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Citation de mamansand72


Elle m’observe pourtant quelquefois quand je joue avec la petite, mais je ne suis pas sûr qu’elle me regarde autant que moi je la regarde. Elle est probablement en train de m’étudier sous l’angle de l’hérédité par rapport à sa fille. Mon soupçon se confirme lorsque je tourne le pain à l’envers sur la planche.
« Tu es gaucher ? » demande-t-elle en me regardant de ses yeux vert-bleu attentifs.
Du fait que nous vivons momentanément sous le même toit et que l’appartement est petit, nous sommes parfois obligés de nous faufiler pour passer l’un devant l’autre et il arrive que nous nous heurtions involontairement. Et puis je l’ai effleurée une ou deux fois exprès. Je pense toujours autant au corps, mais j’essaie de me limiter aux heures où Anna n’est pas là, comme lorsque je suis en train de travailler au jardin. J’ai tellement peur que mes pensées se voient sur mon visage. Anna est sûrement une de ces personnes sensibles qui voient les pensées sous forme d’images entourées de dentelle nuageuse, avant même qu’on les ait cogitées soi-même jusqu’au bout. Maman était comme ça, elle pouvait dire ce que j’étais en train de penser. Je ne demande pas mieux que d’avoir Anna comme amie mais le fait qu’elle soit une femme et que nous ayons un enfant ensemble complique incontestablement les choses. Quand nous sommes dans la même pièce, la mère de mon enfant et moi, je me surprends sans arrêt à perdre le fil de la conversation. Surtout quand elle vient de prendre sa douche, et qu’elle a les cheveux mouillés ou mis une barrette pour écarter sa frange du visage. Ce n’est pas avant d’être sous ma couette, en plein monologue de l’âme, alors que mère et fille sont endormies dans la pièce voisine, que je puis m’autoriser à penser au corps - à me rappeler une fois de plus que je suis vivant. J’avoue avoir envisagé la possibilité que quelque chose s’allume entre Anna et moi - je veux dire quelque chose d’autre qu’une nouvelle vie. Ce qui me sauve de l’impasse de pulsions charnelles, c’est la fenêtre ouverte de la cuisine. En droite ligne de mon oreiller, dans l’obscurité, se dresse le mur infranchissable du monastère et, derrière lui, du côté où la vigne sommeille, se trouvent mes parterres de roses que je dois absolument arroser demain. Je suis le seul homme à connaître l’existence d’une certaine variété de rose vivace, là-bas dans le noir, sous la lune jaune.
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