AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Arthur Schnitzler (200)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Mademoiselle Else

Avez-vous aimé les monologues décousus et déjantés d’Ariane dans Belle Du Seigneur ? Alors vous aimerez certainement ceux de Mademoiselle Else, en proie au questionnement, dans son hôtel de luxe de San Martino di Castrozza (situé dans le massif des Dolomites en Italie du Nord).



Nous voilà aux côtés d'Else, une jeune demoiselle de dix-neuf ans, bourgeoise, fille d’un célèbre avocat viennois. Elle est belle comme un ange et n’ignore pas ce détail. Elle est en villégiature avec sa tante et son cousin. C’est une bourgeoise mais elle vit comme une aristocrate ; elle a des goûts d’aristocrate, et son éducation familiale n’y est certainement pas étrangère.



Son père est brillant, renommé, recherché pour ses talents devant la cour, mais il vit notablement au-dessus de ses moyens. Avec le train de vie qu’il mène et qu’il offre à sa famille, les gages de trente-six plaidoiries par jour, même très bien rémunérées, n’y suffiraient pas.



Else est donc dans son hôtel bien prout-prout : on navigue dans ses pensées et ses réflexions personnelles lorsqu’elle reçoit un courrier express de sa mère, qui lui indique qu’une nouvelle fois, son père est au bord du gouffre et que cette fois-ci, s’il ne trouve pas trente mille florins pour dans deux jours, ce sera les menottes aux poignets, et sa carrière brisée, et la catastrophe pour la famille, et la fin de la vie dorée, et tout ce que vous pouvez imaginer encore.



Or, il s’avère qu’auprès d’Else, dans cet hôtel séjourne un certain von Dorsday, ami de la famille et qui a déjà, par le passé, mis la main au porte-feuille pour colmater une fuite d'ordre similaire. La maman, en épouse modèle, demande donc instamment à sa fille de bien vouloir faire l’entremetteuse entre lui et la dette de son père.



Else, avec ses allures altières (je l'imagine très bien en Katharine Hepburn, par exemple dans le film Indiscrétions), est catastrophée d’avoir à s’abaisser de la sorte devant ce vieillard qui lui glisse de temps à autres des regards lubriques. Comment le lui dire ? Doit-elle le lui dire ? Le déshonneur ou la chute ? Dans un cas comme dans l’autre, il y a à y perdre du prestige, n’est-ce pas mademoiselle Else ? But what else ?



Arthur Schnitzler nous fait vivre l’ébullition sous ce joli crâne, les contradictions, les déterminations, les contre-ordres, les battements de cœur de cette petite Else. Et l’autre, von Dorsday, comment va-t-il réagir ? Comment va-t-il la recevoir ? Ne va-t-il rien lui demander en échange ? Comment faire ? Comment savoir ?...



… et bien en lisant Mademoiselle Else, pardi ! ce que je vous laisse le soin d’accomplir si ce n’est déjà fait. Un roman disent certains, une nouvelle prétendent d’autres, on s’en fiche éperdument rétorquent les derniers. Tous ont probablement un peu raison bien que personnellement j’inclinerais davantage sur la désignation de nouvelle.



Une nouvelle donc très plaisante, très bien menée, tout-à-fait maîtrisée quant à sa forme et sa constitution mais qui n’est pas forcément hyper accessible car elle nous oblige à nous fondre dans le moule de la pensée d’Else, ce qui n’est pas forcément du goût de tous.



Personnellement, j’y vois, pour mille et une raisons, qu’il serait long et fastidieux de développer ici, un fort lien de parenté avec Belle Du Seigneur, en particulier pour le personnage d’Ariane, car tout génial qu’il était, Albert Cohen ne pouvait pas créer cela de rien et je parie ma main gauche et mon oreille droite qu’il connaissait cette nouvelle de Schnitzler avant de nous servir son monument.



Mais tout ceci n’est que mon avis et, what else ? pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1342
La Ronde

« Les écrivains sont bien tous docteurs » fait dire le dramaturge autrichien à « la Grisette ». Arthur Schnitzler, en qui le docteur Freud voyait son double, était bien un médecin-écrivain des désirs, depuis leur naissance dans le badinage maladroit des dialogues bourgeois jusqu'à leur crépuscule après un pudique levé de rideau, scandaleux pour la Belle Epoque.



Non pas que le mariage bourgeois soit hypocrite au point de nier que l'adultère en est la condition sine qua non mais avec Arthur Schnitzler toute discrétion vole en éclat avec dérision et précision sur la scène du mensonge matrimonial. Scandaleux aussi l'affirmation des femmes, parfois victimes mais aussi assumant leur désir, et menant parfois ces messieurs par le bout du museau.



« Il y en a plein qui se supportent pas et qui se disent « tu » quand même ». le docteur Schnitzler ausculte la pénombre des âmes dans un moment de vulnérabilité, d'intimité rare pour l'époque, dans la vérité de la jouissance.

C'est dans ce clair/obscur des desseins, des rapports de force et de jalousie, des jeux de l'amour et du désir qu'excellera toute sa carrière le dramaturge autrichien dont l'érotique littéraire inspirera le septième Art de Marx Ophüls à Roger Vadim en passant par Stanley Kubrick.



Du désir-objet brutal dans les bas-fonds, aux babillements feutrés des salons viennois, en passant par les idéalistes bohèmes, les tragédiennes de la liaison, les professionnelles de l'amour, et les Rastignac de la conquête, c'est une série de variations sur la séduction que jouent pour nous les personnages.

Chaque tableau voit se succéder le personnage du duo précédent et un nouvel amant/maitresse, jusqu'à revenir au premier personnage, dans une boucle érotico-théâtrale, du trottoir au boudoir, en passant par la garçonnière, le lit conjugal et le cabinet particulier du restaurant, entre l'apfel strudel et le wiener schnitzel...



Est-ce à dire qu'on tourne en rond lorsqu'on en vient à la séduction ? Toutes ces banalités, ces idioties échangées, ces curiosités feintes n'est-ce pas simplement, comme le souligna Roland Barthes dans ses fragments une façon de s'apprivoiser, d'entamer les caresses avec les mots, de « frotter son langage contre l'autre » comme si le langage était une première barrière cutanée, un épiderme extrasensible sur la chair, une antichambre du corps, une approbation à obtenir avant que, derrière le rideau, les langues ne se passent de mots.



Il ne tient désormais qu'à vous d'entrer dans La Ronde.



Qu'en pensez-vous ?

Commenter  J’apprécie          1007
La Ronde

La Ronde est une drôle de petite pièce construite sous forme de dialogues en concaténation.

Si le terme de concaténation ne vous est pas trop parlant, sachez qu'il s'agit d'une suite d'anadiploses et qu'à l'extrême limite elle permet de faire des raisonnements logiques proches de l'épanadiplose.

HEP ! Les linguistes ! Vous pétez pas un peu plus haut que votre cul des fois ? Comment on appelle ce phénomène en linguistique ? L'anal-explose, non ?

Bon, plutôt qu'un terme grossier qui aurait ravi le capitaine Haddock, disons que cette pièce est construite à la façon de la comptine : J'en ai marre - marabout - bout de ficelle - selle de cheval - cheval de course - course à pied - etc. - etc.

À chaque fois, seuls deux personnages sont en scène et au dialogue suivant, l'un reste et un nouveau apparaît, jusqu'à ce que la boucle soit bouclée.

Le titre initial voulu par Arthur Schnitzler était La Ronde D'Amour, titre plus évocateur, mais aussi, un peu plus provocateur pour l'époque.

Car ici, le propos est simple, tout le monde couche avec tout le monde, tout le monde trompe tout le monde, quel que soit le genre des individus ou leur statut social.

Les hommes en prennent pour leur grade mais les femmes ne s'en tirent pas franchement mieux.

Il aurait aussi pu choisir comme titre La Rirette car la morale de cette histoire, c'est que les hommes sont des cochons et que la morale de cette morale, c'est que les femmes aiment les cochons.

Bref, une suite astucieuse de dix dialogues faisant intervenir successivement dix personnages (cinq femmes et cinq hommes), très biens vus et très plaisants au départ, un tout petit peu redondant à la longue, mais sans excès.

L'acte sexuel n'est jamais mentionné comme tel mais est matérialisé au sein de chaque dialogue par une ligne de petits points, finalement plus évocateurs que tout ce qu'on aurait pu écrire.

On peut comprendre le scandale suscité à l'époque. Aujourd'hui, reste un badinage très sympathique et qui se lit en un clin d'œil.

Mais, bien évidemment, il ne s'agit ici que de mon avis non concaténé, c'est-à-dire, bien peu de chose. Au suivant.



... - pied à terre - Terre de feu - feu follet - lait de vache - vache de ferme - Ferme ta gueule Nastasia !
Commenter  J’apprécie          858
Liebelei

Laissez-moi, une fois n’est pas coutume, vous conter dans quelles conditions j’ai lu cette pièce. Je me rendais à un enterrement dans ma famille en Normandie, non loin de la mer, à l’autre bout de la France où j’habite actuellement.

J’avais déjà plus de 600 km au compteur, le temps était gai comme un canal, les nuages gris d’orage étaient propices aux pleurs. À mesure que j’approchais le gris devenait plus noir comme pour satisfaire à la situation. J’avais fait tourner en boucle plusieurs fois un même vieux CD de Led Zeppelin histoire, premièrement, de ne pas m’endormir au volant, et deuxièmement, je trouvais qu’il y avait une manière de clin d’œil presque à propos entre ce « Stairway to Heaven » et ce qui allait se dérouler quelques heures plus tard.

Chemin faisant, à chacune des pauses que j’effectuais, je dévorais quelques pages de la Liebelei (littéralement « amourette ») d’Arthur Schnitzler. Je ne pouvais m’empêcher de faire des liens entre l’ambiance de morgue qui flânait autour de moi, l’émouvant « Babe I’m gonna leave you » que me hurlait chroniquement Robert Plant dans les oreilles et la malheureuse Christine de la pièce.

Car en effet, il y a comme un parfum de deuil, comme un déchirement d’orage dans cette pièce en trois actes dont le style est d’une redoutable fraîcheur. Bien malin celui qui pourrait deviner, en la lisant simplement, qu’elle a été écrite en 1894.

Fritz et Théodore sont deux jeunes hommes de la bonne société viennoise, qui savent passer du bon temps, notamment auprès des femmes. Fritz est amoureux d’une femme mariée avec laquelle il a une relation de longue date.

Mais ça sent le roussi dans cette histoire car le mari trompé a découvert le pot aux roses et vient rapporter ses lettres enflammées à Fritz.

Parallèlement, Théodore et lui entretiennent une petite amourette avec deux amies, Mizi et Christine. Mizi ne se fait aucune illusion sur le devenir de sa relation avec Théodore et ne cesse de mettre en garde Christine qui elle est follement éprise de Fritz.

Je me permets de ne pas soulever davantage le voile de mystère qui drape encore cette intrigue, remarquablement écrite dans un style sobre, naturel et fluide. Premier essai (je n’avais encore rien lu de lui à l'époque, je me suis un peu rattrapée depuis) concluant pour ma part avec Arthur Schnitzler, qui signe, ma foi, une bien belle pièce, qui manque peut-être du petit quelque chose sublime qui marque de son sceau les vibrants chefs-d’œuvre que nous chérissons tout au long de notre vie, mais qui fera probablement écho, pour bon nombre d’entre nous (je m’adresse aux lectrices), à nos destins (plus ou moins éloignés selon l’âge) de demoiselles en phase d’apprentissage amoureux, lequel apprentissage n’est jamais totalement achevé (même mariées, fripées ou racornies, nous restons toutes un peu des demoiselles et des novices dans ce domaine), sauf à l’heure de l’ultime soupir, mais ce n’est là que mon avis, c’est-à-dire, bien peu de chose en vérité.
Commenter  J’apprécie          734
Vienne au crépuscule

D'entrée de jeu, je dois dire que j'ai été emportée par l'écriture d'Arthur Schnitzler. C'était son premier roman et moi ma première lecture de cet auteur.

On est d'abord imprégné par la ville de Vienne, surtout si on la chance de connaître cette ville. J'y suis allée deux fois et à chaque fois, j'ai l'impression, surtout dans le centre ville, d'être dans un espace hors temps. Aussi, la façon dont Arthur Schnitzler en parle nous semble très familière même si plus d'un siècle s'est écoulé.

Le Prater, les promenades dans le bois, les cafés viennois dont beaucoup aujourd'hui sont très près encore de cette fin de siècle qu'évoque :Vienne au crépuscule., même si la traduction du titre est très lointaine de son titre en allemand.

Arthur Schnitzler écrit avec beaucoup de poésie, une douceur émane de ses mots.

Son personnages centraux sont un écrivain : Henri Berman et un musicien compositeur: Georges de Wergenthin.

Tous deux à travers leur art sont à la recherche et la compréhension du genre humain. Le musicien se livre à une introspection à travers une histoire d'amour qu'il vit avec une jeune fille issue d'un milieu bourgeois : Anna.

D'autres questionnements dans ce livre sont évoqués, notamment par le biais de l'identité juive. En cette fin de siècle, s'est développé tout à la fois une grande assimilation des juifs dans la haute bourgeoisie, certains nient leurs identités, d'autres la revendiquent. Bien sûr, tout cela est en lien avec la montée croissante de l'antisémitisme inhérent à cette fin de siècle dans la société viennoise.

Un très beau livre, fascinant pour tous ceux qui s'intéressent à la psychanalyse, à la question juive et à ce parfum viennois fin de siècle.
Commenter  J’apprécie          666
Mademoiselle Else

Dans ce livre, publie en 1924, Schnitzler se met dans la tete d'une femme. Il nous offre le monologue interieur d'une jeune fille de 19 ans, de peu de moyens bien qu'appartenant a la "bonne societe", qui, invitee par une riche tante, passe des vacances en Italie, a San Martino di Castrozza, une des stations estivales preferees des Viennois de l'epoque.





Une lettre-express de sa mere la met au courant de la situation desesperee de son pere suite a des dettes et des malversations inavouables, et l'enjoint de demander une grande somme a une riche connaissance qui se trouve en villegiature a San Martino lui aussi. Le richard accepte, a condition que la jeune fille se denude devant lui. Et Schnitzler de nous livrer la tornade de pensees et de sentiments contradictoires qui se dechainent dans sa tete. Grande tempete qui met a mal toutes les certitudes – ou soi-disant certitudes – de son education, de son existence jusque la. Doit-elle se "prostituer" pour sauver son pere? Et pourquoi son pere la met dans une situation pareille? Il n'y a que son honneur a lui qui compte, balayant sans scrupules son honneur a elle? Et sa mere, est-elle si naive en jouant les entremetteuses, ou la sacrifie-t-elle a l'autel de sa situation bourgeoise? Comment doit-elle agir? Et si elle accepte la condition deshonorante, comment affronter la situation en temps reel? Comment et ou se presenter devant le magnat lubrique? Toutes ses contradictions, tous ses doutes, toutes ses peurs l'ameneront, en un final grandiose, a convertir sa denudation en une affirmation desesperee d'independence, d'auto-estime et fierte retrouvees.





De nombreux critiques ont estime la profondeur avec laquelle l'auteur a reussi a cerner une psychologie feminine. Moi aussi, et en plus de ce "portrait interieur" je vois en ce livre un portrait de la "bonne societe" de son époque: ennuyeuse, superficielle, hypocrite, arborant les distinctions de classe et de fortune, sclereotisee par un corset de conventions sociales. Et un quantieme approfondissement de themes chers a Schnitzler: l'erotisme et la mort.





Et c'est bien ecrit. Le monologue d'Else est un flux de conscience, melant pensees logiques a d'autres qui le sont moins mais surviennent spontanement, et aussi a de courts dialogues, vu qu'elle rencontre du monde a l'hotel. Tout cela ajoute a la profondeur du portrait de la jeune fille, qui nous parait tour a tour intelligente et futile, arrogante et apeuree, bref qu'on a envie de gifler ou de prendre dans les bras, selon les pages.





Cherchez donc mademoiselle Else. Allez la retrouver. Depuis 1924 elle ne s'est pas completement perdue. Elle est sauvee par chaque lecture.

Commenter  J’apprécie          650
Mademoiselle Else

Je me sens encore un peu en colère, alors que j'ai laissé passer quelques jours après cette lecture. J'aime découvrir une histoire et son dénouement par moi-même, mais à peine quelques lignes de la préface lue que j'en connaissais déjà la fin. Cela m'a profondément abîmée dans ma lecture, car j'avais directement un sentiment différent et une attente consciente du dénouement... Et même s'il s'agit d'une réédition, d'un livre écrit il y a plusieurs années, je préfère découvrir un livre par moi-même et m'interroger plus avant si j'en ressens le besoin... Un gout amer et une pointe fâchée encore aujourd'hui. Il m'arrive de me "spoiler", mais cela ne m'est pas imposé...



Quoi qu'il en soit, l'histoire d'Else est intrigante, fascinante dans un sens. On suit son interrogation permanente sur une situation qu'elle souhaite maîtriser, mais qui finit par lui échapper. Le livre est écrit sous forme d'un monologue continu, mêlant les réflexions de la jeune fille et les tiraillements qu'elle ressent. En voyage avec sa tante et son cousin, elle dépeint ses journées et les pensées profondes concernant les personnes qu'elle côtoie. Else est une jolie jeune fille de la bourgeoisie. Son père est un avocat reconnu, mais qui semble vivre bien au-dessus de ses moyens et ce qu'il gagne ne suffit pas à profiter de ce train de vie actuel.



C'est un courrier de sa mère qui vient perturber les habitudes vacancières : le besoin de liquidité est tel, que son père risque la prison. Elle lui demande, au nom de son père, de la famille, de pouvoir parler avec une personne qui se trouve dans le même hôtel qu'elle actuellement et qui est déjà venu en aide à son père par le passé : M. Von Dorsday. Ce dernier, d'un âge certain, entend la demande de la jeune fille mais lui demande en retour un petit quelque chose, trois fois rien : pouvoir l'observer à minuit dans une clairière baigné par la lumière de la lune, entièrement nue...



On suit les interrogations, les paradoxes, les tiraillements d'Else dès la lecture de la lettre de sa mère. Il y a l'envie et le besoin de venir en aide à la famille, puis des interrogations diverses concernant la demande, la réalisation de celle-ci, mais aussi la faisabilité.



Une telle demande est somme toute indécente, encore plus à cette époque où la nudité est cachée, proscrite voire dangereuse. On s'immisce dans les pensées de cette jeune fille dont l'auteur arrive à nous faire ressentir moult subtilités.



Arthur Schnitzler dépeint avec brio cette relation au père qu'Else admire et aime, mais en même temps cette colère sourde de se dire que ses parents se doutent bien de la situation dans laquelle ils la placent. L'auteur nous plonge dans ses doutes, ses peurs, ses décisions, ses incertitudes. Elle peut sauver son père, sa famille de la honte, mais en portant en elle l'opprobre et cette part de "vice".



Le portrait dépeint par Arthur Schnitzler est vraisemblable. Si au début, j'ai été un peu énervée par le ton et les propos d'Else, j'ai été vite rattrapée par le mode "pensées décousu". Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, à une époque où puritanisme, famille, religion sont quasi permanent dans la société. Ses pensées ne sont pas permanentes, ou fluides. Elles sont percutantes, hachées, déstructurées, paradoxales pour certaines. Là où je me suis sentie agacée au début, c'était par ce côté parfois simpliste et/ou fantasmé. Et pourtant, tout l'intérêt est là : être remué par des pensées qui finalement "ne nous appartiennent pas".



Mon grand bémol est que ce roman/nouvelle va trop vite : suivre les pensées d'Else était par moment laborieux. J'aurais eu besoin et aimé approfondir davantage certains passages. Connaitre un peu le contexte historique de l'époque donne des clefs de compréhension.



Là où j'ai été conquise, c'est par le côté profondeur de la pensée : cette histoire a dû être à plusieurs points de vue choquante à sa sortie. Comment une jeune fille peut déjà avoir ce genre de pensée sur elle-même alors que sa famille lui demande de l'aider à régler une situation complexe pour sortir le père des risques juridiques qui pèsent sur lui. En me replaçant dans ce contexte, Else me semble forte derrière son sourire sa politesse. Ses choix et sa réflexion autour de la situation sont pertinents.



En bref : un roman court entrant dans les méandres et les pensées d'une jeune fille tiraillée entre la bienséance et l'envie d'aider sa famille.
Commenter  J’apprécie          583
Le Retour de Casanova

Casanova. Le seducteur legendaire du 18e siecle. Non pas une simple legende, mais un personnage historique qui a laisse de nombreux ecrits, dont des memoires, celebres et legerement scandaleuses. Nombreux aussi sont ceux qui ont ecrit sur lui, qui ont romance sa vie.



Ici, Schnitzler nous le presente vieilli, quand il veut retourner a sa Venise natale d’ou il s’est enfui il y a fort longtemps. Il est fatigue. Fatigue d’aventures, fatigue d’amours. De Mantoue ou il sejourne il en demande donc la permission. Pendant l’attente il est invite dans un domaine agricole ou il rencontre une jeune fille qui l'emeut par sa beaute et son intelligence. Elle ranime son caractere chasseur et il essaie de la conquerir. Ce sera la preuve quíl a encore toutes ses facultes, qu’il est encore le Casanova qu’on a tant craint et celebre partout en Europe. Mais... elle se montre non seulement indifferente mais meme legerement dedaigneuse. Il devra user de tromperie, et se substituant a son amant fera irruption dans la chambre de la belle, artifice qui finira mal en fin de compte. L’exultation qu’il a ressenti un bref moment tourne en malaise, en ecoeurement. Et pour enfoncer le clou Venise lui communique qu’elle n’est prete a le recevoir que s’il accepte la basse besogne d’epier ses concitoyens. Il accepte, de tristesse de coeur. Il est encore en vie mail il n’est plus Casanova. Et de toutes facons la Venise qu’il retrouve n’est plus sa Venise. Tous ses espoirs, en fait ses illusions, sombrent.



Cela a été son dernier, ou avant-dernier, defi. Il a essaye l'astuce contre la confiance, la luxure contre l'amour, le grand age contre la jeunesse. Et il a perdu son defi. Il a tout rate.



Schnitzler nous donne un petit roman sur la vieillesse, sur le desenchantement. Et comme toujours chez lui, on sent que derriere la decheance d’un homme il depeint le declin d’une epoque, d’un monde. Ou du moins que chaque changement d’epoque ne peut etre que douloureux pour ceux qui ont connu autre chose. Et il importe peu que le changement soit en mieux ou en moins bien. Il n’est jamais faste pour les anciens.



Il peut exister des vieillesses heureuses. Mais – entre nous – qui veut vieillir?



Commenter  J’apprécie          557
La Ronde

La lecture du "Lieutenant Gustel" m'a donnee l'envie de relire d'autres courtes oeuvres de Schnitzler. Je suis donc allegrement entre dans "La ronde".





Schnitzler est un provocateur. La Ronde s'eclate en scandale dans la societe autrichienne du debut du 20e siècle, et s'attire immediatement un interdit de representation.



Destinees au theatre, ce sont de petites saynetes qui se suivent et se raccordent, en ronde, comme son titre l'indique. Il y est question d'amour. D'amour charnel, sans grand A, qui dure le temps d'une rencontre. Entre des partenaires qui s'interchangent sans etats-d'ame superflus. de quoi faire hausser les sourcils horrifies de la bureaucratie imperiale. La Ronde, a peine representee, entre en clandestinite. L' insinuation dans ses pages de chair fraiche est exagerement magnifiee par une aristocratie et une bourgeoisie hypocrites. La Ronde devient mythique. Heureusement pour nous, avec le temps passé le ballon est degonfle et il n'en reste que l'essentiel, ce que Schnitzler a vraiment ecrit: une critique un peu amusee des simulacres et de la cagoterie generalisee de son époque.



La Vienne du tout debut du 20e siècle est divisee en classes sociales qui ne se melangent pas, habitant des quartiers a frontieres fixes et restrictives. Enfin, jusqu'a un certain point, les beaux messieurs pouvant harceler les filles de joie jusque chez elles. Schnitzler joue les transgresseurs de cet ordre: Les personnages de la Ronde appartiennent a toutes les classes de la societe, et se melangent en chair impunement. Dix personnages en quete de public: une prostituee, un soldat, une servante, un jeune bourgeois, une jeune epouse et son mari, une ingénue, un poete un peu boheme, une actrice, un vieil aristocrate qui rejoint la prostituee de la premiere saynete, tous se donnent la main, en une ronde effrenee, et demandent plus. Et font plus: l'acte d'amour figure dans le texte par une ligne de points, ou de tires (aux metteurs en scene de se casser la tete pour representer sur scene ces lignes). Sacrilege? Je dirais plutot pied de nez de l'auteur, qui plante un miroir erotisant, obscenisant, face a ses concitoyens.





Schnitzler etait un provocateur. L'est-il encore de nos jours? Oui, peut-etre encore un peu. Il se moque un peu des sentimentalites idealisees de façade, appuyant sur les pulsions cachees derriere. Est-ce vrai qu'il n'y a pas d'amour heureux? Sourions en tous cas a la chair heureuse. Lisons et sourions.

Commenter  J’apprécie          532
Le lieutenant Gustel

Relecture (pour m'aerer d'un pave en cours).



Une courte nouvelle toute en monologue interieur. J'ai aime la coherence de ce monologue qui nous fait traverser efficacement le temps (une longue nuit) et l'espace (une longue promenade dans Vienne). Sans digressions (car sans vraiment utiliser le flux de conscience), Schnitzler ecrit un magnifique drame psychologique: Un officier de l'armee imperiale est offense par un boulanger, un homme de basse extraction qu'il ne peut donc provoquer en duel. Il ne voit plus qu'une issue (ou il pense que selon les codes d'honneur de l'armee il n'a qu'une solution pour laver son honneur): se suicider. Il passe donc toute une nuit a errer, cherchant la meilleure maniere de se donner la mort, et en fait triture par la peur de celle-ci.



Schnitzler, medecin de formation sinon de carriere, a ete toujours interesse dans ses ecrits par l'erotisme et la mort (en temoignent aussi "Nouvelle revee", "La ronde" ou "Mademoiselle Else", dont j'avais fait des billets que je devrais peut-etre refaire). Il a une profondeur psychologique admiree par Sigmund Freud, qui voyait en lui un "double" litteraire.



Mais il y a plus. Ecrite en 1900, cette nouvelle attaque de front le code de l'honneur qui orientait encore l'armee, et que Schnitzler trouve desuet pour ne pas dire caduc, pernicieux pour ne pas dire immoral. Et ce n'est pas un hasard si un tribunal militaire a immediatement juge l'auteur et l'a dechu de son titre de medecin militaire de reserve.



J'aime bien Schnitzler. Dans ses photos il a l'air d'un bon bourgeois viennois, bien ne dans une riche famille juive assimilee. En fait c'est un revolutionnaire. Dans les lettres allemandes il est le premier a utiliser le monologue interieur et le flux de conscience. Et ses ecrits sont un requisitoire contre les moeurs de la societe dans laquelle il vit. Ses heros sont tous (ou presque) choisis au sein de la bourgeoisie, mais ils denoncent tous les artifices, les trompe-l'oeil, les mensonges, les faiblesses, les abjections de leur classe. Ils traduisent tous la decadence de cet empire pompeux du centre de l'Europe. Il ne s'en laisse pas conter, le Schnitzler. Et en plus il sait ecrire. Il merite sa place au parnasse du "demi-siecle d'or des lettres autrichiennes".



Cette petite nouvelle est une perfection. Centenaire, elle pete encore la jeunesse et la santé. A lire.

Commenter  J’apprécie          504
Gloire tardive

Léonard Saxberger approche de ses soixante-dix ans. Il s’est installé, depuis 35 ans, dans une petite vie enveloppée d’une torpeur confortable, entre son bureau où il occupe un emploi de fonctionnaire, ses promenades et ses visites au café de « La Poire bleue » où il partage les parties de billard et les fêtes arrosées des habitués.



Cet homme tranquille a oublié les vers publiés dans sa jeunesse, réunis dans un recueil titré « Promenades ».

Quand, au retour de l’une de ses promenades, un visiteur l’attend chez lui, il tombe des nues, décontenancé face à l’enthousiasme de ce jeune poète admiratif qui fait partie d’un cercle d’artistes nommé « La jeune Vienne ». Il l’invite à se joindre à eux lors de leurs rencontres au café de l’Exaltation.



Le visiteur parti, Saxberger ne sait que croire : se moque-t-on de lui, est-il vraiment digne de cette admiration ?



Tout l’intérêt de cette nouvelle tient dans l’attachement que l’on éprouve pour cet homme vieillissant qui revit au contact de cette jeunesse qui l’accueille et lui permet de retrouver un peu la sienne. Tout en lui en redonnant l’image oubliée, cette rencontre suscite des questionnements qui se font jour dans l’esprit de Saxberger. Pourquoi lui ? Sont-ils sincères ? A-t-il vraiment du talent ? n’est-il pas ridicule ? Et le lecteur se pose les mêmes et se demande où ce regain de vie va-t-il le mener…



« Le vieux monsieur se sentait léger et de belle humeur. Il songea : Mais pourquoi tout cela aujourd’hui seulement ! Si tard ! Que n’ai-je fait cette rencontre il y a trente ans — ou vingt ans, ou même, il y a cinq ans ! Et là-dessus, une fois de plus, l’impression d’avoir retrouvé la fraîcheur de sa jeunesse s’imposa avec une force telle qu’il finit par se dire à lui-même : non, il n’est pas trop tard. » p 60



Le texte nous fait vivre toutes les hésitations, les doutes et aussi les agacements et les conflits inévitables entre son ancienne vie et celle qu’il croit avoir retrouvée au sein du cercle de « la jeune Vienne » qui le mène malgré lui à rêver d’une reconnaissance, voire d’un possible succès inattendu.

Le ton de Arthur Schnitzler est assez ironique et quelquefois sans indulgence, un mélange de dérision et de cruauté quand il dépeint les habitués des cafés que ce soit ceux du billard de La Poire bleue ou le milieu littéraire et journalistique du café de l’Exaltation.



Au final, un texte que j’ai pris plaisir à découvrir grâce à Babelio et aux éditions Albin Michel qui m’en ont permis la lecture avant parution.

Commenter  J’apprécie          500
Vienne au crépuscule

Ce roman est le reflet d'une époque, Vienne au début du XXème siècle, d'une société qu' Arthur Schnitzler décrit avec une grande finesse en y révélant ses contradictions, son atmosphère "fin de siècle". De nombreux personnages gravitent autour du baron von Wergenthin, jeune compositeur mondain. Son aventure avec Anna sert de fil conducteur au roman. Quand celle-ci tombe enceinte, le baron, qui a la réputation d'un grand séducteur, ne semble pas prêt à un engagement qui déciderait de toute son existence. Il n'a rien cependant d'un Don Juan criminel. L'antisémitisme est aussi au coeur de ce roman.
Commenter  J’apprécie          465
Mademoiselle Else

C’est l’histoire d’une jeune fille intelligente, jeune ,jolie, de la bourgeoisie viennoise , un peu vaniteuse , Else , fille d’un célèbre avocat : le texte a été écrit en 1924…



En vacances en villégiature avec sa tante , dans un palace italien ,elle apprend par une lettre de sa mère que son père ,il vit au - dessus de ses moyens , ruiné à la suite de malversations financières——- il est même au bord du gouffre cette fois ——ne pourra être sauvé du déshonneur que si elle parvient à soutirer à un ancien ami de la famille , le marchand d’art Dorsday, trente mille florins .



Surtout que ce n’est pas la première fois que Dorsday a mis la main au porte- feuille afin de colmater les dettes de son ami …



L’histoire d’Else est fascinante : le lecteur suit ses interrogations, , ses pensées intimes , ses réflexions lors d’un long monologue intérieur , sur une situation délicate qu’elle aimerait tant maîtriser.



L’auteur s’immisce avec brio dans la relation d’Else avec son père , elle le chérit mais se rend compte avec amertume que sauver son père ne pourra que la plonger dans la honte d’elle même .

Très dévouée à son père, pensons à l’époque : elle est tiraillée entre la bienséance et l’envie absolue d’aider sa famille.



Elle passe par tous les états possibles et imaginables : doutes , craintes , sidération , fantasmes , acceptation, désespoir, souffrance rêves ,pulsions de vie , pulsions de mort, folie ….désir de mort …désirée …



Elle apparaît agaçante ,frivole parfois , pathétique….





Le ton est juste : cas de conscience entre l’amour paternel et le propre amour propre d’une jeune fille tiraillée , la rencontre d’une ingénue et le jouisseur pernicieux : Le marchand d’art Dorsday.



Un conte cruel éblouissant, tout en tension , moderne à travers des mots forts et des errances désespérées.

Merci aux amis de Babelio de m’avoir fait acheter ce livre, une fois de plus !

Commenter  J’apprécie          452
Mademoiselle Else

LE MESSAGE EST À L'INTÉRIEUR...



Mlle Else est, vue de l'extérieur, une jeune fille bien sous tous rapports : Jeune (19 ans), belle, charmante, élégante, vive ; elle est - du moins pour les apparences - de bonne famille bourgeoise, fille d'un avocat d'affaire de la Vienne de la fin du XIXème (ou du début du XXème. L'auteur nous donne trop peu d'éléments pour mieux situer l'époque. La nouvelle est de 1924) et réside en villégiature dans un palace italien avec sa tante.



Coup de tonnerre : une rapide missive de sa mère l'informe du drame en action. Son père s'est (une fois de plus, mais nous ne l'apprendrons qu'au fil du récit) mis dans une situation financière tellement délicate - le démon du jeu semble en être d'abord la cause principale - et même illégale qu'il risque non seulement la prison mais le déshonneur le plus infamant, pour lui et, par voie de conséquence, pour la famille toute entière. On comprendra très vite cependant que ce père est un avocat véreux ayant l'habitude de solliciter son entourage pour le tirer d'affaires scabreuses. Cette fois, il semble s'en être pris à l'argent de pupilles dont la gestion des biens lui furent confiés... Sans l'ombre d'un ressentiment, il a donc téléguidé ce courrier, via son épouse, afin que sa propre fille se vende, littéralement, à un certain Monsieur von Dorsday, riche, vieux et libidineux marchand d'art en relation avec son père (lequel est au courant d'une de ses récentes et fructueuses ventes de toiles) et par ailleurs présent dans la station thermale où se repose sa fille. Le courrier demande à Else qu'elle fasse l'emprunt de 30 000 gulden, lesquels deviendront très vite 50 000, le montant dû par ce père indigne étant plus élevé qu'il l'avait d'abord prévu. L'intrigue peut, dès à présent, se nouer.



On peut très vite imaginer les remous, la souffrance, les interrogations intérieures de la jeune femme, qui confinent au pire des dilemmes : sauver son père - et, incidemment, sa famille - de la faillite et de la honte publique ou porter le déshonneur dans sa chair mais sans que nul autre que les deux protagonistes directs de l'affaire - elle, le vieux bougre, moins satyre qu'il y paraît de prime abord mais qui ne se rend pas compte de la portée apocalyptique de sa prétention - en sache rien de concret. En un mot comme en cent, se prostituer pour la survie du clan... D'ailleurs, c'est presque en ces termes qu'elle se pose à elle-même ce qu'on lui demande d'accomplir : «Je ne me vends pas ; non, jamais je ne me vendrai. Je me donnerai. À l'homme de mon choix je me donnerai. Me vendre, ah non. Je veux bien être une dévergondée mais pas une putain.» On peut d'autant mieux les imaginer, ces tempêtes intimes, que tout l'art, magistral, d'Arthur Schnitzler nous y invite. Ainsi, cette nouvelle (il ne s'agit en rien d'un roman mais la densité et le brio avec laquelle elle est exécutée en vaut mille) use-t-elle d'un procédé stylistique encore très nouveau à l'époque, inventé par un littérateur français aujourd'hui totalement oublié, un certain Emile Dujardin, pour sa nouvelle parue en 1887 "Les lauriers sont coupés" et qui sera très rapidement qualifié de "monologue intérieur". Ainsi, tout au long des quelques quatre-vingt pages de ce texte haletant, sans répit, mené tambour battant par un maître de la nouvelle, ce sont les pensées de la jeune femme que l'on suit. À peine sont-elles ici et là entrecoupées de dialogues que la jeune femme échange avec son entourage et qui permettent de créer un pont entre intérieur et extérieur, donnant ainsi encore un peu plus de ressort, de suspens à ce texte diabolique par sa conception et sa réalisation. Ainsi, on "entend" les pensées volubiles, parfois volatiles, toujours en tension, d'Else ; des pensées souvent «coq à l'âne» d'une jeune âme forte et fragile à la fois - un peu narcissique, légèrement "hystérique", elle suit une cure dans laquelle lui est prescrit du véronal - , elle souffre et est évidemment en droit de souffrir que d'être auto-sacrifiée par une famille sans vergogne et sans amour sur l'autel de la faute paternelle, qui ne trouve de sens à sa vie que dans la mise en scène d'une fin qu'elle va mettre en scène mais qui va s'avérer parfaitement ratée, rongée par une culpabilité qu'elle échoue à mettre à l'écart, partagée entre désir immense de vivre, de profiter de l'existence (elle a des rêves de maris riches, d'amants nombreux et de vie plus libre que la société de son temps lui promet) et volonté plus où moins outrée, surjouée de se donner la mort...



Le Docteur Arthur Schnitzler connaissait bien son sujet, lui qui était féru des découvertes du Dr Freud avec lequel il correspondait, lui qui s'intéressait de très près aux avancées de ce que l'on appellerait plus tard la psychanalyse, et plus particulièrement aux premières découvertes d'importance en matière d'hystérie et de névrose, s'intéressant de près aux pulsions inconscientes, aux rêves, etc. Partageant avec son aîné de six ans un judaïsme laïque assumé, l'amour pour une même ville, Vienne, une même profession, la médecine, des auteurs proches voire identiques, il est inconcevable de ne pas lire cette nouvelle incomparable à l'aune du "psychologisme" en cours à l'époque. Mais - et, dans un certain sens, les nazis ne s'y étaient pas trompés qui vouèrent le génial autrichien aux gémonies, l'accusnat de participer à la décadence et à la destruction d'une société antique, parfaite et fantasmée - il ne faudrait pas oublier la dimension sociale - sociétale exprimerait-on aujourd'hui - de ce texte brillantissime. Car c'est rien moins qu'à une société aussi sclérosée qu'abominablement hypocrite que le nouvelliste s'attaque ici une nouvelle fois. Une société dans laquelle l'honneur d'une famille, sa réputation, valent mieux que l'intégrité physique et psychologique d'une femme au commencement de sa vie d'adulte ; une société dans laquelle l'individu ne compte guère sans le groupe et, au sein de ces individualités, où la femme demeure assujettie à la figure masculine (ici : paternelle), même si cette dernière est des plus contestables, des plus immorales et mortifères.



Mademoiselle Else est aussi bien plus que cela. C'est, par la grâce d'un écrivain de génie, le portrait incroyablement crédible d'une jeune femme, certes de son temps par bien des réflexions, par son mode de vie, par son entourage et pour cela certains éléments peuvent sembler aujourd'hui terriblement passés, désuets ; mais c'est aussi une demoiselle excessivement moderne, d'abord parce qu'avec une finesse psychologique inouïe, Arthur Schnitzler nous convainc, dès les premières lignes, que c'est bel et bien une personne vivante à laquelle nous avons affaire et dont, par un pouvoir télépathique incroyable, nous pourrions lire chacune des pensées, parce que c'est une charmante opportuniste qui se sait l'être (sans vergogne mais sans malice non plus), parce que si son âge peut nous la rendre parfois naïve, elle est loin d'être niaise ni godiche. Qu'elle est d'une intelligence redoutable derrière ses sautes d'humeur, ses incertitudes, son désir de faire son devoir mais qu'un très fort sentiment de sa propre liberté de conscience, de son individualité lui permet de contrebalancer afin de la sortir du rôle guindé de la "fifille à son papa ou à sa maman".



Si James Joyce avait utilisé ce procédé deux auparavant (en 1922) dans son célèbre Ulysse, c'est bien plus au personnage de Solal, d'Albert Cohen, que cette Mademoiselle Else nous renvoie et qui en fut d'ailleurs, possiblement, l'un des modèles. Même liberté de ton, même sautes d'humeurs, même virulence, même intransigeances, même envies de bien faire, mais sans que leurs créateurs cédassent pour autant jamais aux sirènes désagréables de l'auto-analyse, du contentement de soi dans la contemplation de leurs créatures. L'une comme l'autre sont dans l'action, dans la vie, mieux : elles sont la vie, et c'est ce qui rend d'autant plus troublant ce véritable morceau de bravoure littéraire, dont il semble en outre qu'il n'était pas un coup d'essai pour Arthur Schnitlzer, une nouvelle datant de plus de vingt-cinq ans auparavant et intitulée "Le Lieutenant Gustl" l'ayant déjà utilisé, sans que la postérité s'en souvienne autant. Quoi qu'il en soit, ce bref texte est indubitablement de ceux dont on peut affirmer qu'il n'a pas un mot de trop ni qu'un seul manque tant il est ciselé à la manière d'un diamant magnifique. Quant à sa brièveté, elle devrait être gage que tout lecteur un rien curieux prenne un jour la peine de lire ce monument des lettres germaniques et de la littérature mondiale tout court : le temps d'un court voyage en train, en métro et c'est le monde qui s'illumine un peu plus d'intelligence et de grâce autour de son lecteur !
Commenter  J’apprécie          448
Mademoiselle Else

Schnitzler est magistral. Il dissèque avec brio l'esprit de cette jeune fille intelligente, un peu vaniteuse certes, mais surtout dévouée à son père. Nous la suivons dans sa descente en enfer avec émotion. Elle nous livre toute une palette de sentiments au travers de ses réflexions. Je retiens surtout sa solitude. Dans cette bourgeoisie pleine de faux semblants, elle devra assumer seule l'irresponsabilité de ses parents. Ce livre est envoûtant car toutes les tentatives que la narratrice imagine, nous laissent croire qu'une issue est encore possible, et d'un coup de plume _une écriture très moderne_ nous plongeons dans ses doutes, ses craintes, ses peurs. A dix-neuf ans tout est si extrême...
Commenter  J’apprécie          440
Gloire tardive

Je remercie Babelio et les éditions Albin Michel pour m'avoir permis de découvrir "Gloire Tardive" en avant-première grâce à l'opération Masse Critique.

Je connaissais déjà la plume de l'auteur, ayant lu "Mademoiselle Else", court roman qui m'avait fait forte impression, et ce surtout grâce à son héroïne à l'esprit brillant et au caractère vaniteux, qui a l'audace de se démarquer des autres héroïnes par ses défauts et son réalisme désespérant.



Il est difficile de croire que le vieux Edouard Saxberger, qui mène une petite vie bien rangée, bien tranquille et surtout bien ennuyeuse, eut la prétention dans sa jeunesse d'embrasser la carrière de poète, et même l'audace de publier un recueil, oublié et inconnu de tous, "Les Promenades", dont les rares exemplaires vendus traînent dans sa miteuse bibliothèque. Enfin, c'est ce qu'il pensait, jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance d'un groupe de jeunes artistes, qui semble sincèrement, bien qu'étrangement, l'aduler et lui vouer une admiration sans borne, à lui et à sa bien maigre oeuvre. Serait-il possible que ses écrits valent vraiment quelque chose, et que seule "La Jeune Vienne" talentueuse soit assez sensible pour le remarquer ? Est-il vraiment trop tard pour connaître le succès qu'il désirait tant - et qu'il désire toujours au fond de lui ?

Saxberger, considéré par tous les membres comme un visionnaire au talent injustement méconnu, est alors intégré dans le cercle "Exaltation" créé par ces jeunes artistes aux rêves grandioses, qui s'imaginent un destin prometteur et glorieux, ce qui fini par contaminer le pauvre bougre de ses espoirs, de ses rêves de reconnaissance et de gloire tardive... Mais la vieillesse a-t-elle vraiment le droit de se voir couronner de succès ? C'est ce que l'auteur nous propose de découvrir à travers ce court roman.

Malgré cette intrigue originale et ses réflexions intéressantes, j'admets avoir été un peu déçue par la chute, que j'attendais plus exceptionnelle et plus désespérante. Il n'empêche que j'ai apprécié cette oeuvre, j'ai d'ailleurs noté de nombreux points communs - tant dans le caractère cruellement passionné et psychologiquement tortueux des personnages et de l'histoire conté - avec les oeuvres de Stefan Zweig que j'admire tant: même si c'est court, ça reste intense et marquant.

De plus le style d'Arthur Schnitzler est impeccable, à la fois impitoyable et percutant.

Une belle découverte en somme !



"Aussi longtemps qu'on est jeune, on peut éventuellement donner forme à pas mal de choses... et plus tard... plus tard ça passe, on ne sait comment."
Commenter  J’apprécie          424
La Nouvelle rêvée

La Nouvelle rêvée, Double rêve, Rien qu'un rêve... le titre du récit de Schnitzler aura eu droit a pas mal de traductions différentes tant le texte semble difficile à appréhender.



Mais pour moi, c'est Eyes Wide Shut. Et oui, j'ai découvert ce récit par le prisme du cinéma avec le magnifique film de Stanley Kubrick.

J'adore ce film, c'est un petit bijou. Quand je tenais un blog de cinéma, j'avais eu un plaisir fou à écrire un article détaillé sur cette histoire irréelle.



Dire que j'attendais beaucoup du texte original serait peu dire. D'où, peut-être, une légère déception.

À moins que ça ne soit simplement parce que l'histoire est trop linéaire à mon goût. Désolée mais je n'y vois pas grand mystère (ou du moins, il n'y en n'a pas autant que dans le film).

Oui, la scène du rêve est étrange mais pas plus que mes propres rêves. Le reste est une histoire de jalousie, de désir, de refoulement... le tout teinté d'un érotisme aussi suranné que le style de l'auteur.



Je ne regrette cependant pas cette lecture car elle met en lumière tout le talent de Kubrick.



CHALLENGE MULTI-DÉFIS 2018
Commenter  J’apprécie          415
Mademoiselle Else (BD)

Club N°51 : BD non sélectionnée mais achetée sur le budget classique

------------------------------------



Magnifique adaptation de la nouvelle de Schnitzler.



Le lettrage et les dessins évoquent l'art de cette époque : la Sécession viennoise.



Wild57

------------------------------------



J'ai bien aimé le dessin à l'ambiance des tableaux de Klint.



L'histoire ne m'a pas laissée indifférente mais l'ensemble ne m'a pas séduite.



Morgane N.

------------------------------------



La forme est réussie mais l'histoire ne m'a pas touchée.



Gwen

------------------------------------


Lien : https://mediatheque.lannion...
Commenter  J’apprécie          370
Mademoiselle Else

Il est difficile de faire une critique sur Mademoiselle Else...Pourquoi ? Parce que c'est un livre très complexe, d'où mon avis mitigé...



Tout d'abord, ce roman est très court (moins de 100 pages), ce qui ne m'a malheureusement pas permis de m'attacher au personnage d'Else. En outre, je dois avouer que je n'ai pas aimé la narration adoptée ; certes, le monologue est un très bon choix pour un aussi court roman, mais je n'arrivais pas à suivre les pensées de l'héroïne, et, donc, hélas, je me suis ennuyée à plusieurs reprises.



Malgré tout, ce roman présente aussi des avantages que je suis obligée de mettre en lumière. En effet, l'intrigue m'a tout de suite plu : une jeune femme en vacances avec sa tante reçoit un télégramme de la part de sa mère lui annonçant que son père, endetté, risque d’être envoyé en prison. Or, pour récupérer l'argent nécessaire pour sauver son père, Else doit faire appel à Dordsay, un marchand d'art qu'elle méprise, mais qui, hélas, est le dernier espoir de la famille. Petit à petit, Else va sombrer dans la folie, ce qui va la conduire vers une issue fatale...

De même, la "dernière" partie de l'histoire, lorsque Else doit faire un choix au sujet de Dordsay, est sensationnelle ! Nous suivons les derniers instants de la jeune femme, qui passe par tous les états possibles : le rêve, l'acceptation, le désespoir, puis la folie, et enfin, la mort (désirée).



Ainsi, je suis assez partagée par ce roman, mais je vous le conseille tout de même, ne serait-ce que pour la merveilleuse scène finale...
Commenter  J’apprécie          353
La Ronde

Au lecteur d'aujourd'hui peu attentif, La ronde passera pour une série de saynètes grivoises plus ou moins drôles et sans grand intérêt. Pourtant, si les dialogues ne font effectivement pas sauter au plafond, on peut rapidement détecter le motif principal de la pièce : une critique sociale sans tabou de la société viennoise de la fin du XIXème siècle - même si la veine en est essentiellement comique. Et dans le cas de la ronde, le contexte de la pièce s'avère au moins aussi important que la pièce elle-même.



La ronde - dont vous connaissez peut-être l'adaptation cinématographique de Max Ophüls - est organisée en dix saynètes, chacune présentant deux personnages, une femme et un homme, dans un quartier de Vienne à chaque fois différent. Les personnages se tournent autour, la femme fait en général mine de repousser les avances de l'homme - mais ce peut être l'inverse - et ils finissent par coucher ensemble. La chose est représentée symboliquement par une ligne de tirets, qui fait inévitablement penser à un texte censuré. Et censuré, celui-là le fut, et pas qu'un peu ! Bref, après cette ligne de tirets résumant l'acte sexuel, le dialogue entre les deux personnages reprend, puis ils se quittent. le lecteur comprend sans peine que tout ça sera sans conséquences et que les deux personnes, protestations d'amour (qui reviennent souvent) ou pas, ne se reverront plus (à l'exception du couple marié) et passeront à autre chose. Saynète suivante : on garde un des deux personnages de la saynète passée, un autre apparaît, et tout recommence : on se tourne autour, on joue les farouches, ou couche ensemble, on promet de se revoir, et hop, saynète suivante, sur le même schéma. En dix variations au total.



Vous aurez compris que c'est la forme qu'a donnée Schnitzler à la pièce qui fait son efficacité et son intérêt. Car tous ces personnages échangent leurs rôles et leurs textes constamment, tout en parcourant l'ensemble des quartiers de la ville, des plus mal famés aux plus riches : le cloisonnement social parfaitement en place à Vienne en 1896 (date d'écriture de la pièce) vole en morceaux. La géographie imposant la séparation des classes est mise à mal, les femmes font ou disent la même chose que les hommes, les prostituées la même chose que les bourgeois ou les aristocrates, à l'aide de dialogues qui reprennent sans cesse, en boucle, les mêmes paroles : "Je ne suis pas du genre à faire ça", "Est-ce que tu m'aimes ?", "Mais oui je t'aime.", "Tu me rappelles quelqu'un", "Revoyons-nous très bientôt", etc., etc. Ce sont donc ces répétitions et ces échanges constants qui font de cette pièce une critique sociale, par ailleurs plus comique qu'acerbe. Pour autant, on se plie pas de rire en la lisant, d'autant qu'aujourd'hui, elle a en partie perdu de son efficacité satirique.



Et pourtant... quand elle fut écrite, en 1896-1897, il était carrément impensable de la faire jouer, et même de la faire éditer, et Schnitzler la fit publier pour ses amis en 1900 à compte d'auteur en 200 exemplaires. Même pas prévue pour être vendue, elle fut déjà conspuée allègrement, puis à nouveau en 1903, lorsqu'elle fut publiée officiellement. Puis on l'interdit en 1904. Ne parlons même pas de la première à Berlin en 1921, qui déclencha moult insultes antisémites et deux procès, dont le second se termina par un autodafé. Vienne fut plus clémente avec une simple interdiction de représentation pendant un an...



Ce qui prouve que ce qui peut paraître au premier coup d'oeil une simple fanfreluche dit bien des choses sur son époque, et qu'il serait bien dommage de passer à côté. Mais nous en reparlerons certainement avec la biographie d'un célèbre peintre viennois...





Challenge Théâtre 2017-2018
Commenter  J’apprécie          342




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Arthur Schnitzler (1912)Voir plus

Quiz Voir plus

Le jeu des je, en chansons (1)

Qui chante : " J'ai 10 ans" ?

Jacques Brel
Thomas Dutronc
S. Gainsbourg/J. Birkin
Maxime Le Forestier
Renaud
Alain Souchon

13 questions
34 lecteurs ont répondu
Thèmes : chanteur , musique , chanson française , nostalgieCréer un quiz sur cet auteur

{* *}