étoile, et je danse. […] Pendant que les fonds publics s'écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages. » (Et pour le coup, celui-ci pourrait bien être de Germain Nouveau…)



Toutefois, gardez bien à l'esprit que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire pas grand-chose et que cela ne me semble pas une raison suffisante pour bouder ce recueil si vous vous sentez des appétences pour ce type d'expression poétique. Peut-être même que certaines et certains ne l'aimeront que mieux sachant qu'il s'agit d'une sorte de grand fatras, d'un ouvrage à 6 mains (au moins, 8 si l'on rajoute l'éditeur qui n'a sûrement pas compté pour rien dans la forme définitive que nous lui connaissons !). À lire, à relire ou à éviter, avec ou sans cet éclairage " Nouveau ".
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Oeuvres complètes

Relecture des oeuvres de Rimbaud des années après les premiers pas parmi ses poésies magnifiques dont l'intemporalité de nombreuses d'entre elles est saisissante comme Le dormeur du val, L'éternité, Ophélie, Chanson de la plus haute tour et bien d'autres.



Verlaine disait préférer les textes en proses de Rimbaud à ses poésies. Il est vrai que la plupart d'entre eux permettent au lecteur de pénétrer jusqu'au plus profond et au plus mystérieux de l'âme du jeune poète qui avait déjà tout produit à 18 ans. Il vécut le double... Aurait-il à nouveau publié s'il avait atteint la longévité de Victor Hugo? J'aime l'imaginer...



"La mer allée avec le soleil", la couleur des voyelles, le "sein rond" des petites amoureuses, "l'oisive jeunesse" sont des créations que seuls les plus grands poètes peuvent réaliser et Rimbaud est assurément parmi eux.



Son expression poétique, tourmentée, agressive ou délicate, sauvage ou tendre, désabusée ou emplie d'espérance, sa passion et son dégoût de la vie , ses matins, ses soirs, ses étés, ses automnes sont souvent mes refuges, les lire, les relire, les écouter mis en musique et chantés par Léo Ferré de sa voix magique restent un plaisir toujours renouvelable avec la même intensité, celle de toucher à la véritable grandeur.
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Le Bateau ivre et autre poèmes

Lorsqu’on pense à Rimbaud, on pense à cet adolescent suggéré dans « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » ou au poète sérieux du « Dormeur du val ». La poésie n’est pas vraiment le genre que je préfère mais je dois bien avouer que celle de Rimbaud me touche particulièrement par sa diversité, sa finesse, sa violence parfois. Je retrouve ces trois caractéristiques dans ce long poème, « Le Bateau ivre », qui est d’une pure beauté. Son originalité, dans un premier temps, réside dans cette image du bateau, représentation métaphorique du poète. On sent toute la rébellion du jeune Rimbaud qui n’en fait qu’à sa tête jusqu’à faire naufrage… naufrage bienfaisant d’ailleurs car il va découvrir ainsi d’autres contrées poétiques, se perdre dans les mots pour mieux rebondir.
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Poésies

Comme il est surprenant de retrouver des textes qui nous ont été donné de rencontrer à l'école. Ceux sur lesquels on a buté, et parfois qui nous ont mené à l'incompréhension ou le désarroi le plus total. C'est un étrange sentiment de retrouver des souvenirs perdus avec l'imagination de mieux comprendre, d'effleurer enfin la sensibilité de l'homme derrière les mots; le besoin de dire ou de crier la révolte, le besoin de se saisir de la liberté, de larguer les amarres.



C'est par un étrange chemin que je me suis retrouvé de nouveau face à Rimbaud. Et pourtant, il n'avait plus le même visage ou peut être que c'est moi qui n'ai plus le même, car lui ne semble pas avoir tant vieilli lorsque je me souviens que son recueil a été écrit en 1871, alors qu’il a 17ans.

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Illuminations

Je m'étais juré de ne pas écrire la moindre critique sur Rimbaud, mais le billet de Nastasia me fait revenir sur ma décision. J'ai ajouté des commentaires, peut-être trop et je m'en excuse, mais sans révéler la vérité vraie : comment serait-ce possible ? Il faudrait aller trop loin en Rimbaldie pour me faire comprendre, et faire comprendre les secrets que partagent les rimbaldiens.

Accéder à Rimbaud est une initiation, un voyage de toute une vie. On le commence tôt. L'adolescente littéraire est attirée par le parfum de liberté et de rébellion qui se dégage du magnifique visage immortalisé par Carjat. Puis on grandit, on relit, on étudie, on entre dans un immense univers aux couleurs bleu, vert et or, et feu et noir de l'enfer. On entend une voix, de plus en plus reconnaissable entre toutes, une voix nue et unique. Un être se matérialise, d'une présence quasi hallucinatoire. Un grand maître, un génie dont la parole se répand jusqu'aux confins de l'esprit. Rimbaud n'est pas un auteur comme les autres, c'est un compagnon de route, un ami, un confident, un amant. Il vous soutient dans les moments de souffrance, sa voix est là, à votre oreille, murmure ou cri, pour aller à l'essentiel. Il a fait toutes les expériences, il a connu toute la douleur du monde, il a cherché une langue universelle pour que l'humanité partage son cri et son murmure. Il a compris, à seize ans, l'enfermement des esprits dans la norme, la religion, la morale. Il a compris que les mots étaient les geôliers et que, pour être libre, il fallait détruire les anciens pour en réinventer de nouveaux. Il a voulu aller au-delà des perceptions normées, libérer les sens et les corps, pour concevoir un monde plus vaste, un univers immense à la mesure des possibilités de l'intelligence humaine. Il a cru avoir échoué : c'est une Saison en Enfer. En réalité, il a réussi. Ce sont les Illuminations, cette éblouissante série de visions dont le but est de faire emprunter à l'esprit des chemins de traverse, vers un horizon infini. Il faut plonger dans l'inconcevable mélange des couleurs et des sensations, des idées folles et révoltées, comme dans un bain purificateur, pour décrasser son cerveau de la grammaire habituelle du langage et du sens ordinaire des mots. C'est l'accomplissement du projet de voyance et de l'alchimie du verbe élaboré antérieurement. Dans les Illuminations, la voix de Rimbaud est la plus pure, d'une beauté surnaturelle, et elle résonne et elle danse dans mon esprit comme un autre moi-même, plus intelligente, plus lucide et plus libre.

Comment un tel miracle est-il possible ? Rimbaud est extrêmement jeune, il est extrême en tous points. Il y a cru. Il a cru qu'il changerait la vie et que le monde s'éveillerait au son de sa voix, et il a tout donné, sa santé physique, mentale. Lui, l'exceptionnel élève du lycée de Charleville, il a sacrifié son avenir, toutes ses chances d'une vie normale, d'une brillante réussite, pour son ambition poétique, métaphysique. Et il a déchanté. Le monde ne s'est pas incliné devant son pouvoir et sa sagesse. Le monde est indécrottable. Rimbaud a tout laissé tomber et il est parti, définitivement.

Enfin presque. Car voilà le grand secret du génie de Rimbaud. Pour nous, les rimbaldiens, Rimbaud est vivant. Comme je l'ai dit, il a tout sacrifié, et cette voix totalement authentique, sincère, libre, sans aucune possibilité de compromis ou de retraite, sans filet, sans issue, est une voix unique en littérature, douée du pouvoir d'être plus vivante qu'aucune autre-pour ceux qui parviennent à l'entendre. Ils sont assez nombreux, les rimbaldiens. Certains sont de célèbres auteurs constamment hantés (Verlaine, Claudel, les surréalistes), d'autres n'ont rien écrit mais connaissent parfaitement sa voix. Je peux placer ici cette magnifique phrase d'Yves Bonnefoy, dans son essai sur Rimbaud, et qui résume parfaitement le sentiment du rimbaldien : " c'est même lui, ce génie violent, insensé, qui pour beaucoup de ceux qui l'approchent est debout devant eux et parle."

Tel est le secret de la poésie rimbaldienne : c'est qu'elle est Rimbaud lui-même. Et nous l'aimons, lui, comme s'il était présent avec nous. Je n'éprouve cela pour aucun autre auteur.
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Le Bateau ivre et autre poèmes

Partir main dans la main avec Arthur en commençant par explorer le Val du dormeur.

S’arrêter à l’auberge de la Maline pour se restaurer.

Discuter comme le Forgeron en tête à tête avec louis XVI (avant qu’il la perde)

Revivre nos souvenirs d’enfance en ouvrant le Buffet.

Dormir à la belle Etoile comme dans sa Bohème.

Se foutre gentiment des fonctionnaires en revisitant le poème Assis.

Pisser loin et très loin dans l’Oraison du soir.

Repenser mélancoliquement à ses Petites amoureuses.

Battre le pavé parisien de la Commune de Paris jusqu’à l’Orgie

Et finir crever en lisant les Voyelles.

Aborder sexualité et religion avec les Premières communions.

Parcourir cette prose rimbaldienne qui chante la nature dans Larme.

S’enivrer de vin et de poésie en arpentant la Comédie de la soif.

Finir cette nuit de fête, à l’heure où les braves gens commencent à travailler, en déclamant à tue-tête avec le poète la Bonne Pensée du matin.

Et lui promettre encore ivre de repartir au plus vite, en prenant le bateau afin de rencontrer son ami Verlaine …



« Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes

Et les ressacs et les courants ; je sais le soir ;

L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,

Et j’ai vu quelquefois ce que l’Homme a cru voir. »

Le bateau ivre (1871) (extrait)

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Poésies

Il existe un mythe d'Arthur Rimbaud. Une sorte de légende qui a fasciné les plus grands écrivains depuis le XIXème siècle. Cette histoire magique de ce poète précoce et ingénieux qui crée des merveilles puis s'éteint à tout jamais sans laisser de traces ni d'explications à ce choix mystérieux. Ce conte fantastique de ce poète voyant a été le sujet de tant de chroniques, de critiques, de livres, d'essais. Tous ont tenté de jeter un peu de lumière sur ces zones d'ombre.



Dans leurs recherches, ils ont fouillé dans sa correspondance, analysé ses photographies, questionné les témoignages de ses proches et contemporains. Pour certains il suffit de se concentrer sur ces cinq ou six années de production poétique; pour d'autres, le Rimbaud qui part en aventure, laissant derrière lui son bateau échouer sur les côtes de la poésie, est aussi intéressant. Ainsi, entre ceux qui trouvent dans cette expérience rimbaldienne toute l'explication de leur esthétique littéraire (comme Claudel ou Breton ou même Blanchot) et ceux qui se situent comme admirateurs de son art (comme Mallarmé ou Verlaine entre autres), on trouve ceux, moins crédules, qui désacralisent ce saint (comme Guillemin ou Etiemble).



Mais laissons cela aux chercheurs et parlons en tant que lecteurs; de simples lecteurs qui croient que "je est un autre" et qu'entre l'œuvre et l'auteur il y a parfois un abîme. Cet abîme qu’on ne peut sonder mais par contre ce qu’on peut faire c’est tout simplement lire cette œuvre magistrale et savourer ce plaisir exquis. La lire sans avoir ce besoin presque cruel de vouloir interpréter, expliquer cette poésie. Tout le plaisir est dans ce voyage à travers un monde nouveau où le poète tente de renouveler tout ce qu’on a connu auparavant. Il faut « voir » pour suivre ce long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Car ce Prométhée des temps modernes qui est concerné par la destinée de l’humanité entière veut mettre fin à cette vieillerie poétique comme il la nomme pour ouvrir une nouvelle voie où l’imagination et l’hallucination se rapprochent dans une harmonie extravagante.

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Le Rimbaud

Un bon choix de poèmes de Rimbaud. Des poèmes connus, mais on est heureux de les retrouver.

« Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.


Toute lune est atroce et tout soleil amer :


L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.


Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! »



Pour ce qui est des illustrations, elles sont plutôt pas mal sans doute, mais à mes yeux, «pas mal» ne convient pas à Rimbaud, il mériterait du très-très bon.
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Poésies

Force m'est de reconnaître qu'en poésie, genre face auquel je me sens aussi frêle et mal à l'aise que l'oiseau qui vient de naître et qui se demande où et qui il est, il me faut me raccrocher aux branches de l'académisme si je veux apprécier quelques vers. Ainsi apprécié-je Hugo et La Fontaine, qui constituent avec Baudelaire, mon Panthéon personnel d'un art dont je ne maîtrise ni les règles ni les nuances.



Avec Rimbaud, nous sommes loin de cet académisme qui me rassure. Poésie engagée, pensée libérée, vers imagés à travers lesquels il faut deviner les doubles sens. Poésie pour laquelle je ne suis ni équipée ni prédisposée. Poésie qui me laisse de marbre quand elle fait vibrer tant d'autres. Grâce à un challenge littéraire, j'aurai à nouveau tenter l'expérience, hélas sans succès. Passés "Le dormeur du val" et "Ma bohème" disséqués (et appréciés) sur les bancs de l'école, je reste totalement imperméable à la magie prophétisée. Au-delà des évocations indéniablement vivantes de la vie de bohème ou des scènes de la vie quotidienne dans le Paris de 1870, je ne suis ni particulièrement touchée ni transportée par les vers du jeune poète aux multiples talents.



De tout le recueil, un seul poème m'a interpellée, "Les étrennes des orphelins" mais c'est sans doute l'un des plus "académiques" du poète, et la boucle est bouclée.





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Une saison en enfer - Illuminations

J'aurais voulu me laisser choir dans Une saison en enfer, mais est-il possible de trouver la tranquillité dans ce texte qui bouillonne comme un fleuve ? Il est le seul recueil de poésie d'Arthur Rimbaud publié de son vivant. C'est une poésie en prose. Ce n'est pas une raison pour torturer le lecteur que je suis, en mal d'émotions...

J'ai mis un temps fou à entrer dans ce texte, je ne dirai pas à chercher à le comprendre, ce serait faire offense à son auteur, j'y ai renoncé. Je me souviens d'une chambre d'hôtel en mai 2018, j'étais à Prague, j'avais emporté dans ce voyage ce recueil que j'avais lu dans l'avion. J'ai commencé à écrire une chronique, un billet d'humeur, je tournais en rond autour de ce texte, impossible de le cerner, les mots étaient comme un essaim d'abeilles. J'écrivais des mots épars sur une feuille de papier. J'avais la tête ailleurs... Ma mère, très malade, mourut deux jours plus tard, pendant notre séjour. Nous rentrâmes mon épouse et moi précipitamment en Bretagne et ce texte fut oublié... le recueil Une saison en enfer et les bribes de mots griffonnés sur un papier, tout cela fut oublié dans un coin, peut-être que les pages de cet ouvrage garderaient encore ce douloureux souvenir...

Ce texte resurgit dans ma mémoire à l'occasion de plusieurs événements. Tout d'abord, une chronique estivale quotidienne de trois minutes sur France Inter où Sylvain Tesson nous parle tous les matins d'Arthur Rimbaud à la manière d'un explorateur... Ensuite, une tentative échouée de revenir plus paisiblement à Prague au mois d'avril dernier, annulée et pour cause, vous devenez pourquoi... Enfin, le temps d'aujourd'hui dont on dit parfois naïvement et peut-être stupidement qu'il sépare le temps d'avant et le temps d'après, comment marquer cette coupure définitive sinon par l'art qui fut oublié dans les règles sanitaires. Rimbaud lui n'eut aucun état d'âme, à l'âge de dix-sept-ans, il trancha dans le vif de l'art, séparant cruellement le temps ineffable de la poésie, il y eut définitivement le temps d'avant lui, classique, rejetant dans la poussière et la craie les poètes du XIXème siècle qu'il côtoyait dans un Paris parnassien conquis, séduit à son insolence et celui qu'il ouvrait à grandes brèches vers un monde encore inconnu dans lequel il n'eut d'ailleurs pas le temps ni peut-être la volonté de marquer ses pas de manière durable. D'autres plus tard s'y engouffrèrent, les surréalistes, mais pas seulement, toute la poésie qui nous est contemporaine aujourd'hui vient de cette brèche ouverte par Rimbaud.

J'ai relu à cette occasion Une saison en enfer. Que ce texte est furieusement beau et difficile à la fois ! Il me résiste encore, je me dis que c'est bon signe, j'y reviens et j'y comprends presque autre chose à chaque fois que je le relie, lorsque que je cherche à l'interpréter. Par contre, il entre en moi chaque fois que je me lâche, que je me laisser aller, que je n'attends plus rien de ce texte, aucun message, aucune délivrance, aucune interprétation, seulement le texte tel qu'il est, de manière brute, brutale, « brut de décoffrage » comme disait mon père, ouvrier du bâtiment. Je crois que l'expression subsiste encore... le lire à haute voix est encore mieux, j'ai fait l'expérience cet après-midi dans mon jardin, juste une page pour voir... Comme le texte paraît brusquement différent lorsqu'on a la chance de pouvoir le dire à haute voix. La poésie de Rimbaud doit être criée, du moins celle d'Une saison en enfer...

Si l'enfance est une saison, l'enfance précoce peut être un enfer pour celui qui la vit. Être un génie à quinze ans ou dix-sept ans, ce n'est pas descendre un fleuve impassible. Que faire de ce soleil qui dévore Rimbaud ? Quel était son regard lorsqu'il contemplait ce gouffre béant en lui-même d'où surgissaient, tels de la lave d'un volcan en éruption, ces pulsions de verbes et de couleurs ? Que faire de cette force, de cette révolte, de cette douleur hallucinée ? Que faire de cette lucidité sur le monde ?

On envie parfois les enfants surdoués. C'est une erreur car c'est un inconfort total pour eux et pour les parents. Rimbaud était un enfant très doué à l'école. Il raflait tous les prix dès l'âge de onze ans. Mais parce qu'il travaillait assidument dans des disciplines structurées, telles que le grec et le latin, cela l'a aidé à sauter sur l'autre versant, y porter son génie, jeter sur des pages ce qui brûlait en lui...

Écoutez tout de même ce premier vers d'Une saison en enfer écrit par un adolescent de dix-sept ans peut-être, censé à son âge entrer dans l'existence : « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient. »

Dans ce vers, je trouve que l'enfant précoce devient presque un homme mûr voire âgé qui se penche sur son passé, non pas usé certes, un homme sage, presque philosophe, capable de faire à la fois un pas de côté tout en ne reniant pas les feux follets qui lui dévorent l'âme. Beau et triste à la fois ! Quel gâchis pour cette enfance avortée ! Mais quel bonheur pour nos coeurs ! Et tout le texte est ainsi, comme s'il dépliait mille vies de lui auparavant, d'une violence infinie, magnifique, magistrale... Narcissique certes, mais peut-on ou doit-on lui reprocher cela ?

À la lecture de ce texte, je me suis posé des tas de questions. Y avait-il une lumière intérieure, une source divine dans les entrailles de Rimbaud ? Était-il possédé par une force qui lui était étrangère ? Est-ce que des substances licites ou illicites l'ont aidé à s'enflammer un peu plus vite dans les vers qu'il écrivait ? Possédé certainement, par quelque chose de violent je le pense aussi, mais pas étranger à lui, je le pense intimement, tout simplement il ne savait sans doute pas dompter cette fulgurance d'étoiles filantes, ce geyser, ce séisme qui ouvrait des brèches et faisait s'écrouler les monuments des poètes avant lui et jaillir d'autres édifices insensés.

Je pense que la poésie de Rimbaud ne délivre aucun message, il en va de même d'Une saison en enfer, simplement elle délivre une lumière fulgurante venue des silences et des vertiges intérieurs qu'a ressenti le poète.

Ici, c'est une peinture, le poète qu'est Rimbaud est un peintre. Sa palette est faite de mots et de lumières. Peut-être ne faut-il y voir ou entrevoir que cela ? Une saison en enfer est une formidable peinture.

D'où vient cette voix alors, cette colère ?

Dans Une saison en enfer, mais pas seulement dans ce recueil, Rimbaud éclaire ce qu'il touche. Ici la boue n'est jamais loin du soleil. L'inverse aussi. J'aime quand la boue n'est jamais loin du soleil, quand celui-ci s'y reflète dans une flaque. Belle alchimie !

« Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la glace circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumée au ciel ; et, à gauche , à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres. »

Une saison en enfer est une sorte de journal intime qui revisite la vie antérieure d'un adolescent de dix-neuf ans qui aurait eu plusieurs existences avant lui. On pourrait en rire. Mais Rimbaud nous impose le respect. Nous l'admirons parce que nous aurions peut-être tous voulu disposer de toutes ces vies avant nous, et lui, d'un coup d'écriture, d'un briquet qu'il allume juste au bord de son coeur, il nous offre des déferlements de vies antérieures qui n'en finissent plus.

L'enfer n'est que la vie sur terre, voici le drame de l'existence. Comment vivre en enfer alors, sinon grâce à la poésie ?

Vivre en enfer, le temps d'une saison... Quel risque après tout ? Comment faire venir la beauté sur ses genoux ? Comment s'enfuir, se révolter contre Dieu, le ciel, ce qu'il est et ce qu'il n'est pas ?

Et si tout ce texte fou n'était qu'un rêve ? Je le relie encore un peu, je le parcours sans cesse pour regarder si j'existe encore, si ce texte existe encore, si je ne l'ai pas imaginé, dire, oui ce texte est bien réel, il est sous mes yeux, sous mes doigts, sous mes battements d'ailes.

Rimbaud nous dit peut-être aussi que venir au monde, c'est connaître d'emblée l'enfer. Cruelle destinée ! Naître, puis se relever, marcher vers la lumière.

Ce texte est un éveil au corps et au ciel. Est-ce comme si les deux étaient totalement liés ? Oui, je pense que les deux sont totalement liés.

Extirper le corps du sol d'ici-bas, pour le tirer au plus haut, voilà le geste peut-être inconscient de Rimbaud, un adolescent insoumis, simplement voyant, qui casse enfin les codes, comme il cassait la vaisselle de Madame Verlaine.

Comment déplier alors ce texte à l'infini ?

Partir, mais peut-on partir ? Peut-on réellement partir ? Nos ailes sont brûlées. Nos semelles sont souvent de plomb.

S'évader, mais par quelle porte, quelle fenêtre, quel chemin ?

Arthur Rimbaud est pressé. Il a rendez-vous avec la solitude. Moi, j'ai rendez-vous avec Rimbaud chaque fois que je descends vers ces vers. Vers ces vers...

Une saison en enfer semble me dire : Ne jamais s'arrêter en chemin. Ne pas perdre son temps. Ne pas se laisser distraire. Aller jusqu'au bout du chemin. Apprendre à vivre sa vie et non tenter de la sauver.

Plus tard, c'est-à-dire ce soir, je vous lis ces vers : « Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre ! »

Rimbaud tâtonne, sans doute nous aussi. La vie est tellement immense.
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Une saison en enfer - Illuminations

La vertu de ce genre d’œuvre est de faire lâcher prise. Comment s’accrocher au texte pour tenter d’en comprendre le sens ? C’est un maelström, une tempête qui fait feu de tout, mélange, emporte. Il y a de la synesthésie, des associations de sens et d’idées inédites qui mettent l’esprit sens dessus dessous. La sensation est rafraîchissante. Ça ameublit le cerveau comme on bêche pour ameublir la terre. C’est nouveau, c’est baroque, c’est fulgurant.



Et probablement que l’on passe à côté de cette œuvre si l’on essaie d’y comprendre quelque chose. Il me semble que c’est surtout pour son effet de sidération qu’elle charme. M’envoûte-t-elle ? Non. Mais elle produit assurément un effet de relâchement très puissant. Les figures, les images glissent de manière tantôt suave et tantôt piquante sur ce toboggan de mots.



J’entre dans un palais aux miroirs, prodigieux labyrinthe où la fantaisie apparaît plus utile que la raison. Le texte semble me dire : « Laisse-toi emporter dans le vertige. » Était-ce un voyant ? Il garde encore aujourd’hui le bénéfice du doute. Il faut rappeler que cette rédaction suit un traumatisme (deux coups de revolver dans le bras). Qui sait dans quel état pareille épreuve pourrait jeter le plus cartésien des hommes, quelles affres il endurerait ? Faut-il être hypersensible pour percevoir et ressentir dans sa totalité l’émotion qui engendra ce texte ? Je l’ignore. Mais je crois que la distorsion extrême de cette œuvre embrouille trop le canevas pour que je puisse y broder des motifs bien définis et y trouver ma propre résonance.



Ici se déverse le langage sibyllin d’un être dont la sensibilité est excitée à l’extrême : les mots sont à fleur de peau : il les goûte, il les respire, il les étreint. Seule une expérience extrême permet un tel vertige. Et le récit d’une expérience transcendante ne pouvait être qu’énigmatique, et probablement pas entièrement intelligible pour son auteur même. Car c’est son subconscient qui parle et la langue qu’il emploie peine à porter un tel message. C’est comme un rêve, un délire : incongru, bizarre, abscons et dérangeant car fortement condensé. Dans une expérience traumatique, pendant un dixième de seconde élastique on voit défiler un tas d’images, ce qu’on résume par l’expression « voir sa vie défiler ».



L’aspect décousu donne une liberté immense à l’interprétation. Un mot peut chatoyer ou piquer, apaiser ou exciter. On peut même se détacher des images pour sentir uniquement la musique des mots et le souffle qui les embrase. Dans ce tourbillon, ce flux de pensée frénétique, Rimbaud semble mêler sous la dictée d’une voix intérieure d’oracle des symboles (ou des morceaux de symboles) très personnels et en assembler une fresque composite, un patchwork qui serait une mosaïque dynamique et qui ne se laisserait pas fixer par une interprétation définitive.



C’est néanmoins un lâcher-prise qui fait du bien, une sorte de fonte et de refondation de la notion de sérieux, un grand remue-ménage. La grande contribution de Rimbaud, c’est peut-être cette part d’insouciance retrouvée. Cette lecture m’a fait perdre la notion du temps et l’espace lui-même a pris une autre dimension. C’est le puissant effet hypnotique dû aux ellipses. Tous les repèrent fondent, s’évanouissent puis à la fin se refaçonnent. C’est un drôle de voyage.
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Poésies

Une fois de plus, je vais rendre hommage à l'éducation nationale, à qui je dois tant de découvertes ! Je me souviens comme si c'était hier de cette après-midi de mes douze ans, en cinquième, quand nous étudiâmes "Le dormeur du Val" d'un certain Arthur Rimbaud. Du choc ressenti à la lecture de ces vers :

"Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit."

La semaine précédente, ma crise d'adolescente s'était déclarée avec autant de violence que la poésie de Rimbaud pour qui je fus prise d'une grande passion. J'étais dans un collège privé catholique, et on nous présenta l'auteur comme un très bon élève (ce qu'il était), passant allègrement sur les côtés sulfureux de sa vie, nous évoquant sa relation avec Verlaine comme "une très belle amitié". Peu importe, le ver était dans le fruit, et c'est avec délectation que je découvris par moi-même ce qu'était réellement Rimbaud. Aujourd'hui je réalise la chance d'avoir croisé Arthur, cet adolescent, moi-même adolescente. Une bien belle inititiation !

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Une saison en enfer - Illuminations

"Une saison en enfer" est un long poème aux accents d'oraison funèbre, au mysticisme halluciné et aux saveurs soufrées. Rimbaud, le "poète maudit" de la Bohème, exprime ici une profonde désespérance en la société tout en renouvelant sa foi en la nature.



Si je reconnais la beauté de la langue et le souffle de l'inspiration qui ont fait naître dans mon esprit de terribles scènes de damnation, j'avoue plus de goût pour une poésie moins lugubre. Aussi n'ai-je pas complètement pénétré les délires opiacés du poète, sans doute parce que mon amour pour la vie m'empêche de pleinement me projeter dans les limbes de l'Enfer !



Je ne commenterai pas davantage ni ne développerai plus avant mon ressenti ; la poésie - même si elle est universelle comme c'est le cas ici - appelle une approche individuelle qui éveillera ou non de vibrants échos dans le cœur et l'âme de chaque lecteur.





Challenge 19ème siècle 2015

Challenge PETITS PLAISIRS 2014 - 2015
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Une saison en enfer - Illuminations

Une saison en enfer pour le poète des poètes, une heure en lévitation extra-sensorielle pour la lectrice néophyte que je suis.

Je n'ai rigoureusement rien compris mais ça n'a aucune importance, l'expérience n'était pas là : lu "les yeux fermés" pour mettre en sommeil ma boîte à raisonner, en essayant de maintenir ouverts quelques chakras afin de tenter la connexion aux capteurs à travers lesquels le poète perçoit le monde. Par instants, au détour d'un mot tordu, cela a fonctionné, et la décharge est fulgurante, d'une violence inouïe. On n'approche pas sans dommages des forces primales de l'univers, et c'est ahurissant de penser que ce tout jeune homme surdoué, sur-dimensionné pour la vie des hommes, dont dans ces lignes on entend le coeur battre à défaut de le comprendre, ait eu de ces forces une perception si puissante. Cela doit être quelque chose de sublime et de terriblement douloureux qu'être Rimbaud.
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Poésies

Rimbaud et Verlaine... Van Gogh et Gauguin... toute la démesure de caractères passionnés, s'exaltant en cette deuxième moité de XIXème siècle ! Une démesure qui semble devoir paralyser le commentaire du sage lecteur étreint par tant de flamme...

On peut en étudier l'expérimentation toujours plus poussée des enjambements à la césure ou à l'entre-vers, mais perdrait raison qui s'imaginerait analyser l'art de Rimbaud dans les échos sonores volontairement anarchisants de ses vers irréguliers.

Tout simplement parce que cet art est celle du "voyant", qui s'ingénie à déformer images et perceptions : son "raisonné déréglement de tous les sens" déstructure la parole bien plus que chez Baudelaire, et ne se peut reconstruire que dans l'esprit de révolte, ou d'illumination du poète affranchi.

Surréaliste avant l'heure, Rimbaud ne lâche rien et se consume en quelques années, comme un gaz trop pur ou un bois trop sec.

L'esprit de révolte qui emplit ses poèmes m'a fait apprécier, ado, ses recueils, et ressentir ses images. L'identification est plus difficile 20 ans après, mais la force des suggestions reste, et la rupture radicale avec les cadres poétiques antérieurs fait souffler un tel vent sur l'esprit que, même des années après, l'appréciation d'une beauté prométhéenne désespérée persiste et marque les poètes ultérieurs.

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Illuminations

Toute première rencontre avec Rimbaud (eh oui à plus de cinquante ans !), excusez ma naïveté dans le domaine …. Et brandissant cette naïveté comme un bouclier, je vais d’emblée jeter un pavé dans la mare : Rimbaud a-t-il tenté de tuer la poésie avec ce recueil ? Je dis Rimbaud mais cela pourrait être un autre … car j’ai vu, dans certaines critiques, que la paternité de Rimbaud pour (certains de) ces poèmes était contestée.



Le moins que l’on puisse dire c’est que ces poèmes en prose (et là je vous épargne le débat sur poèmes en prose versus prose poétique) ne ressemblent en rien à la poésie de l’époque : pas d’unité du thème (ou des thèmes) qui rassemblerait les poèmes du recueil, si ce n’est cette volonté de rompre avec ce qui existait jusque-là, pas d’interlocuteur fixe, pas de « nobles sentiments », aucun des thèmes classiques en poésie traités ici, comme un amour malheureux, l’angoisse de la mort, la vacuité de l’existence, … Pire, Rimbaud affiche clairement son rejet du lyrisme, du romantisme et aussi de la vulgarité des sentiments « ordinaires » (par exemple rejet d’une certaine générosité dans le « conte » ou encore le poème « nocturne vulgaire »). Non, basta de tout cela, et Rimbaud écrit et hurle : ‘quel ennui, l’heure du « cher corps » et « cher cœur » ’. « Assez vu », nous dit un Rimbaud assoiffé de renouveau (« soldes » entre autre) et pris d’une envie de renverser les conventions établies (« déluge », « mouvements », …)



Les poèmes ne se soldent pas par une leçon, un sens, ou même un thème évident. Non ici les poèmes forment une suite successive, discontinue et somme toute assez incohérente de fragments, de rêveries, ou même d’hallucinations. Ils sont propices à mille interprétations ou à aucune, car c’est le danger d’une telle poésie.



Mais peut-être s’agit-il plus de faire vivre au lecteur une expérience ? On lit, on relit, on pose le livre, puis on reprend le poème. On croit alors le comprendre, mais toujours il y a la clausule abrupte, déstabilisante et souvent négative. Par exemple : « il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse ». Ou le magnifique « la musique savante manque à notre désir ». On en perd son latin, on en sort dépité, désorienté, dérouté. Lecture perturbante et exigeante.



Et que dire de la forme de ces poèmes : phrases sans verbe (une pensée pour un de mes anciens prof de français qui visiblement n’avait pas lu Rimbaud) ou sans structure, néologismes inventés par l’auteur, mots anglais et allemands parsemés ci et là, tirets et parenthèses intempestifs et j’en passe. Rimbaud joue et revendique une grande liberté. La probable fameuse licence poétique, me direz-vous.



Et ces poèmes, alors ? Inclassables … Tantôt mystiques, prophétiques (par exemple le sombre « Je vois la suite ! Ma sagesse est aussi dédaignée que le chaos. Qu’est mon départ auprès de la stupeur qui vous attend ? »), voire complétement hermétiques . Certains me font penser aux koans du bouddhisme zen de la tradition Rinzaï (veillées, dévotion, h). D’autres sont truffés de références bibliques (vagabond, …) ou mythologiques (bottom, antique). D’autres encore, par leur simplicité et une certaine naïveté, ressemblent plus à des contes, des histoires qu’un enfant écrirait, si ce n’était une fois de plus ces clausules assassines … Et quand il a «embrassé l’aube d’été », quand « une fleur [lui] dit son nom », « quand il dénonce l’aube au coq », Rimbaud a des allures de petit prince, celui de Saint Ex, je trouve.



Mais c’est aussi une poésie descriptive qui dit le mouvement et le spectacle des villes modernes et monstrueuses, riches en nouveautés et en dramaturgie, tout comme chez Emile Verhaeren. Mais Rimbaud va plus loin en déconstruisant l’espace, en déstructurant le paysage, un peu à la façon des peintres cubistes. D’autres peintres viennent d’ailleurs à l’esprit comme Ensor (le poème « parade » par exemple), Munch ou même Van Gogh, avec les courbes de ses ciels et de ses champs. Ce n’est pas tout : la poésie de Rimbaud m’a fait penser, de nouveau en toute naïveté, aux bijoux de Wolfers (un bijoutier belge Art Nouveau) – notamment le très beau poème Fleurs - ou aux entrelacs des balcons des maisons Horta.



Et puis Rimbaud est aussi le roi des associations incongrus (préfigurant peut-être les surréalistes, je pense de nouveau à une artiste belge, Marianne Van Hirtum) et des oxymores. En veux-tu en voilà : les gouffres d’azur, les puits de feu, le bonheur insupportable, les herbages d’acier et d’émeraude, le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques et la sublime rose d’eau.



Alors, Rimbaud a-t-il tenté de tuer la poésie ?Peut-être a-t-il simplement voulu s’en moquer. Rimbaud, trublion et bad boy du XIXème siècle. Un véritable équilibriste qui aimait les risques :



« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaines d’or d’étoiles à étoiles, et je danse. »



Il restera pour moi l’enfant terrible de la poésie française. Un enfant un peu triste parce qu’extrêmement lucide. Un enfant qui se réfugie dans ses rêveries et ses divagations poétiques, peuplées d’êtres imaginaires qui avancent en pagaille et dont Rimbaud nous dit « j’ai seul la clef de cette parade sauvage» …

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Poésies

Il est très difficile d'aborder le texte de Rimbaud en faisant abstraction des rimbaldiens, de cette nuée d'esprits grands ou petits, sages ou sots, qui ont fait Rimbaud bien plus que ses poèmes ne l'ont fait. Il est encore plus difficile de lire ses poèmes en oubliant toute la mythologie qui s'est développée dessus, à la façon du lierre étouffant les arbres vivants. Bien sûr, il faut accepter ce fait et cette prolifération, dans le cadre d'une théorie de la réception des oeuvres littéraires, mais pour essayer de lire Rimbaud, il faut modérer la machine à fantasmes, oublier "le génie adolescent", "le voleur de feu", le Communard et autres fadaises. A cet effet, l'approche textuelle, stylistique, voire linguistique, fournit des outils précieux, des méthodes pour atteindre la sobriété et laisser passer la poésie, non telle que les rimbaldiens la rêvent, mais telle que Rimbaud l'a écrite. Alors, on rencontrera un grand poète, un grand versificateur (qui fait au vers, en un sens, ce que Van Gogh fait à la peinture), et aussi un grand prosateur, qui brouille non seulement les limites formelles entre poème en vers et poème en prose, mais aussi entre pensée rationnelle et création de l'imagination. Et supporter les rimbaldiens...
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