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Critiques de Bernard Maris (77)
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Charlie Hebdo, 50 ans de liberté d'expression

Bouquin impressionnant, format géant. Comment résister devant CHARLIE HEBDO, 50 ans de Liberté d’expression, préfacé par Riss ?

Fidèle abonné à cet hebdomadaire écrit, réalisé par ces hommes et ces femmes qui ont toujours refusé d’abdiquer pour exercer leur liberté d’expression, je me devais de plonger dans cette histoire débutée le 2 février 1969 avec Hara-Kiri.

Je ne vais pas récapituler tous les événements qui jalonnent un parcours plein de courage et d’humour ; de tragédie aussi, hélas, avec ce 7 janvier 2015 où les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, l’économiste Bernard Maris, le correcteur Mustapha Ourrad et le policier Franck Brinsolaro ont été lâchement assassinés.

Le mouvement « Je suis CHARLIE » a été puissant, impressionnant et ce journal, symbole de la liberté d’expression, continue et vivra encore longtemps, j’espère.

Chaque grande partie de ce livre unique débute par une pleine page sur fond jaune, avec un titre et un texte court et explicite, pour chaque étape de la vie de Charlie Hebdo.

Depuis la censure du 9 novembre 1970 jusqu’à « CHARLIE toujours vivant ! », l’histoire se déroule et révèle une adéquation troublante avec celle de notre pays. Le tout inclut une quantité d’articles, de dessins démontrant toute la vie passionnante d’un journal complètement indépendant de la publicité. Les débats au sein d’une équipe qui évolue ont toujours été acharnés, sans concession, comme le démontrent certains épisodes.

Dans CHARLIE HEBDO, 50 ans de Liberté d’expression, il y a énormément à lire, à relire. J’ai donc pris mon temps, lu partiellement, revenant parfois en arrière ou passant plus rapidement sur certaines étapes. Le tout est bien mis en page et cela facilite grandement mon parcours de lecteur.

Évidemment, le livre retraçant l’historique de Charlie Hebdo, je peux relire Cavanna, son style direct, sans fioritures et c’est un immense plaisir de retrouver un homme que j’ai beaucoup apprécié aussi en tant qu’écrivain. Un texte comme celui intitulé « Feminos, cocos, socialos, gauchos, démocrates, progressistes… vous déconnez ! Laissez les lois fascistes aux fascistes » est extraordinaire d’indignation mais surtout doté d’une argumentation imparable, ne ménageant personne, surtout les politiques. Les pages suivantes rappellent alors que, du 26 novembre 1980 au 4 mars 1981, Charlie Hebdo fut le journal officiel soutenant la candidature de Coluche aux élections présidentielles avec son supplément : Coluche Hebdo…

Hélas, quand la gauche arrive au pouvoir, la censure bouge encore… Relations avec la presse, le soutien de Libération, critique des religions, principalement les cathos intégristes, bien avant les islamistes, innombrables procès, la plupart gagnés, que d’énergie déployée !

CHARLIE HEBDO, 50 ans de liberté d’expression déploie tous ces événements auxquels se sont ajoutées trois années supplémentaire avec un journal qui ne se contente pas de dessins humoristiques mais va bien au-delà avec des enquêtes sur le terrain toujours passionnantes et instructives.

Charlie Hebdo doit vivre et vit toujours grâce à de très nombreux lecteurs, une quantité impressionnante d’abonnés et ce livre fait la démonstration de la nécessité, de l’importance primordiale d’une pareille publication qui étonne, questionne, dans beaucoup d’autres pays, forçant l’admiration.

Le livre se termine avec une impressionnante double page, montrant la 1276e réunion de rédac, le 4 janvier 2017 ! Réjouissant et particulièrement encourageant car, depuis, il y en a eu et il y en aura encore beaucoup d’autres…

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Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui ..

Vous vous demandez quel lien entre les émeutes en Argentine, les coups de feu sur la population paupérisée en Asie du Sud-Est, le pillage des ressources par les oligarques de la mafia russe d'une part et les cures d'austérité et prêts en blanc du FMI d'autre part ?



« L'esclave est-il plus productif que « l'enfant libre » travaillant pour Nike ? » : équation ou « crime économique » ?



Bernard Maris, économiste reconnu, assassiné lors des attentats terroristes de Charlie Hebdo, revue à laquelle il participait, nous entraine, dans ce petit opus pamphlétaire et sociologique paru en 2003, dans les coulisses de la « science » économique…



Qu'est-ce que le libéralisme ? En économie, Maris, nous dit que c'est un système où le marché s'autorégule en toute transparence. Or, avec le paradoxe de Stiglitz, largement partagé par les chercheurs, qui nous dit que, livré à lui-même le marché ne peut améliorer son fonctionnement, Maris s'interroge, pourquoi les économistes continuent-ils de faire semblant ?



***



Dans sa « Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles », Maris analyse ses collègues économistes, met en garde contre les jeux intellectuels pour mathématiciens de laboratoire lorsque ceux-ci deviennent d'application concrète dans la vraie vie. Dans les colloques d'entre soi on fait de mal à personne mais on jouit simplement de la blancheur immaculée d'une équation à la craie sur un tableau noir. Equation également réfutable car les sophismes d'experts en mal de télévision peuvent défendre l'inflation, la déflation, la hausse des taxes et la baisse des impôts, l'austérité et l'Etat providence au gré des crises cycliques venues les désavouer…



« Les profits d'aujourd'hui sont les emplois de demain » ! Ce à quoi Maris répond que depuis 20 ans les profits augmentent et le chômage aussi. Les gourous de l'économie n'ont qu'une obsession, un pouvoir, convoité et monnayé par les politiques : la prévision. Maris citant Attali pour qui un économiste est celui capable « d'expliquer le lendemain pourquoi la veille il disait le contraire de ce qui s'est produit aujourd'hui » … l'économie ne connait pas la contradiction.



La loi parfaite de l'offre et de la demande est teintée d'un contenu normatif : c'est-à-dire d'un encouragement à la concurrence, car c'est elle qui optimise le « bien-être ». Interprétation erronée de l'optimum de Pareto qui se contentait de noter que l'équilibre du marché (efficient, autorégulé) ne peut accroitre le bien-être de l'un sans diminuer celui d'un autre !



Mais alors… les économistes savent qu'un s'agit d'une chimère, d'une idéologie, d'une prescription politique mais pour autant, s'étonne Maris, personne n'ose encore aller « cracher sur la tombe ».



Au contraire, les économistes se défendent, à l'image de Friedman pour qui une théorie ne doit pas être testée par le réalisme de ses hypothèses mais par celui de ses conséquences, et Maris d'ajouter que peu importe que la Terre soit plate tant qu'on peut faire du vélo !



Du déni. de même que chacun reconnait que le communisme est un « idéal » au sens d'idéologie, et que si les pays marxistes ont tendu vers le communisme, on ne peut pas dire que le communisme était pur et parfait au sens de ce que Marx pouvait théoriser, Maris encourage les libéraux à reconnaitre leur idéologie.



Le libéralisme pur n'existe pas, pour Maris « on ne va pas vers la concurrence pas à pas » soit il y a concurrence et équilibre pur et parfait… soit rien. Or, actuellement c'est surtout rien (douanes, monopoles, dumping, lobbying, ententes, aides d'Etat, cartels, concentrations etc) donc, pour reprendre la théorie démontée plus haut : aucune garantie de « bien-être » … même théorique.



Donc, après avoir décanillé la statue de la concurrence, Maris s'attaque à la théorie du jeu pour laquelle les acteurs du marché sont rationnels et ne visent qu'à maximiser leurs profits : problème, le paradoxe d'Allais, dès qu'un aléa ou une incertitude s'introduit dans les paramètres, c'est l'irrationnalité qui guette.



Pas d'aléa lui rétorqueront les experts des chaines d'info en continue, sans être contredits par des journalistes découragés par un jargon d'autorité que Maris appelle « la fonction terroriste des maths », puisque le marché est transparent.



Faux répond Maris, déboulonnant le totem de la transparence : « si tout se savait sur tout, personne ne ferait de profit ». Il n'y aurait plus de raison à gérer les risques, il n'y aurait pas de bruits de couloirs, d'initiés, de hors bilan, de comptabilité truquée, d'argent noir, de paradis fiscaux, de blanchiment d'argent liés au trafic de drogues et d'êtres humains.



En bourse c'est la même chose « les profits n'existent que parce que l'on ne sait pas ce que vont faire les autres, on anticipe ce qui n'est pas pareil ». Maris s'arrête prudemment sur la « confiance » notion qu'il laisse plus volontiers à Freud qu'aux économistes…



***



Ainsi dans un monde où la concurrence est faussée, l'équilibre absent et la transparence opaque, le FMI salue l'augmentation du PIB et Milton constate que plus les marchés sont risqués, plus les spéculateurs sont excités.



Le patron d'alors du FMI est particulièrement visé par Bernard Maris, notamment sa rhétorique sur la taxe Tobin (sur les transactions boursières) qu'on ne pourrait pas appliquer car il faudrait l'appliquer partout or il y a bien « trop de paradis fiscaux » … A quoi bon lutter contre le crime s'il y a trop de criminels rétorque par l'absurde Maris.



Méfiance enfin vis-à-vis des sempiternelles batailles de chiffres, qui sont avant tout des batailles de formules, de point de vue, à l'image du CERC, fermé après avoir calculé 11 millions de français dans la fragilité sociale…loin des 12% de chômage qui laisse croire à 88% de privilégiés…



La « main invisible » n'est pas si propre… Maris, connu pour son engagement écologiste, ne veut pas d'un monde qui « plus il est empoisonné plus il devient riche, par simple effet de rareté. »



On comprend désormais sa colère, tous les dogmes, tous les théorèmes sont erronés et pourtant les gourous de l'économie continuent leur « danse macabre » dans les médias, auprès des politiques, sans jamais avoir à rendre des comptes.



Au détour des figures de l'expert « le raté ou le paresseux de la profession » uniquement là pour « justifier celui qui le paye », de l'oracle, du penseur ou du journaliste, Maris croque le portrait quasi-sociologique d'un système interdépendant d'acteurs réunis autour du dogme capitaliste et dont la principale fonction, vis-à-vis de l'opinion, communicants à l'appui, est de produire du discours.



Pour Maris, citant Pierre Bourdieu, les économistes peuvent « produire des discours formellement corrects mais sémantiquement vides. »



Comme disait Cioran, « l'homme se raccroche à l'espoir d'une conflagration définitive dans le dessein de se débarrasser une fois pour toutes de l'histoire. »



Les fidèles du capitalisme aimeraient bien que la messe soit dite une bonne fois pour toute surtout, comme le souligne, non sans ironie, Maris : « la fin de l'Histoire, c'est bien si je suis en haut ». Pour l'auteur, le « capitalisme sauvage ne peut exister sans transcendance ». C'est l'idée que l'effort des pauvres sera un jour récompensé dans une vie éternelle pleine de croissance, et que les riches sont élus de Dieu sur terre « la preuve : ils font de la charité ».



***



A travers des références théoriques de Walras à Keynes, des exemples concrets de Merton à Camdessus, et le tout avec un effort de pédagogie très appréciable, Maris opère un rapide décryptage critique, drôle et citoyen.



Il nous permet de mieux comprendre le discours économique, béquille du discours politique (ou l'inverse), non pas dans le détail des formules et théorèmes, mais dans l'intentionnalité.



Peut-être pourrait-on repenser l'économie comme un rapport de force, un conflit d'intérêts plus ou moins rationnels qui doit être justifié par un discours, celui des experts et des oracles, et également perpétré via la coercition, les prêts du FMI sous condition d'austérité : véritables « stratégies du choc » pour reprendre la journaliste canadienne Naomi Klein, entrainant violences, répressions, précarité et remous politiques ; ou encore les monopoles européens dans la planification de la politique agricole commune (interdiction jusqu'à récemment de posséder ses propres semences de graines, sentiment de dépossession des agriculteurs et manque d'adaptabilité vis-à-vis de la permaculture etc).



Rapport de force illustré par cette citation rapportée d'Alain Minc, raillé par Bernard Maris « je ne sais pas si les marchés pensent justes, mais je sais qu'on ne peut pas penser contre les marchés. »



Qu'en pensez-vous
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Houellebecq économiste

Cette mise en perspective économique de l’œuvre de Houellebecq est intéressante bien que je n'ai pas lu tous les romans cités. Bernard Maris tragiquement disparu convoque de grands noms de la pseudo science économique pour présenter une critique du libéralisme omniprésente dans le discours et de l'auteur et de son sujet...Cet essai très accessible se lit d'une traite en moins de deux heures...
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L'homme dans la guerre : Maurice Genevoix f..

« Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l'heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure ».



Pour ce 11 novembre, j'ai fait sortir des tranchées un petit livre caché dans les profondeurs du magasin de la médiathèque.

J'aurais préféré qu'il s'intitule « La gomme dans l'air », histoire d'effacer à jamais les horreurs des conflits. Mais la réalité actuelle ne permet pas d'oublier ce que vit « L'homme dans la guerre ». Une contrepèterie dérisoire ne nourrit pas l'espoir, elle suscite juste un devoir de mémoire.

Verlaine avant Verdun, quelques vers qui me prennent à revers, le rythme de la versification résonne dans ma tête, 4-4-3, 4-4-3, les deux 4 claquent comme des coups de fusil, la vie explose, le 3 apaise car il tombe, sonne la mort.

Les Eparges, 1915, ne devrait-on pas appeler le sol où s'arrêta la vie de Louis Pergaud, « La terre des bougons », car l'opposition entre les deux bandes rivales de gamins qui se dépouillent de leurs boutons est prémonitoire, bouton-bougon, terre-guerre, l'homme devenu adulte est resté l'enfant frondeur de la jeunesse, incapable de régler un conflit sans bataille.

Alain-Fournier était déjà disparu depuis quelques mois, en 1914, peut-être sous « le grand aulne », domaine mystérieux qui le rendra célèbre avec un seul roman.

Mais deux autres écrivains ont pu résister à la mort pendant la guerre en Meuse, deux jeunes officiers d'une vingtaine d'années, l'un français, l'autre allemand, Maurice Genevoix et Ernst Jünger. Ils ont écrit pour témoigner sur ce conflit, la grande guerre, face à face, deux combattants qui ne se sont jamais rencontrés.

Compagnon de Sylvie dans sa fin de vie, la fille de l'écrivain de la Loire, Bernard Maris lui dédie cet essai un an après sa mort, et deux ans avant la sienne, cruel destin quand on sait ce qui arriva à la bande de Charlie.

Il n'a pas tardé à narrer les souvenirs de ces deux combattants reporters de guerre, en 2013, bien lui en a pris.

Le livre, paru il y a dix ans, n'a eu qu'une édition, les quelques mots de la quatrième de couverture consacrés à la vie de Bernard Maris sont écrits au présent. Il reste vivant, son association « Je me souviens de Ceux de 14 » aura permis, il y a trois ans, l'entrée au Panthéon de son beau-père avec qui il aurait aimé parler littérature. Cette lecture croisée des livres des deux écrivains « ennemis » témoigne du comportement humain face à la guerre, un regard vécu de chaque côté de la ligne de front, par deux protagonistes de terrain, admirablement relatée par le talent du conteur.



Faire la critique d'une critique d'un écrivain qui écrit sur l'oeuvre de deux autres écrivains, c'est un défi inaccessible. Je peux juste rendre compte, avec des citations, des recherches de Bernard Maris.

Son étude de textes est fouillée, la mise en relation des comportements des deux adversaires est permanente. Ils ne se sont jamais vus ni parlés, même lors de commémorations. Il organise cette rencontre, par l'écriture, entrecroise leurs récits en pointant leurs convergences et leurs différences. du grand art, comme si les deux se répondaient dans un dialogue imaginaire.

Mais tout est vrai. Ces deux-là ont tout vécu, tout transcrit, les citations sont intégrées avec fluidité dans le récit de Bernard Maris.

Connu pour ses écrits sur l'économie, il n'a pas hésité à consommer, mais en prenant le soin de ne garder que l'essentiel, avec énergie, mais sans gaspiller, comme un moteur hybride qui change de système, en douceur, tout en gardant sa vitesse de croisière, il nous balade de l'un à l'autre, avec juste des guillemets pour savoir lequel avance ses pions.

C'est un essai philosophique autant qu'un témoignage sur la guerre et les humains, où se mêlent histoire, psychologie et littérature. La référence à l'Iliade d'Homère montre combien les affinités sont évidentes entre les héros antiques et les soldats de la grande guerre.

Mais la période actuelle n'est pas en reste. Une phrase d'un chef terroriste entendue dans un reportage alors que Bernard Maris préparait ce livre :



« Jamais vous n'aimerez la vie comme nous aimons la mort ! »



Pouvait-elle être prononcée par le lieutenant Jünger ? Elle était destinée aux opérateurs des attentats-suicides, qui auront lieu à divers endroits, comme le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo.

Dans son texte, à un moment, il raconte ce que subit Genevoix :



« Soudain, la mitraille devient trop forte et il faut se coucher. C'est le moment qui décide de tout, de sa vie d'homme et d'écrivain. Il se retourne, ressentant quelque chose dans son dos. »



En effet miroir, j'y revois la même scène quand les compères sont réunis pour la réunion du comité de rédaction du journal. Genevoix/Maris, même combat, le premier s'en est sorti, le second n'aura pas eu le temps de penser à cette scène qu'il avait écrite trois ans auparavant.



« Les pulsions de mort et de vie se livrent un combat sans merci au coeur de l'humain. L'humanité vient précisément du refus de la pulsion. L'humanité commence quand la pulsion s'arrête ».



Ce jour-là, l'humanité ne s'était pas montrée. Et les pulsions battent en différents lieux à différents moments. Cette histoire est un éternel recommencement. Nous vivons une époque formidable.



Genevoix et Jünger n'ont pas fait la même guerre. « Ceux de 14 » et « Orages d'acier » parlent du même conflit, mais pas avec les mêmes mots. Pourtant y sont décrits les mêmes actions, les mêmes horreurs, les mêmes regards.

Genevoix, témoin que la guerre a fait écrivain, est dans le concret. Il est sensible à tous les humains. Jünger, est un écrivain-né, un penseur qui analyse, juge, prévoit.

L'un affirme son devoir de solidarité avec ses hommes, ainsi que son attachement à la terre.

L'autre dit la surhumanité des soldats allemands, glorifiant l'armée et la nation.



« La guerre nous apparaissait comme une action virile, comme un joyeux combat de tirailleurs dans des prairies pleines de fleurs, mouillées d'une rosée de sang ».



Bernard Maris est dans l'exaltation. « Vivent les passions et les pulsions enfin libérées, sorties comme de mauvais génies des corps nus ». (…)

« La guerre déchire la communauté de cette Europe matérialiste, et l'homme redevient ce qu'il est, primitif. Enfin la pulsion triomphe de la raison. L'homme redevient ce criminel-né que la culture étouffe. Il renaît ».



Et Jünger insiste :



« Il y a la guerre parce que le meurtre est en chacun de nous. La guerre révèle l'essence de l'humain ».



Maris explique alors la rédemption.



« Après les Eparges, cette guerre va changer les deux hommes. Elle enseigne la compassion à Genevoix qui, bouleversé par la mort de son ami, cesse de l'aimer pour «aimer la vie jusqu'aux plantes et aux arbres». Jünger au contraire, pour qui la guerre exprime la vie dans toute sa violence, se durcit alors que la défaite se profile, s'acharnant à la rendre belle.



Et il faudra attendre le second conflit mondial pour que l'officier de la Wehrmacht - qui dès ses débuts refusa de cautionner le régime nazi, claquant ostensiblement des talons pour saluer les Juifs porteurs de l'étoile jaune - n'aime plus la guerre. Pour que, bouleversé à son tour par la mort de son fils et les bombardements souillant sa terre, il se montre enfin accessible à la pitié.



Genevoix a vu de ses yeux ce dont était capable l'homme : de surhumanité dans l'horreur. Il va témoigner à son tour contre la mort, en la regardant d'un regard tranquille, car elle fait aimer la vie. Il le fera dans « La mort de près », ouvrage absolument pacificateur, serein. L'homme ne doit pas nier sa grandeur ».



Et la nature, dans tout ça ? Genevoix la remet en piste dans « Trente mille jours » :

« Il y a des signes partout… à croire qu'au fil des siècles, la race des humains ait laissé s'en aller d'elle les dons, les mots, les humbles et merveilleux secrets qui l'unissaient à l'universelle création ».



Et Bernard Maris le confirme :

« Innombrables sont les descriptions de la nature chez les deux auteurs dans leurs récits de guerre.

Genevoix est un écrivain achevé. Tous ses romans parleront des bêtes et des fougères, de jonchées de feuilles mortes et de mousses humides où l'eau laisse la trace des pas, et des ciels, pétillants d'étoiles ou bleu-écru, en lambeaux ou guenilleux, floconneux, poudrés.

Lire Jünger est aussi une promenade en forêt. Voici le trèfle fleurissant en lourds coussins d'un rouge sombre dans les prairies bordées de primaltiers blancs.

Non seulement Genevoix et Jünger ont trouvé leur style par le miracle de la guerre, mais ils n'en changeront plus. Jünger est abstrait, philosophique, rigoureux, Genevoix est hyperréaliste, orné, détaillé, compliqué presque. Les deux sont des poètes. L'écrivain est celui qui cherche ses mots : quelle gourmandises des mots , chez l'un comme l'autre ! »



J'aurais pu vous écrire aussi la description qu'ils font des animaux, spécialement des chevaux, éléments importants de cette grande guerre. Mais non, il vous faut la découvrir vous-mêmes en lisant ce petit livre, qui est bien plus qu'un essai, en tout cas pour moi un chef d'oeuvre.

Les analyses de Bernard Maris sont le témoignage de ce qu'une époque peut offrir de meilleur et de pire. On en fait le triste constat chaque jour.

Laissons-le conclure à sa façon :



« En fait, deux lieux échappent à la foule, aux hommes et à leur progrès : la forêt et la bibliothèque ».



Je dédie à « Deux de 14 » cet essai de Bernard Maris.

L'un est né le 28 juin de cette année-là, jour de l'assassinat de François-Ferdinand, l'autre est décédé en septembre, pendant la bataille de la Marne.

Ils n'ont pas eu le temps de faire connaissance.

J'ai su du premier qu'il a passé cinq années dans les Stalag.

Du deuxième, je n'ai vu qu'une photo, en noir et blanc. Au dos, un prénom, Emile. C'est son fils qui me l'a montrée. de ce Maurice, je ne vois que le souvenir d'un être meurtri.

L'homme dans la guerre, celui-ci était le mien, mon père, qui n'avait pas eu la chance de connaître le sien.
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Houellebecq économiste

On peut essayer de comprendre l’économie en se tapant les théories décérébrées des économistes (tous pourris) mais on peut aussi se mettre à la lecture de Houellebecq. On comprendra aussi bien la marche aberrante de l’humanité, et on sirotera à l’occasion son pur style d

ésenchanté.





Derrière tous les romans de Michel Houellebecq, Bernard Maris reconnaît la figure de certains grands économistes. Ceux-ci s’appellent Marx, Malthus, Schumpeter, Smith, Marshall ou Keynes, et ils ont popularisé les notions de « minimum vital nécessaire », de « destruction créatrice » ou d’ « infantilisme des consommateurs ». On peut ainsi lire L’extension du domaine de la lutte comme un roman sur le libéralisme et la compétition, Les particules élémentaires sur la marchandisation des rapports humains, Plateforme sur l’absurdité de l’offre et de la demande, La possibilité d’une île pouvant quant à lui se lire comme la science-fiction d’une humanité dont tous les membres seraient enfin devenus les kids éternels rêvés par la société de consommation.





Si les romans de Houellebecq sont si violents et cruels, c’est parce qu’ils reproduisent à l’échelle individuelle la violence et la cruauté qui se cachent derrière les théories économiques les plus nobélisables. Ce qui se passe dans les romans de Houellebecq est-il plus odieux et répugnant que la théorie de Gary Becker (les familles se répartissent en deux catégories selon qu’elles ont peu d’enfants mais de bonne qualité ou beaucoup d’enfants mais de qualité médiocre), celle de Gérard Debreu (notre société doit réfléchir de toute urgence à la question de la durée de vie des vieux : vaut-il mieux les débrancher tôt ou les maintenir en vie le plus longtemps possible pour créer des emplois ?) ou celle de Larry Summers (il vaut mieux déverser la pollution du Nord vers le Sud pour faire mourir les noirs et conserver les blancs afin que l’humanité y gagne en termes de revenu mondial économisé) ? N’oublions pas de préciser que les trois bonhommes sus-cités ont chacun reçu le Prix Nobel d’économie.





Un être humain trop sensible ayant grandi et vécu dans une société qui valorise de tels raisonnements et qui reconnaît les valeurs qui en découlent ne peut finir autrement qu’un personnage de Houellebecq. Il se montrera cynique pour se protéger, il déprimera s’il ne peut pas lutter, ou il collaborera s’il croit encore pouvoir tirer son épingle du jeu. Chacun des romans de Houellebecq présente des personnages pris au piège de ces comportements qui découlent d’un paradigme nauséabond. Voudrait-on s’en sortir que le reste de la société nous rattraperait et nous collerait à nouveau le nez devant les étalages de cosmétiques puants du Monoprix.





Les personnages des romans de Houellebecq présentent tous un léger décalage : ils louchent un peu trop et se prennent les jambes dans le tapis en voulant filer droit avec les autres. Leur regard dévie d’un angle infime par rapport à l’angle droit de la servilité joyeuse. Ils sont peut-être nés trop tard ou espèrent être nés trop tôt, ils regrettent la disparition du christianisme qui permettait de « refuser l’idéologie libérale au nom de l’encyclique de Léon XIII sur la mission sociale de l’Evangile » tandis que « le marché, lui, se charge de les abolir et de les pulvériser, en abolissant tout lien autre que monétaire ». En considérant que le déclin du christianisme s’accompagne de la naissance du matérialisme et de la science moderne, avec pour conséquences le rationalisme et l’individualisme, on peut interpréter Soumission, le dernier roman de Houellebecq, publié après cet essai de Bernard Maris, sous l’angle de la recherche d’un nouveau paradigme apte à mieux satisfaire les aspirations authentiques de l’être humain. Et si cette perspective semble affreuse, il faut alors se demander quel terreau a pu lui permettre de se développer ? Il paraît que les chiens ne font pas des chats.





Si Bernard Maris parle de Michel Houellebecq, c’est surtout pour dessiller certains de ses (mauvais) (ou faux) lecteurs qui croient voir en lui le représentant démoniaque des pires aspects de notre société. Peut-être n’est-il finalement que le témoin le plus intérieur de la catastrophe économique.

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Houellebecq économiste

Qui aurait cru que ces deux-là soit politiquement et amicalement compatible. A ma droite le plus médiatique, le plus controversé, le plus adoré ou le plus détesté des écrivains français de ce début de siècle, à ma gauche l’économiste humaniste (oxymore ?) journaliste à Charlie Hebdo et France Inter.



Qui aurait cru que l’univers nihiliste, anxiogène et le regard sans espoir que porte Michel Houellebecq sur notre monde ont pu inspirer le doux et bienveillant Oncle Bernard, lui qui bataillait contre Dominique Seux chaque vendredi sur notre radio national.



Bref la droite et la gauche se rencontre dans cet essai érudit mais accessible au commun des mortels. Bernard Maris sait parler d’économie de manière simple et compréhensible, il utilise les romans et essais de Houellebecq, qu’il connait parfaitement, pour décortiquer et expliquer notre monde contemporain : l’offre et la demande, l’individualisme, l’entreprise, le consumérisme, l’utile et l’inutile, le capitalisme en fin de règne, bref toutes ces joyeusetés qui font le monde Houellebequien si désespéré et pourtant si proche de nous.



Que vous aimiez ou détestiez Houellebecq, vous retrouverez le regard singulier de notre regretté oncle Bernard, disparu dans l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier dernier, en 150 pages il réussit à rendre attachant le plus énervant des écrivains français contemporains, ce n’était pas gagné d’avance.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Et si on aimait la France

Comme chacun sait, Bernard Maris, économiste, analyste, voire sociologue se trouvait à la conférence de rédaction de « Charlie Hebdo » le jour fatal...

Comme toujours, il avait mille choses en gestation, dont un bouquin inachevé qui nous est livré ici à titre posthume.

Il y aborde de nombreux sujets concernant notre monde, notre façon de le voir, ou la façon dont il nous est souvent présenté. Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est que l’auteur ne se réfugie pas derrière un dogme quelconque. Il ne fait pas un essai de « gauche » ou de « droite ». Il livre ses réflexions de spécialiste, d’homme qui réfléchit à ce monde chaque jour, et il nous cueille parfois là où on ne l’attendait pas. Il fait une photo de nos villes et de nos espaces péri-urbains, par exemple.

Certains ont argué que ce petit essai n’était pas très structuré. Il est vrai que cela part un peu dans tous les sens. Cependant, comme l’a dit Jacques Salomé : « Un livre a toujours deux auteurs : celui qui l’écrit et celui qui le lit. » Et dans celui-ci, tout est présent. Au lecteur de puiser dans cette source et de réfléchir de façon un peu différente.

Je pense que c’était le but de Bernard Maris qui ne me semble pas avoir souhaité créer une nouvelle secte, mais réveiller les consciences. Et n’oublions pas que l’on a toujours le droit de ne pas être d’accord...

A offrir et partager pour éviter les conversations du « Café du commerce ».

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Houellebecq économiste

Houellebecq a des millions de lecteurs. Parmi eux, il faut en distinguer au moins un: Bernard Maris. De tous les ouvrages que ce grand et regretté penseur assassiné nous laisse, celui-ci me sidère particulièrement. On ne sait en effet ce qu'on doit admirer le plus: la modestie du commentateur ou l' intelligence de son analyse. Avec quelle élégance l'économiste Bernard Maris s'efface-t-il derrière l'écrivain Houellebecq, pour le pousser en pleine lumière et lui décerner d'autres lauriers, lauriers qu'on ne lui accordait certes pas en première intention comme on le verra plus loin. Bernard Maris connait intimement les rouages du néo-libéralisme. Il a lu avec une attention extrème l'oeuvre de Michel Houellebecq, et il s'enthousiasme de reconnaître dans l'art de l'un la parfaite radiographie du premier.Ainsi non seulement cet écrivain est grand parce qu'il sait " parler de la mort, de l'amour et du malheur", mais il est à ce jour unique, parce qu'il sait comme personne surprendre "cette petite musique économique, ce fond sonore de supermarché qui de ses notes lancinantes et fades pollue notre existence, ces acouphènes de la pensée quantifiante…" Mais plus encore, il illustre dans les ressorts dramatiques de son oeuvre les théories de "la secte" des économistes, ces gens qui se reconnaissent à ce qu'ils savent toujours se justifier après coup de n'avoir rien prévu de ce qui arriva, qui prétendent scientifique leur discipline " qui ne parvient même pas à faire des pronostics vérifiables", ces apôtres de la quantification, des dites lois de l'offre et de la demande, ces mortificateurs des valeurs humaines d'entraide et de générosité, ces aiguillonneurs de la pulsion de mort du capitalisme.

Les personnages de Houellebecq sont des désarrimés ou des asservis volontaires, infantiles et infantilisés par la peur de ceux qui les maltraitent, les appâtent et les rudoient, comme les petits nazis en herbe rudoyaient et maltraitaient jusqu'au viol le petit pensionnaire des Particules élémentaires. Enfants perdus devant l'incertitude généralisée ( du travail, du couple, de la famille, mais aussi de la pérennité des objets (obsolescence programmée) qui disparaissent dès lors qu'ils en maîtrisent l'usage et le maniement. Enfants appâtés par des désirs fabriqués et entretenus par une pluie incesssante d'objets dont l'usage est incompréhensible à qui n'est pas encore adonné à leur consommation, mais qui deviennent très vite une espèce de nécessité pour rester dans les rouages des services, prestations, ouvertures de droits, inscriptions dans la plupart des actes de la vie civile.. Houellebecq va encore plus loin: de ce triste visage de notre monde, il déduit l'avenir et la fin de l'humanité, à partir d'une démarche logique à peine forcée, il nous livre l'inévitable conclusion .

Là où le personnage de l'écrivain Houellebecq peut le plus nous surprendre, dans l'hommage (le mot n'est pas trop fort) de Bernard Maris, c'est dans les valeurs qui in fine se dégagent , a contrario de l'horreur économique et néo libérale: la bonté, l'amour des femmes et la valorisation du travail.

Surpris? Si vous l'avez déjà lu, cela mérite une relecture. Si comme moi vous ne l'avez pas lu.. faites comme il vous plaira.En tout cas, je vais tenter l'aventure.
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Antimanuel d'économie : Tome 1

Irrité, iconoclaste, inspiré, parfois jusqu'à l'irritation. Le premier volume traite du gâteau : qui tient le couteau, que donne-t-il aux autres, etc. Je le préfère au second. Maris boude les équations et fournit des explications littéraires, donc plus ou moins accessibles à tous. En passant bien entendu, quelques évidences bien senties sur les économistes qui ne servent à rien, sur ceux qui ne font que de la politique, c'est-à-dire à peu près tous, sur la concurrence libre et sans entraves qui, bien entendu, n'existe nulle part (la Commission européenne, comme tout le monde...)
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L'homme dans la guerre : Maurice Genevoix f..

Bernard Maris nous propose une lecture croisée de deux grands écrivains l’un francophone Maurice Genevoix et l’autre germanophobe Ernst Jünger. Ils se sont fait face aux Eparges en 1915, ils furent gravement blessés l’un et l’autre le même jour, ils ont écrits la même guerre en y relatant les mêmes horreurs, les mêmes actions mais à les lire dans « Ceux de 14 » pour Genevoix et « Orages d’acier » pour Jünger. Bernard Maris nous montre bien qu’ils n’écrivent pas la même guerre chacun la raconte et l’analyse différemment, Maurice Genevoix est plus sensible à tous les humains surtout à ceux qu’il a sous ses ordres alors que Ernst Jünger se définit plus comme un lansquenet.



J’ai trouvé l’analyse que nous offre Bernard Maris très intéressante et une très belle, elle facilite l’introduction dans les deux ouvrages des auteurs.

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Antimanuel d'économie, tome 2 : Les cigales

Second volume, consacré à la gratuité. Où l'on tente de montrer que bien souvent la concurrence est inefficace et la coopération donne les meilleurs résultats. Moins convaincant que le premier volume. En même temps, ses livres vont beaucoup me manquer...
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Et si on aimait la France

Dans ce court recueil, l’économiste chroniqueur de “Charlie Hebdo”, dresse le portrait de la France qu’il aime et dont il déplore qu’on la contemple de manière si pessimiste. Un regard sur la France, ouvert et connaisseur, empreint de connaissances historiques, géographiques et culturelles.

L’éditeur précise que "ce manuscrit est publié dans son état originel, inachevé mais nécessaire" et il est vrai que les réflexions de l’auteur sont un peu fourre-tout, mais certaines sont de vraies pépites. Après cette lecture, il ne fait aucun doute que Bernard Maris aimait la France et nous aimons "oncle Bernard" .
Lien : http://notreavis.canalblog.c..
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Et si on aimait la France

Et si on aimait la France

Bernard Maris

Edition Grasset

Edité à titre posthume cet essai devient un monument à part. Il en devient affectif lorsque l’on sait la mort brutale de Bernard Maris le 7 janvier 2015 lors d’une conférence de rédaction à Charlie Hebdo.

Bernard Maris délivre des espérances à ciel ouvert. Il conte la France de roc et de fierté. Il chante l’hymne des plus démunis, des bafoués de la société. Il décortique les méfaits qui s’écoulent de la France et sonne l’heure possible de gloire. La politique du logement est analysée avec justesse. On n’est pas dans la démagogie et c’est toute la haute capacité intellectuelle de Bernard Maris de nous démontrer le pourquoi de ses impressions pertinentes et claires, d’une façon ludique et compréhensible par tous.

On ne pourra plus acheter Tintin au pays de l’Or Noir comme au préalable. Michel Houellebecq à contrario sert d’ouverture à l’édification de ce livre. La boboïsation fait la part belle de l’ouvrage.

« Les pauvres partent….. Les riches reviennent en ville, les bobos sont joyeux !!!! » « Ils ont pu se constituer un patrimoine en virant les pauvres et en transformant d’anciens ateliers en lofts. Ca s’appelle : ‘La gentrification. ‘ »

Bernard maris n’impose rien. Il ne dénonce pas. Mais place l’idée avant le mot. Il écrit d’une façon multiculturelle et planche sur l’originelle histoire de la France, de son habitus et de ses coutumes quasi interchangeables et évolutives. Il n’aura pas eu le temps de nous préciser qu’il s’agit là d’une chance.

Cet essai, riche, sociologique, géopolitique, urbain, ne se réfère à aucun cliché. Il photographie les diktats de la société et fait resurgir Marianne de terre avec force et vigueur. Ce livre est un levier et c’est bien ainsi.

A lire et à offrir en multitude.



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Marx, ô Marx, pourquoi m'as-tu abandonné ?

Ce livre fait le récit amer d'une désillusion. En suivant la brève leçon de marxisme de Bernard Maris, on comprend avec lui que la révolution communiste a moins pour ambition de mettre fin à l'exploitation de l'homme par l'homme que d'anéantir le péché qui ronge son coeur. Ce n'est pas le capital que veut défaire Karl Marx mais la mort en tant qu'elle est un scandale métaphysique. Le communisme ne serait alors pas tant une situation économico-politique mais une situation spirituelle et métaphysique située hors de toute temporalité historique : en un mot, le communisme se confond avec la béatitude chrétienne. Or, c'est précisément parce que l'ambition et la finalité du projet communiste sont de nature extra-physiques que les moyens purement matériels (économiques et politiques) qu'il se propose de mettre en oeuvre pour y parvenir sont condamnés à l'échec le plus cuisant et à la Terreur.



Quel salut reste-t-il alors ?

Bernard Maris étant matérialiste, il ne peut en envisager d'autres que politiques ; inapte à penser la grâce, il achève son texte sur l'aveu d'une défaite et l'expression d'un profond découragement : il n'existe pas de solution politique au problème du mal. Face aux limites et aux contradictions internes du marxisme qui était pourtant notre seul espoir, il ne nous reste plus qu'à inaugurer le triomphe définitif de la mort qui marquera le début d'une ère nouvelle, celle d'un âge sombre d'où l'espérance serait bannie.



Les lamentations de Bernard Maris ne sont pas sans rappeler celles d'Albert Caraco : on y retrouve la même certitude que le pire adviendra nécessairement (soit par l'annihilation totale de l'humanité soit par sa domestication technicienne) ainsi que la même fascination pour la figure idéelle de la Femme qui serait à la fois imperméable au péché et source de vie entièrement étrangère aux forces de mort (ben voyons). On y retrouve également la même conscience écologique teintée de misanthropie, le même désir inavoué de sauvegarder le règne animal par l'anéantissement de l'humanité comparée ici et là à une anomalie contre-nature ou à un parasite dont il faudrait se débarrasser. On comprend aisément que le carburant psychique du communisme authentique est ou bien génocidaire ou bien suicidaire car faute de discernement, l'horreur bien légitime qu'inspire le péché est reporté sur l'homme lui-même. Dès lors, l'humanité n'est plus regardée comme en proie au problème du mal mais comme le mal lui-même, une erreur que les penseurs gnostiques commettaient déjà.



Pour pallier ce travers, on se tournera utilement vers les enseignements d'Albert Camus et du penseur catholique Nicolás Gómez Dávila qui écrivait que « face au marxisme il y a deux attitudes également erronées : dédaigner ce qu'il enseigne, croire ce qu'il promet. » tandis que le premier avertissait :



« La révolte bute inlassablement contre le mal, à partir duquel il ne lui reste qu'à prendre un nouvel élan. L'homme peut maîtriser en lui tout ce qui doit l'être. Il doit réparer dans la création tout ce qui peut l'être. Après quoi, les enfants mourront toujours injustement, même dans la société parfaite. Dans son plus grand effort, l'homme ne peut que se proposer de diminuer arithmétiquement la douleur du monde. Mais l'injustice et la souffrance demeureront et, si limitées soient-elles, elles ne cesseront pas d'être le scandale. [...] Il y a donc, pour l'homme, une action et une pensée possibles au niveau moyen qui est le sien. Toute entreprise plus ambitieuse se révèle contradictoire. L'absolu ne s'atteint ni ne se crée à travers l'histoire. La politique n'est pas la religion, ou alors elle est inquisition. »
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Et si on aimait la France

Ce passionnant essai que Bernard Maris avait commencé à écrire et qu'il n'a pas pu achever nous fait mesurer encore plus ( si c'est possible) le vide qu'il a laissé quand il a été assassiné.

Au fil de la lecture, on se laisse guider par sa réflexion pertinente sur la France, par son intelligence, par sa sensibilité. On réfléchit en même temps que lui et en refermant le livre, on aime indéniablement encore plus la France qu'il décrit. Cet essai ouvre l'esprit vers des pistes interessantes et j'ai beaucoup aimé partager une dernière fois les réflexions de Bernard Maris, comme je le faisais souvent aussi à la radio.
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L'homme dans la guerre : Maurice Genevoix f..

Pascal écrit au XVIIe siècle : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger. »

Assassiné par Daesh, avec la Rédaction de Charlie Hebdo, Bernard Maris est le gendre de Maurice Genevoix et l'analyse comparée de l'oeuvre du grand écrivain français et de celle de d'Ernst Junger, "l'homme dans la guerre", ne peut aujourd'hui être dissociée de cette destinée héroïque.



Maurice Genevoix face à Ernst Junger, c'est la culture française face à la culture allemande, deux conceptions différentes de la civilisation, deux approches antagonistes de la mort et donc de la vie.



Mais c'est la même conception de l'honneur, du combat loyal face à face, à mille lieues du meurtre anonyme par des attentats aveugles ou des drones télécommandés.



Voici pourquoi il est aussi urgent de relire Bernard Maris que Maurice Genevoix ou Ernst Junger.



PS : Ma critique de "Pour Genevoix" :
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Houellebecq économiste

Réjouissant!

J'aime beaucoup Houellebecq parce que son oeuvre semble traversée des grandes problématiques de notre époque et qu'elle sait restituer le cynisme et le désespoir qui caractérisent les démocraties occidentales post soixante-huitardes. Bernard Maris analyse finement cette oeuvre en l'ancrant dans l'économie de marché.

Jubilatoire!
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Houellebecq économiste

Bernard Maris : Houellebecq, l’économiste

Bernard Maris est docteur en économie et membre du conseil général de la Banque de France.

Son livre est un cri, un réquisitoire du système économique actuel. C’est aussi un parcours quasi complet de toute l’œuvre de Michel Houellebecq.

Bernard Maris nous donne une grande envie de relire ou lire les livres de Houellebecq.

Son livre, un parcours en cinq moments traitant des comportements de l’individu et de l’entreprise associés à sa facette économique :

1 – Le règne absolu de l’individu ou la thèse d’Alfred Marshall,

2 – L’entreprise et la destruction créative ou la thèse de Joseph Schumpeter,

3 – L’infantilisme des consommateurs ou la thèse de John Keynes,

4 – L’utile et l’inutile ou la thèse de Marx et Fourrier,

5 – Au bout du capitalisme ou la thèse de Thomas Robert Malthus.

Mais pas seulement, il nous fait visiter et découvrir les grandes théories de l’économie. Il nous convie à lire leurs auteurs, à les étudier à comprendre notre contexte quotidien.

Merveilleux ! A lire absolument même sans connaissance de l’économie et de Michel Houellebecq. Un livre très accessible, court et bien écrit. Un coup de cœur.

PS : un éloge posthume à Bernard Maris. Il va manquer.

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Antimanuel d'économie : Tome 1

livre très intéressant et pertinent sur le sujet ... sur de vastes sujets et débats d'ailleurs ! si l'économie et l'histoire de l'économie pouvaient être enseignés partout avec autant de talent, et disons-le, de franchise ... ce qui n'empêche pas l'érudition, les références, et le plaisir de lecture, car les références sont expliquées, introduites, et pas assénées comme des vérités incontournables ! au contraire



les idées principales, sont souvent présentées, contestées, remises en question, de manière assez philosophique, chacun est invité à se faire sa propre opinion, et pas à adhérer à une doctrine sous prétexte qu'elle est enseignée partout ailleurs (écoles de commerce, marketing, HEC notamment)



l'auteur pointe d'ailleurs ce défaut, les économistes ayant tous fait des études similaires, leurs grilles de lecture sont toutes identiques, et les banques et les agences de notation aussi suivent ce processus moutonnier, dommage

pas de créativité là-dedans, pas de débat, pas de création, pas d'innovation, uniquement du suivisme



ce suivisme donc ne posait pas trop de problèmes, mais était moins répandu, à une époque où la Bourse n'avait pas l'importance démesurée qu'elle a prise aujourd'hui

l'auteur rappelle très justement que les Trente Glorieuses ne connaissaient pas cette obsession du cours de la Bourse, un peu ridicule mais si répandue aujourd'hui, que des chaines de télévision l'affichent en direct, en permanence, à une époque où les Etats n'avaient pas encore tant privatisé et liquidé leurs moyens d'agir (DATAR et autres organismes chargés du territoire, etc, inexistants aujourd'hui ou inconsistants faute de budget)



le suivisme pose beaucoup plus de problèmes quand tout le monde a suivi les mêmes spéculateurs, emprunté, etc, et surtout dans un monde où les flux purement financiers représentent environ 97% des flux ! seulement 3% de biens et services réels, cela fait peu pour influer vraiment ...

trop de suivisme et trop de spéculations donc !

d'où les crises des subprimes, d'où les crises de la dette, partout mais surtout en Europe, alors même que le Japon et les Etats-Unis sont beaucoup plus endettés que les pays européens



enfin, un auteur qui nous parle vraiment d'économie et d'histoire de l'économie sans avoir recours aux artifices un peu éculés "la main invisible du marché", et autres bêtises ! que vous ayez beaucoup vu Maris à la télévision ou pas, je vous recommande vivement ce livre, et la suite aussi le tome 2, ils sont très complémentaires



... à quand un tome 3, l'économie et le monde ayant encore pas mal changé depuis 2006-2007 ?



tome 1 divisé en plusieurs parties :

partie 1 - principes de scolastique économique

science dure, science molle, ou science nulle ?

la politique dans l'économie

le langage du pouvoir



partie 2 - la guerre économique

marchés et concurrence

mondialisation et commerce international

Enron et les sept familles



partie 3 - le nerf de la guerre

l'argent

la Bourse et les marchés financiers



partie 4 - le butin

le partage

qu'est-ce que la richesse ?

l'autre économie



conclusion : éloge de la gratuité
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L'Enfant qui voulait être muet

Excellent roman lu d'une seule traite. Récit captivant d'une destinée hors du commun, violente et belle à la fois, qui met en exergue les différences de classes sociales et la résilience suite à un traumatisme. Une écriture riche et érudite, agréable à suivre, une réussite littéraire. Je recommande!
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