Si un manifestant ouvrier lambda, ou un étudiant, avait voulu porter plainte pour avoir reçu un coup de trique, ou avoir été insulté par un policier, il se serait fait rire au nez par le magistrat. Et il aurait d'ailleurs récolté, dans l'opinion, et même chez ses camarades, plus de moqueries que de compassion. Dans la mentalité de l'époque, avoir peur des coups et du danger, chercher à les éviter, se plaindre d'en être victime, c'était couardise qui vous déshonorait son homme.
Par sa formation, le militaire considère son adversaire comme un ennemi à neutraliser par tous les moyens, en le détruisant physiquement s'il le faut, quitte à employer les armes les plus destructives. Au combat, réagir immédiatement est une condition du succès et, bien souvent, de survie.
Mais le maintien de l'ordre n'est justement pas un combat comme les autres, même si on ne commença à s'en apercevoir que dans le dernier tiers du XIX ème siècle. L'adversaire n'est pas un ennemi, et il s'agit de n'utiliser la force que comme ultima ratio, et jamais de façon spontanée. Le préfet de police Lépine, à la veille du 1er mai 1906, l'expliquait à des officiers supérieurs : "Les procédés de la police et de l'armée sont différents, ils sont même opposés. Nous, policiers, ne devons employer la force qu'à la dernière extrémité ; vous autres, militaires, c'est par là que vous commencez". Et si, au combat, il est hors de question de prendre contact avec l'ennemi, sinon pour négocier sa édition, en maintien de l'ordre, refuser tout contact avec l'adversaire ne peut qu'envenimer la situation.
Un jeune homme arrive, que poursuit une meute de fauves, certainement un policier déguisé. Il va être attrapé quand la fleuriste, avec un courage admirable, l'attire dans sa boutique et en ferme la porte au nez des poursuivants. Ceux-ci, interdits de tant de courage s'arrêtent, et repartent les bras ballants.
La plupart des ex-étudiants gardaient de cette vie insouciante, affranchie des conventions et des responsabilités, une nostalgie cultivée, voire idéalisée, pendant tout le reste de leur vie. Ce qui expliquait pourquoi les décideurs politiques (eux-mêmes anciens étudiants, et souvent pères d'étudiants) se montraient si indulgents envers les débordements du Quartier latin [...].
Indulgence, voire tolérance de facto qui contrastait fâcheusement avec la dureté dont les mêmes responsables faisaient montre envers les manifestations ouvrières.
Si un destin miséricordieux avait avancé sa mort de quatre ans, la vie rêvée de Louis Renault – tel est le titre d’une des nombreuses biographies qui lui ont été consacrées – aurait pu se lire comme une de ces success-stories dont les anglo-saxons sont si friands ; et qui auront, hélas, si sévèrement manqué à l’industrie française
La mystérieuse mort de Louis Renault
...vous ne relevez pas de la justice, et c'est regrettable. Mais vous relevez du mépris général. Soyez en persuadé. (p. 151)
Mais Lépine [préfet de police de Paris] comprit à son tour qu'agir avec retenue, n'employer la violence que si c'était nécessaire et pas plus que ce n'était nécessaire, ramenait encore plus efficacement l'ordre que des charges aveugles et brutales, qui servaient surtout à calmer le nerf des agents.
"Gaudeamus igitur !
Quelques années,
Nous avons le droit de rire encore.
Après notre jeunesse d'or,
Viendront les luttes acharnées ;
Pour nous être trop amusés,
Demain, nous ferons pénitence
Et deviendront gens d'importance ;
Des bourgeois, des hommes posés." (hymne étudiant)