Les Turcs ne sont pas , à mon sens, tant à craindre ni à redouter que je l'ai autrefois entendu dire et que je l'aurais pensé, bien que je ne veuille pas les blâmer car je les ai trouvés sincères et loyaux. Je crois, et cela est visible, que là où ils se sont trouvés, ils ont agi avec courage jusqu'ici. Mais il me semble que des personnes bien dirigées n'auraient ni mal ni difficulté à les battre et à les mettre en déroute, vu qu'ils sont désarmés. Il me semble que j'oserais bien les combattre avec la moitié, voir moins d'hommes qu'eux, à condition qu'il y eût un prince bien obéi et qu'il voulût agir en suivant l'avis de ceux qui connaissent leur manière de faire la guerre.
Je rencontrai dans la ville de Larende un noble chypriote du nom de Lyachin Castrico, et un autre dénommé Léonce Machéras; ils parlaient assez bien français. Ils me demandèrent qui j'étais et comment j'étais arrivé là. Je leur répondis que j'étais au service de monseigneur le duc de Bourgogne et que j'étais parti de Jérusalem et Damas avec la caravane; ils furent bien étonnés que j'eusse pu passer jusque là. Ils me demandèrent où je voulais aller. Je leur répondis que je m'en aller en France vers mon seigneur par voie de terre. Ils me dirent que ce serait là chose impossible et que, si j'avais mille vies, je les aurais perdues avant d'y parvenir.
De ce moment, je suis resté plus proche d'eux (turcs) que je ne l'avais été. Ce sont des personnes très charitables les unes envers les autres, et leur foi est solide. J'ai souvent observé que lorsque nous mangions, s'il passait un pauvre près d'eux, ils le faisaient venir manger avec nous, ce que nous ne ferions pas.[...]
Les Turcs sont gais, joyeux et chantent volontiers des chansons de geste; celui qui veut vivre avec eux ne doit pas être soucieux ni mélancolique, mais il lui faut être avenant.
Ce sont des hommes (turcs) très obéissants à leur seigneur et il n'est personne, si haut placé soit-il, qui, même au prix de sa vie, n'oserait enfreindre son commandement. Je crois que c'est une des choses qui lui a permis de faire des grandes actions et d'importantes conquêtes guerrières, et le territoire qu'il a ainsi gagné est beaucoup plus vaste que ne l'est le royaume de France, ce qui est bien malheureux à voir.