Baltasar Gracian :
L'Homme de courDans les
jardins du palais impérial de Tokyo,
Olivier BARROT présente le livre de l'Espagnol
Baltasar GRACIAN, "
L'Homme de cour", écrit en 1647,
receuil de 300
maximes, véritable "
manuel d'arrivisme".
Pour tolérer toutes les sottises d'autrui, mieux vaut une extrême patience.
Le soleil change souvent d'horizon et de théâtre, afin que la privation le fasse désirer quand il se couche, et que la nouveauté le fasse admirer quand il se lève.
Un grain de gaieté assaisonne tout.
Les vérités qui nous importent davantage ne sont jamais dites qu'à demi.
Vouloir aller contre le courant, c’est une chose où il est aussi impossible de réussir qu’il est aisé de s’exposer au danger ; il n’y a qu’un Socrate qui le pût entreprendre. La contradiction passe pour une offense, parce que c’est condamner le jugement d’autrui. Les mécontents se multiplient, tantôt à cause de la chose que l’on censure, tantôt à cause des partisans qu’elle avait. La vérité est connue de très peu de gens, les fausses opinions sont reçues de tout le reste du monde. Il ne faut pas juger d’un sage par les choses qu’il dit, attendu qu’alors il ne parle que par emprunt, c’est-à-dire par la voix commune, quoique son sentiment démente cette voix. Le sage évite autant d’être contredit que de contredire. Plus son jugement le porte à la censure, et plus il se garde de la publier. L’opinion est libre, elle ne peut ni ne doit être violentée. Le sage se retire dans le sanctuaire de son silence ; et, s’il se communique quelquefois, ce n’est qu’à peu de gens, et toujours à d’autres sages.
Les gens d'esprit sont craints; les médisants sont haïs; les présomptueux sont méprisés; les railleurs sont en horreur; et les singuliers sont abandonnés de tout le monde.
Il faut donc estimer pour être estimé. Celui qui veut faire sa fortune fait cas de tout.
L'impatience croît avec la science. Une grande connoissance est difficile à contenter.
Rien ne demande plus de circonspection que la vérité, car c'est se saigner de la dire. Il faut autant d'adresse pour la savoir dire que pour la savoir taire. [...] Toutes les vérités ne se peuvent pas dire : les unes parce qu'elles m'importent, et les autres parce qu'elles importent à autrui.
Que fais-tu ? Sais-tu bien à qui tu as affaire ? Ne vois-tu pas que tu te déclares contre la Fausseté, c'est-à-dire contre tout le monde, et qu'on va te prendre pour un fou à défendre l'autre, la Vérité ? Les enfants et les fous ont déjà voulu venger cette dernière en la faisant sortir de leur bouche mais trop faibles contre tant d'adversaires si puissants, ils n'ont rien pu faire : la Vérité, toute belle qu'elle soit, est depuis restée abandonnée. Et lentement, on l'a poussée et repoussée au loin, si bien qu'aujourd'hui, elle n'ose paraître et nul ne sait où elle a pu trouver refuge.
MAXIME CCLXII
Savoir oublier.
C’est un bonheur plutôt qu’un art. Les choses, qu’il vaut mieux oublier, sont celles dont on se souvient le mieux. La mémoire n’a pas seulement l’incivilité de manquer au besoin, mais encore l’impertinence de venir souvent à contretemps. Dans tout ce qui doit faire de la peine, elle est prodigue ; et dans tout ce qui pourrait donner du plaisir, elle est stérile. Quelquefois le remède du mal consiste à l’oublier, et l’on oublie le remède. Il faut donc accoutumer la mémoire à prendre un autre train, puisqu’il dépend d’elle de donner un paradis ou un enfer. J’excepte ceux qui vivent contents, car, en l’état de leur innocence, ils jouissent de la félicité des idiots.