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Critiques de Bohumil Hrabal (136)
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La petite ville où le temps s'arrêta

Les souvenirs d’enfance des écrivains slaves s’avèrent particulièrement croustillants . Ceux de Bohumil Hrabal ne manquent pas à la règle .

Il passe son enfance avant la deuxième guerre , à Nymburk , une paisible bourgade de province où son père est gérant d’une brasserie . Entre deux frères fantasques , le père gérant et l’oncle ouvrier, l’un bricoleur emmerdeur et massacreur de montres à ses heures enragées , l’autre hâbleur céleste et jongleur entre grande vie et misère, auxquels s’y ajoute une série de gais lurons légèrement cinglés, tendres et mélancoliques, il s’initie à un regard halluciné sur la vie quotidienne.

Ce livre infesté d’anecdotes truculentes, où le burlesque emporte sur la tristesse, exhale des effluves de nostalgie pour l’insouciance d’une époque révolue. Un boucher qui exhale des effluves de thé ( le nom qu’il donne au rhum 😁), une bouchère pompette à poil dans un contexte bacchanale vont achever ce tableau triste et désarmant.
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Trains étroitement surveillés

« Le stagiaire Hrma est à son poste ! » Hrma, c'est Milos, stagiaire des chemins de fer de l'Etat, dans une petite gare de Bohème pendant l'occupation nazie. Y passe des « trains étroitement surveillés », aux mains des SS, que les partisans tentent de saboter. Milos va y faire son apprentissage.

Tout en magnifiant la résistance et l'héroïsme, Hrabal dans ce petit bijou littéraire nous allège l'insoutenable avec des scènes tragi-comiques du quotidien comme cet adjoint du chef de gare qui profite d'une garde de nuit avec une jolie télégraphiste, pour la culbuter et lui oblitérer les fesses avec le tampon de la gare, sans oublier le dateur 😁! L'événement fera bruit en bien et en mal….



Hrabal, « étroitement surveillé » par le régime communiste, une dictature de 42 ans établie si longtemps en Tchécoslovaquie de 1948 à 1990 , sauvera sa peau des censeurs grâce à la dérision qui est au coeur de son oeuvre. Dans l'absurdité tragi-comique de son quotidien, l'inconcevable deviendra réalité avec des personnages « palabrant », c'est à dire proposant des conceptions de vie originales et pleine de fantaisie, riche en états d'âme révélateurs de prises de conscience . Son dérisoire se déclame dès le départ dans l'ambiguïté des situations, lorsque dans le récit qui a lieu durant la Deuxième guerre mondiale, les bourreaux , ici les Allemands, sont présentés en sauveurs ( comme dans la dictature communiste) , lorsque le chef de district venu enquêter l'histoire des tampons, déclame, « La plus noble des races risque sa vie pour vous….et vous voilà ce que vous faites ! ». Il s'accentue avec des personnages digne de celles de la Commedia dell'Arte; le chef de gare qui se préparait au poste d'inspecteur , après le passage du chef de district et la rédaction du procès verbal de l'histoire des tampons , crie à plusieurs reprises, à plein gosier, tourné vers la cour d'aération : « -Je peux me la mettre quelque part, à présent , l'épaulette d'inspecteur ! » . Mais le dérisoire malheureusement n'arrive pas à effacer le tragique d'une histoire forte, violente, riche en images et métaphores, même si la réalité reste souvent ensevelie sous une épaisse couche de réalisme magique .

Première rencontre magique et tragique avec Bohumil Hrabal !



« Pour le vrai lecteur, il faut dégainer toutes les phrases sans hésiter, abattre toutes les barrières. C'est la seule façon de procurer de l'étonnement ou de l'indignation au vrai lecteur, de lui donner le désir de tailler une bavette dans un café avec l'auteur ou alors d'aller l'attendre pour lui allonger une dérouillée à le rendre méconnaissable. »

(Bohumil Hrabal)
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Trains étroitement surveillés

Trains étroitement surveillés est un court récit, presque un huis clos, qui a l'originalité de se dérouler essentiellement dans une petite gare de Bohême pendant la seconde guerre mondiale.

Nous sommes en 1945 et l'armée du 3ème Reich semble ne plus être que l'ombre d'elle-même, mais vous le savez comme moi, une bête à l'agonie, en déroute, n'est jamais aussi dangereuse que lorsqu'elle est aux abois. Les Allemands savent-ils alors qu'ils ont déjà perdu la guerre ?

Pourtant ils continuent de faire transiter par cette gare des Trains étroitement surveillés autant par eux que par les partisans alentour...

Nous faisons la connaissance de quelques personnages pittoresques qui composent le personnel de cette gare, à commencer par le narrateur, le stagiaire, un jeune garçon très naïf, Milos Hrma, qui possède encore la virginité des premiers émois amoureux et dont la vexation d'un coeur épris pour la jeune et belle contrôleuse Macha n'a rien à envier au jeune Werther. Tout ça à cause d'une éjaculation précoce ! Hé oui, il existe aussi des trains qui partent avant l'heure et ce n'est parfois guère mieux que ceux qui arrivent en retard...

Il y a bien sûr le chef de gare, personnage touchant du haut de son quintal et de son nom à particule, - M. le baron Lansky de la rose, qui cultive une passion éperdue pour ses pigeons qui roucoulent dans le colombier tout près et qu'il bichonne toute la journée comme si c'étaient ses propres enfants. Il en oublierait presque les trains qui passent dans sa gare... Gare à sa prochaine promotion qu'il attend avec tant d'impatience !

Mais le plus croquignolesque de tous est sans doute l'adjoint au chef de gare, Hubicka, préposé à la sécurité qui, une nuit de garde passée avec une jeune télégraphiste, se retrouva à la faveur d'un jeu coquin pour briser l'ennui, à tamponner frénétiquement, - je n'ose pas dire à un train d'enfer, l'arrière-train de cette belle callipyge des chemins de fer d'État avec le tampon de la gare, la date du cachet faisant même foi...

Cet événement sera marquant dans tous les sens du terme et mettra en émoi toute la hiérarchie ferroviaire jusqu'au chef de district. C'est peu de dire que les ambitions du chef de gare, qui rêvait de devenir inspecteur des chemins de fer d'État, sont dès lors quelque peu compromises...

Ce récit qui tient à certains moments de la fable burlesque, regorge de petites scènes cocasses de ce genre, non pas pour faire oublier les affres de la guerre, mais pour les inviter dans la narration sous la forme d'une tragi-comédie.

Il y a des scènes poétiques et touchantes, très imagées, habitées par des personnages attachants que je ne suis pas prêt d'oublier. Il y a aussi une tristesse qui traverse les pages et nous étreint. C'est la guerre mille fois vue, mille fois écrite, dite d'une autre manière...

Non, je n'oublierai pas la générosité de cette jeune Tyrolienne, Viktoria, qui a le coeur sur la main et la main prête à aider ce jeune stagiaire à faire une entrée victorieuse et solennelle dans la grande vie.

L'horreur de la guerre n'est pas décrite ici à gros coups de panzers, mais subtilement, par quelques détours emplis de fantaisie et de poésie, qui rendent ce théâtre d'un monde en perdition empli d'humanité.

Il souffle aussi dans cette gare perdue au milieu de ce paysage solitaire de Bohême, un esprit de résistance, mêlant l'irrévérence au désespoir. Comment alors ne pas voir une forme de satire déguisée à l'égard de tous les pouvoirs totalitaires, à commencer par celui qui dirigeait la Tchécoslovaquie de l'époque où Bohumil Hrabal écrivait ce récit ?

Vous l'aurez compris, Trains étroitement surveillés est à l'opposé des romans de gare. C'est pour moi un petit chef d'oeuvre littéraire qui m'a fait découvrir un grand auteur tchèque, Bohumil Hrabal.

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Les souffrances du vieux Werther

Je vais l'enoncer a la Magritte: ceci n'est pas un livre. Contrairement a Magritte je vais expliciter: ceci est un cabinet de curiosites. Un melange de tout et de n'importe quoi, sans ordre apparent, qui finit par susciter de l'interet, comme un petit musee d'engins d'autrefois, ici une relation d'attitudes d'autrefois, de contenances, de gesticulations, d'exploits si vous m'y poussez, pour le moins extravagants, racontes par un barjo completement givre avec beaucoup de truculence.



Hrabal retranscrit les souvenirs que lui a dicte un de ses oncles, les peripeties de sa vie au debut du XXe siecle, sous l'empire austro-hongrois. Retransmis tels quels, dans le langage epice et caustique de l'oncle, sautant du coq a l'ane, melangeant les histoires, les lieux et les epoques. Hrabal se permet deux rajouts: une sorte de premier chapitre ou il raconte les rapports qu'il a eu, jeune, avec son vieillissant oncle, ecrit en 1949, et un avertissement au lecteur, date de 1981. Il y avoue que, s'etant rendu compte que “ces histoires qui n'avaient ni pied ni tete possedaient en fait leur propre ordre", il en a utilise certains elements pour son livre Cours de danse pour adultes et eleves avances. Et il nous confie son admiration: “Mon oncle Pepin avait un don que possedent aussi les voyantes et les sorcieres, grace a sa voix il pouvait soigner et guerir, dissiper les preoccupations et egayer la vie" […] “Il y avait en lui quelque chose des hassidim ingenus, des rabbins miraculeux, des conteurs populaires ou l'on trouve de tout, ou tout est present, comme ici".



Que raconte cet oncle? Ses constantes deambulations dans les diverses provinces austro-hongroises, ses peripeties guerrieres, ses bagarres (et celles d'autres), ses amourettes (ou plutot ses conquetes et ses esquives des qu'il s'agit d'officialiser). Il est tres content de sa vie et ne cache rien. Il a fait la guerre en Italie (la bataille de Monte Grappa) et sur le front russe (les russes jetant leurs armes au cri de “Austrakou nepoutchai!”), il a chante “Wieder heimat wieder heimat" derriere Konrad von Hotzendorf (le chef d'etat-major austro-hongrois), c'est un heros. “Nous etions des heros parce que les russes etaient quatre fois plus nombreux et nous les avions chasses, oui, quels heros, quand ca a mal tourne nous avons chie dans nos frocs exactement comme ceux que nous avions en face". Et la guerre a aussi ses bons cotes: on peut payer les putes avec un quignon de pain.



En temps de paix il passe d'un metier a l'autre, d'une ville a l'autre, d'une amie a l'autre. Et il prodigue ses avis sur tout. le travail? Les boulangers ont interet a bien se laver les mains, les cordonniers en revanche peuvent se gratter le cul tant qu'ils veulent. L'education? “Comenius disait deja que chaque ecole doit avoir son gourdin" (Oui, oui, Comenius, il a son instruction. Il cite aussi, ou rappelle, les grands auteurs tcheques, Bozena Nemkova, Havlicek, Nejedly, Karafiat. Ils ne vous disent rien? normal, creusez la wikipaedia). La musique? “Strauss, l'ami de Schrammel, quant on lui presenta la symphonie Jupiter de Mozart, avoua qu'il ne comprenait rien, tant le pentagramme etait plein de cles de toutes sortes". “En Amerique on garde les noirs pour la musique, et nous nous demandons: c'est en cela que consiste la democratie?”. “Smetana etait un esclave, un pauvre homme qui s'efforcait d'ameliorer la vie spirituelle de cette stupide nation, c'etait un saint, comme notre bon Dvorak, ce ne furent que tourments jusqu'a ce qu'il reussisse a s'echapper de sa condition d'apprenti boucher pour devenir un genie". Les temps qui changent? “Avant dans les tavernes les gens pissaient dehors alors qu'aujourd'hui elles ont des latrines en ciment, mais par contre il y avait de la boisson partout et de la charcuterie et tout ce qu'on voulait, pendant que de nos jours il n'y a rien, ce qu'il y a c'est contre des coupons, et il arrive que le prix vous enleve la faim".



Et maintenant mes gloses, mon exegese: toute cette logorrhee est en fait l'aboutissement de ce que certains commentateurs talmudiques ont appele flux de conscience Joycien. L'exteriorisation du monologue interieur du petit peuple tcheque. Et n'en deplaise a tous ceux qui se sont laisses bourrer le crane par les sbires de l'inquisition universitaire, ce livre prouve qui est le veritable inspirateur de Le cru et le cuit, l'oeuvre qui fit la gloire d'un mythologique vendeur de jeans: Hrabal utilise un langage tres cru mais son livre est cuit a point. Enfin, a point selon de vieilles recettes tcheques, des lecteurs non avertis risquant de s'y casser les dents.

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Trains étroitement surveillés

1945, Dans une petite gare d’une petite ville de Bohème, il se passe de drôles de choses. Un jeune stagiaire reprend son poste après avoir tenté de se donner la mort par amour, un chef de gare s’occupe plus volontiers de ses pigeons que de son travail, mais surtout il y a ce scandale qui fait déplacer la hiérarchie et les collègues : un préposé a osé tamponner les fesses d’une jolie télégraphiste, qui n’avait rien contre, mais le plus grave était que sur certains tampons, les mots étaient allemands !

Bien sûr tout cela pourrait faire sourire (et bien sûr ça le fait), mais je rappelle que nous sommes en temps de guerre, que les convois nombreux qui traversent la ville, sont chargés de soldats, de matériels et parfois même d’explosifs...



Quelle ambiance étrange ! Tout y est narré de façon cocasse mais tout y est empreint d’une infinie tristesse. Bien sûr on sourit, souvent, mais toujours on pense à ces hommes qui luttent contre l’ennemi bien évidemment, contre la maladie d’amour, l’envie... Mais nous sommes en temps de guerre et la vengeance, l’espoir, la résistance et l’héroïsme y ont aussi leur place.

C’est superbement écrit et traduit. La petite musique de nuit monte lentement mais inexorablement, et la fin est bouleversante.



Je suis très heureuse d’avoir fait connaissance avec cet écrivain remarquable et je remercie Guy (Glaneurdelivres) de m’avoir ouvert la porte de sa bibliothèque pour cette belle rencontre.
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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

« le drame le plus austère est issu de la même substance que le grotesque le plus trivial ».



Bohumil Hrabal (1914-1997) a raconté qu'il avait rédigé “Moi qui ai servi le roi d'Angleterre” en dix-huit jours et d'une seule traite lors de la canicule de l'été 1971 ». Sans doute dans sa taverne favorite, tant ce monologue incroyable, débordant d'imagination et d'humour burlesque, semble totalement déjanté. Mais ne nous y trompons pas c'est aussi une fable douce amère comme une bonne bière. Elle évoque l'histoire de la Tchécoslovaquie des années 20 aux années 60. Publié clandestinement sous samizdat, le livre sera d'abord édité en R.F.A en 1980 avant d'être publié en Tchécoslovaquie à la chute du Mur.

C'est l'histoire d'un petit groom complexé prêt à tout pour devenir millionnaire et posséder un hôtel. Quand enfin son rêve se réalise, il découvre qu'il ne sera jamais admis à la table des grands. L'arrivée des communistes met fin à ses ambitions et le contraint à vivre seul au fin fond de la forêt.

A partir de cette trame toute simple Hrabal bâtit un monologue baroque en cinq épisodes avec pour conteur, un héros à la tchatche intarissable et des personnages secondaires formidables.

L'ascension est pétillante et joyeusement décadente. La descente est terrible et l'humour bien sombre.



« Maintenant que tu es groom chez nous, rappelle-toi bien ceci : tu n'as rien vu, rien entendu ! Répète! " Je répondis donc que dans son établissement , je n'avais rien vu ni rien entendu. Mais le patron de poursuivre , en me tirant l'oreille droite: "Or rappelle-toi aussi que tu dois tout voir et tout entendre! Répète! " Je répétai donc, interloqué, que désormais je verrais tout et entendrais tout. Voilà comment j'avais débuté".



Nous suivons donc d'hôtel de province campagnard en grand-hôtel, de grand hôtel en palace pragois, l'ascension extraordinaire de Jan Ditie, le narrateur aux origines modestes. C'est un enfant naturel, petit, blond aux yeux bleus, très débrouillard et intuitif. Un gamin de quatorze ans bien attachant ma foi sauf qu'il est aussi parfaitement cynique et amoral. C'est le roi de la combine. Il tient cela de sa grand-mère qui l'a élevé. Elle récupérait les sous-vêtements sales que des voyageurs de commerce jetaient par la fenêtre aux bains pour les revendre ensuite aux ouvriers sur les chantiers. Et d'ajouter cette image étonnante « « Parfois, les chemises jetées écartaient soudainement les bras comme un agent de la circulation à une intersection, ou comme le Christ. » le petit groom vend des saucisses à la gare, aux riches étrangers, juste un peu avant que le train ne démarre. Il n'aura évidemment pas le temps de leur rendre la monnaie mais saura courir le long du quai en se lamentant. Jan fait son apprentissage auprès de serveurs et de maîtres d'hôtel tout à fait remarquables et compétents qui lui apprennent à espionner, à voler et à profiter des jolis restes de la riche clientèle bourgeoise venue faire ripaille et se montrer. Il découvre l'Eden, bordel célèbre et y dépense l'argent de ses saucisses sans compter, en couvrant ces dames de pétales de rose. Elles le reconnaissent en ville avec sa belle cravate à pois bleus. Et il peut alors parader dans la rue, ivre de puissance et de gloire. Un énorme représentant en machines à découper le salami hongrois qui l'a vu s'y prendre à la gare, lui permet de contempler sur le parquet ciré de sa chambre, l'étalage fabuleux de ses beaux billets de banque. Bientôt Jan monte à à Prague et accède à l'hôtel de Paris, un splendide palace. Skrivánek le maître d'hôtel au regard d'aigle, le prend sous son aile et lui apprend à bien observer la clientèle internationale pour deviner à son apparence, sa nationalité et son origine sociale. ils parient sur celui qui commandera le dîner et le maître gagne toujours. A Jan qui s'en étonne, Skrivánek lui répond toujours : « parce que j'ai servi le roi d'Angleterre ». Et bientôt l'élève surpassera le maître à l'occasion d'un extravagant banquet en l'honneur de l'empereur d'Éthiopie, le Négus en personne, qui lui permettra d'accumuler un pactole en pourboires et d'arborer fièrement une splendide décoration...







Même si j'ai un peu calé à la fin j'ai lu ce livre exubérant avec gourmandise. Je vous conseille de l'attaquer avec une Kozel bien fraîche à portée de main.

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Une trop bruyante solitude

Il ne faut pas négliger la puissance d’attraction du titre d’un livre. Celui-ci se serait-il appelé Presseur de papier au temps de la répression communiste, je ne l’aurais peut-être pas ouvert avant longtemps et j’aurais raté la lecture d’un texte qui, bien qu’inscrit dans un contexte politique unique, ne s’épargne aucune réflexion universelle.



Hanta, le seul personnage sur lequel se concentre Une trop bruyante solitude, travaille à la presse d’un entrepôt de vieux papiers. Tous les jours, des tonnes de livres, gravures et paperasses diverses s’abattent sur lui depuis le plafond. Hanta effectue son travail sans se bousculer, s’attirant par la même occasion les plus vifs reproches de son supérieur. Plutôt que de forcer le rythme, Hanta préfère se laisser aller au charme de la découverte des papiers qu’on l’oblige à détruire, mettant de côté les ouvrages qui lui semblent nécessaires ou les gravures et peintures qu’il juge belles. De cette façon, l’employé illettré s’est peu à peu constitué une culture propre, qui résulte à la fois du charme qui s’opère à la rencontre de certains mots ou de certaines phrases, mais aussi de la terreur sourde que suscite la vie dans une société barbare.



Dans la presse où travaille Hanta, le silence et la solitude l’amènent à se sentir comme un démiurge contradictoire, doté d’une volonté propre qu’il ne peut toutefois suivre totalement. Hanta a conscience que sa tâche l’avilit et qu’elle est contraire à ses principes, mais son statut ne lui permet pas de faire autrement que de la poursuivre. D’où un sentiment de culpabilité qui rappelle –dans le fond et dans l’expression- celui qui poursuit Kafka dans la plupart de ses textes. Ce sentiment est sans doute le moteur qui pousse Hanta à ramasser frénétiquement des tonnes de livres qu’il accumule ensuite chez lui, formant des tours et des colonnes bancales qui prennent une allure menaçante, prêtes à s’effondrer, à chaque instant, sur un Hanta épuisé et assommé par les idées. D’autres aspects de la culpabilité surgissent sous des formes différentes. La violence de la vie en société et la répression qu’elle effectue sur ses individus se traduit à travers l’évocation récurrente de la guerre que se livrent les rats dans les égouts de Podbaba. Lorsque des images d’espoir surgissent –avec les tsiganes par exemple-, elles sont aussitôt éludées derrière une réalité grise et implacable.



La deuxième partie du roman prend une tournure plus accablante lorsque Hanta découvre la presse mécanique de Bubny et ses joyeux employés en uniforme, dont les rêves de voyages et de loisirs, ainsi que les goûters de sandwiches et de lait, traduisent pour Hanta la décadence d’une civilisation uniformisée et individualiste :



« Les ouvriers déchiraient les paquets, en tiraient des livres tout neufs, arrachaient les couvertures et jetaient leurs entrailles sur le tapis ; et les livres, en tombant, s’ouvraient ça et là, mais personne ne feuilletait leurs pages. C’était du reste bien impossible, la chaîne ne souffrait pas d’arrêt comme j’aimais à en faire au-dessus de ma presse. Voilà donc le travail inhumain qu’on abattait à Bubny, cela me faisait penser à la pêche au chalut, au tri des poissons qui finissent sur les chaînes des conserveries cachées dans le ventre du bateau, et tous les poissons, tous les livres se valent… »



Les sentiments de Hanta deviennent encore plus contradictoires. On sent un déchirement intérieur face auquel il est difficile de lutter. Le titre du roman se justifie encore davantage dans ce virage.



L’extrême tension de la situation vécue par Hanta ne se propage pas dans l’écriture de Hrabal. Peut-être parce qu’il frôle souvent le désespoir, Hanta ne s’apitoie jamais directement sur son sort. Il se protège en jouant avec l’absurde et la dérision et lorsque ces derniers ressorts ne sont plus possibles, il s’exprime à travers une colère sincère et effrayante. Le talent de Hrabal réside dans sa capacité à glisser d’une situation politique singulière donnée –la répression communiste des années 60 en Tchécoslovaquie- aux sentiments que peuvent universellement ressentir les individus lorsqu’ils se trouvent à la croisée d’un dilemme qui leur ordonne de choisir entre leurs convictions et la virulence de préceptes extérieurs.



« Les cieux ne sont pas humains, mais il y a sans doute quelque chose de plus que ces cieux-là, la pitié et l’amour que j’ai depuis longtemps oubliés, effacés totalement de ma mémoire. »



« Les cieux ne sont pas humains et la vie, hors de moi et en moi, ne l’est pas davantage.»



« Les cieux n’étaient pas humains et moi, c’était plus que j’en pouvais supporter. »



Des phrases lancinantes qui reviennent ponctuellement dans le texte, en réponse au « progressus ad futurum, regressus ad originem » de Hanta, finissent enfin d’angoisser le lecteur en même temps que le personnage. L’impression que le progrès et le recul vont de pair devient une certitude. Hanta nous abandonne finalement dans un monde dangereux, qui oscille sans cesse entre la chute et l’équilibre…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Une trop bruyante solitude

C'est vraiment un hasard total que j'ai lu ce livre. En fait, c'est en rangeant des ouvrages à la mediatheque où je travaille que ce dernier n'était pas à sa place...Et m'est venue à l'idée de le lire sans regarder la quatrième de couverture. Je me suis dit que c'était peut être un signe...

Malheureusement, le hasard ne m'a pas porté chance. Un petit livre fin (120 pages) où je me suis ennuyée au possible. Beaucoup de répétitions ce qui donne au récit un rythme infernal. Des descriptions parfois insupportables, pour moi en tout cas, où la nausée n'était pas loin. Un livre qui parle de livres (en général j'adore) mais la quantité est tellement énorme qu'on sent l'étouffement du seul héros Hanta. Un mélange de Kafka pour l'ambiance et du "parfum" de Suskind pour les détails nauséabonds. Bref une lecture pénible et ennuyeuse. Je ne sais pas si cet auteur écrit bien mais la traduction n'est pas terrible. Pourtant la plupart des critiques sont bonnes voire dithyrambiques. Pour ma part, cela m'est passé au dessus de la tête. Comme on dit, il en faut pour tous les goûts.
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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

Si le Franz Kafka de "la Colonie Pénitentiaire" avait passé avec le Milan Kundera du "Livre du rire et de l'oubli" , une soirée rythmée par les blagues juives du Jiri Weil de "Mendelssohn est sur le toit", et par les contes imaginatifs de Léo Perutz, cela donnerait sans doute cet OVNI spécifiquement tchèque, décalé, déjanté, totalement poilant et absolument désespéré :" Moi qui ai servi le roi d'Angleterre" de Bohumil Hrabal.



Je m'y suis jetée à corps perdu, parce qu'une bonne rasade de dérision, un soupçon de tendresse et une pincée de poésie, c'est exactement ce que prescrivent les bons docteurs en ces temps de violence meurtrière et d'intolérance explosive...



Le remède a fonctionné: aussi je vous le recommande chaudement!



Bohumil Hrabal,..... on dirait presque un nom de médoc d'ailleurs: 30 pages après chaque repas, c'est souverain pour vous alléger le cafard le plus noir, pour mettre à distance le pessimisme le plus définitif, et pour vous réconcilier en douceur avec l'espèce humaine...



L'histoire se passe à Prague, dans une série de grands hôtels prestigieux : un petit groom, vraiment petit, tout petit, rêve de devenir grand, le plus grand, le plus riche, le plus stylé des maîtres d'hôtel, tel celui qui avait servi le Roi d'Angleterre, et pouvait au premier coup d’œil deviner si le client qui entrait allait commander une poularde demi-deuil ou un bœuf Strogonoff...



Son ascension sociale est fulgurante: elle s'opère sur fond d'aliénation progressive de la Tchécoslovaquie d'abord par l'annexion des Sudètes par Hitler, puis par l'écrasement de Prague sous la botte nazie : arianisme triomphant, Lebensborn, Lidice rayé de la carte, camps, spoliation des biens juifs...



Mais la décadence du petit groom ne l'est pas moins: elle s'opère sur fond d'asservissement au "grand frère" soviétique, après le coup de Prague et l'étau de fer du stalinisme : saisie des grosses fortunes, bureaucratie triomphante,espionnite généralisée, procès truqués, camps de travail et relégation dans des forêts glaciales et désolées..



Eh ben, pour une poilade, c'en est une bien bonne, de la franche rigolade,tout ça, me direz-vous!!



Détrompez-vous! L'âme tchèque rit de ce qui déchire son cœur, et elle en rit avec talent: c'est sa suprême liberté, son élégance, son panache, sa marque de fabrique!



Notre rat d'hôtel est un salaud, c'est une évidence, mais ses faiblesses, ses failles, le rendent humain, drôle, touchant: il aime l'argent, la notabilité, il est flagorneur - mais il adore tellement les femmes, surtout les femmes légères et les grandes coquines, qu'il couvre leur sexe de fleurs et d'aiguilles de pin (!!!). Il est si coquet qu'il ne peut résister à une cravate blanche -dût-il la voler- et à un frac bien coupé- dût-il le faire virevolter comme un cerf-volant chez son tailleur fou - . Il est si gourmand qu'il se damnerait pour la recette éthiopienne du dromadaire farci -une page inénarrable de loufoquerie poétique- si esthète qu'il crée autour de son grand hôtel un parc improbable avec manèges de chevaux de bois, enclumes de forgerons et fleurs rares... Il est si profondément misanthrope que les animaux , et sa propre silhouette renvoyée par mille miroirs, deviennent ses derniers compagnons...



On rit parfois à gorge déployée, tant la verve inventive, la poésie burlesque associées à des marqueurs historiques glaçants, ont des effets détonants...



Derrière ce rire irrespectueux, ces entrechats endiablés, cette outrance salutaire, j'ai retrouvé, intact, mon amour pour Prague, ses artistes, ses écrivains...et la "litost" si bien définie par Kundera dans Le Livre du Rire et de l'Oubli m'a envahie: envie irrépressible de retrouver cette ville, si naturellement "surréaliste" où, effectivement," l'inconcevable devient réalité" comme le dit à maintes reprises notre petit groom narrateur...



Bohumil Hrabal, que j'aime ta façon légère de parler des choses graves!

Que j'aime ton joyeux désespoir, ta démesure dans les détails, ton imagination qui rue dans les brancards féroces de l'Histoire comme un petit cheval rétif...
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Une trop bruyante solitude

Voilà une lecture qui aura été source de bien des questions, bien dérangeante parce qu'elle m'a obligée à sortir de mes conforts habituels, finalement, avec mes goûts pour certains sujets, mes habitudes de narration, peut-être même le choix d'un style d'écriture.





Dans ce récit, tous les chapitres débutent presque toujours par les mêmes mots - une allusion aux trente-cinq années qu'a passées Hanta dan sa cave à détruire les livres, créant une sorte de leitmotiv et par là évoquant une chose immuable, qui ne pourra s'arrêter qu'avec l'absence d'Hanta de ce lieu oublié comme par exemple s'il part en retraite. Ce dernier nous raconte son quotidien, dans un premier temps : le travail qui est le sien - pilonner des livres à longueur de journée, être "presseur" de livres, tâche qu'il effectue néanmoins dans le respect des pages qu'il détruit en faisant des "paquets" esthétiques garnis de reproductions de tableaux célèbres et au coeur desquels il prend soin de placer une oeuvre qu'il juge magistrale ou pleine de beauté, comme un noyau pour allier culture et couleurs, quoiqu'il en soit. Une façon de rendre hommage à ces pages qui lui donnent tant puisqu'il les apprend par coeur, se les récite, s'en créant tout un environnement à moins que finalement ce ne soit réellement sa vie. Une vie par l'intermédiaire de ce qu'il lit et médite au jour le jour dans sa cave.

Pourtant, tout n'a pas toujours été ainsi et les souvenirs viennent souvent lui parler, faisant réapparaître des amis chers ou des situations alambiquées.



Hanta n'est pas particulièrement attachant au début de ce roman : il est quelque peu négligé, il a un humour grinçant quand ce n'est pas carrément une certaine trivialité dans le ton de ce qu'il raconte...

Il vit dans une maison qui est le lieu où il entrepose les ouvrages qu'il a sauvés de la destruction, qu'il empile, le faisant dormir sous un échafaudage qui est instable, à l'image de sa vie qui ne l'est pas moins.

C'est aussi une histoire de solitude, subie mais surtout cultivée, Hanta vole les phrases des livres qu'il détruit, s'en délecte, s'en construit et il n'est pus livré seulement à lui-même.

Ses seuls "amis" sont les personnages de son passé dont il nous narre la destinée, le phrases se suivent se répètent, comme un ressac, comme la pensée qui va et vient, à l'image du mouvement de la presse, à l'image des idées qui apparaissent dans les vapeurs d'alcool ou les personnages évadés des textes qu'il déchire.



Le jour où il découvre une autre façon de travailler en observant les brigades de jeunes qui, un oeil tourné vers une occidentalisation de leur mode de vie, pilonne sans vergogne et sans curiosité ses chers livres, il sait que ses jours sont comptés et que l'espoir est vain.







J'ai poursuivi ma lecture, même si parfois, je l'avoue, certains passages m'ont perturbée, mais à d'autres moment, il y en a de très beaux sur les Tsiganes, leur culture, leur regard sur ce qui les entoure...

J'ai vu que bon nombre de lecteurs disaient avoir relu plusieurs fois ce texte et en lisant la dernière phrase, j'ai compris le pourquoi, car le regard change sur Hanta et de là sur tout ce qu'on a lu auparavant. La seconde lecture ne manquera pas de permettre une autre analyse des idées et du texte.

Je ne sais dire si ce livre est un chef-d'oeuvre ou non, je n'ai pas les clefs pour le juger c'est avant tout pour moi, un texte qui demande qu'on oublie sa façon de lire habituelle.

Je ne sais pas non plus s'il se veut la critique d'une certaine politique, peut-être à mes yeux davantage la dénonciation d'une perte culturelle qui uniformise les êtres par la pensée unique.



Tout au long de la lecture, je n'ai pu m'empêcher de penser à Vélibor Colic et à son arrivée sur le sol français quand il dit avoir eu l'impression d'avoir dans la poche, sa vie d'avant, son identité, son âme presque, compactées, pour les oublier un peu d'une certaine façon. Lui qui, lors du premier emploi qu'il occupe dans une bibliothèque sauve du pilon les oeuvres de Kafka en les indiquant comme sorties pour une consultation, alors qu'elles restaient désespérément sur les étagères et n'étaient pas empruntées.







Je remercie l'ami babéliote qui m'a guidée jusqu'à ce livre : pari réussi puisque j'ai très envie de lire un autre récit du même auteur, parce que ma curiosité a été piquée...
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Trains étroitement surveillés

Toute l'ambiance d'une petite gare tchèque qui, en 1945, voit défiler une armée allemande peu brillante, des personnages extravagants comme l'ambitieux chef de gare et ses pigeons, les cocasses aventures sentimentales du sous-chef Hubicka et les premières et décevantes expériences érotiques du jeune stagiaire Milos.



Mais derrière cette exubérance à la 'Malaparte' peut surgir le drame.

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Une trop bruyante solitude

« C’était des chargements entiers de livres qu’on détruisait ici ; apaisé maintenant, je voyais, derrière les parois vitrées, ces camions décharger de pleines cargaisons de livres encore vierges, qui s’en allaient directement à la poubelle sans qu’une seule de leurs pages ait pu souiller les yeux, le cœur ou le cerveau d’un homme. »



Hanta est un homme plus tout jeune qui passe ses journées de travail dans une cave. Il détruit des livres à l’aide d’une presse mécanique un peu poussive. Il est en fait des ballots qui partent au recyclage. Mais c’est un artiste dans son genre car il prend soin de cacher tout au milieu de chaque paquet un classique de la littérature ou de la philosophie ; il soigne aussi l’extérieur grâce à des reproductions de grands peintres. Il arrose copieusement ses journées de litres de bière, qu’il sort acheter dans un café proche. Il prend parfois le temps de lire et de savourer un extrait d’une trouvaille particulièrement belle. Autant dire qu’il n’est pas dans les bonnes grâces de son patron, qui le rabroue souvent.



Hanta sauve de sa presse certains des livres qu’il voit passer. Il les entrepose alors chez lui pour les lire, au risque de se retrouver enseveli sous eux…



Sa retraite approche. On est à Prague dans les années 1960/1970. Il a pour projet de racheter sa presse et de finir ses jours en faisant chaque jour un seul ballot, mais un chef d’œuvre !



C’est sans compter sur les temps nouveaux : l’ordre du jour est à la rentabilité sans états d’âme, comme la décrit ma citation ci-dessus…



Ce court roman, imaginatif et d’une très grande liberté de ton, est une merveille dans son genre unique. Mais il n’est pas pour autant « mignon » ! Les ordures, les égouts, les rats et souris (écrasés ou pas), le sang, les excréments, les mouches s’y trouvent souvent au premier plan. Autant dire la vie dans tous ses états.

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Trains étroitement surveillés

Ceci n'est pas un roman historique. Certes, l'action se déroule en pleine 2nde guerre mondiale, certes, on y voit des résistants tchèques faire exploser des trains d'explosifs, mais ce n'est pas pour autant un roman historique. Non, c'est un roman d'apprentissage qui conjugue héroïsme et poésie. Et comme toujours chez Hrabal, un zeste d'irrévérence et beaucoup d'humour.
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Une trop bruyante solitude

Une trop bruyante solitude est un texte d'un des plus grand écrivain tchèque avec Milan Kundera. à savoir Bohumil Hraba.



Travailleur de l’ombre, Hanta, obscure et anonyme ouvrier, pilonne des livres. Au fond de la cave atelier d’un pays d’Europe centrale, les livres deviennent ses amis, ses confidents, sa richesse et son ailleurs.





Hanta nous conte sa vie, ses rares sorties dans le vrai monde n’ont été guère concluantes alors Hanta découvre qu’en devenant un homme livre on peut devenir un homme libre.



Ce texte du dramaturge Tchèque Bohumil Hrabal, c’est une poésie brute qui éclate et éclabousse les spectateurs.



Philosophique, poétique et politique, un écrit certes minimal, mais parfait pour raconter une vie, notre vie.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

J'ai adoré ce récit fellinien dans la Pologne russe des années 30. Se succèdent les hôtels, Ville dorée de Prague, Relais du silence, Hôtel de Paris, dans lesquels évolue un petit groom ambitieux et finaud.



Me restent des images fantastiques comme les pétales qu'il étale sur le ventre des prostituées de l'Eden, les corps en baudruche flottant au plafond de l'usine de confection ou les filles dans les salons privés des vieux boursiers.



Malheureusement avec la guerre s'emballe l'imagination de Hrabal, l'inconcevable devient réalité, ce qui donne un peu du n'importe quoi.



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Une trop bruyante solitude

« Une trop bruyante solitude »… Ça, c’est du titre… Ajoutons à cela une référence à Kundera dans la présentation de l’éditeur ; et à 1984 d’Orwell ; plus encore : ce statut d’écrivain dont les premières œuvres plus ou moins clandestines furent passées au pilon… Bohumil Hrabal se devait de faire son entrée dans ma modeste bibliothèque…



C’est fait ! Mais à quel prix !



Je n’ai pas le souvenir d’un livre aussi court aussi difficile à terminer… Tout conduit dans le style, les répétitions incessantes, le va et vient de la machine, l’ambiance même du local très fermé, à créer l’ennui. Pire, la répulsion et le dégout, voire l’épisode des mouches sur les papiers de boucherie souillés…

Au risque de déplaire à tous ceux qui ont apprécié ce petit ouvrage, je ne peux qu’avouer ici que je me suis profondément emmerdé dans cette lecture ; et senti très mal à l’aise… C’était le but ? Très bien ! Une expérience qui restera malgré tout, pour moi, l'unique pour cet auteur.

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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

Grandeur et décadence, c'est le lot de cet anti-héros qui réussit par bien des abjections à se hisser au niveau de ses rêves, puis par dégringoler d'aussi-haut pour finir par terre, mais plus heureux que jamais... On ne saurait dire s'il faut tirer un enseignement de ce parcours atypique, mais on peut en tout cas savourer la plume acidulée de Bohumil Hrabal qui nous enchante encore par une de ces fables dont il a le secret, fable baroque, légère et profonde à la fois, pleine de l'ironie, de l'inconséquence et de la poésie infinie de ce monde. A mettre au même niveau qu'Une trop bruyante solitude, celui des livres qui marquent une vie de lecteur.
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Les millions d'Arlequin

Le temps, semble-t-il, s'est arrêté à la maison de retraite. Une maison de retraite réalisée dans l'ancien château du comte Spork. Les aiguilles de la grande horloge indiquent indéfiniment sept heures vingt-cinq tout comme le sourire triste des résidents. Dehors le parc est orné de statues et d'une foultitude de haut-parleurs diffusent en continue " des millions d'Arlequin".

Son mari, Franci, et la narratrice y résident. Lui est collé à la radio, elle nous évoque des souvenirs du passé. L'époque ou Franci était gérant d'une brasserie et elle, rêvait de réussite sociale à la grande ville de Prague.

Un livre lent très lent. Qui prend son temps. Qui prend trop de temps.

Qui évoque les commérages du quartier... de la maison de retraite.

Même s'il faut reconnaître à l’auteur une écriture particulièrement raffinée, tous cela n'est guère passionnant. Trop, c'est trop. J'ai arrêté ma lecture à la mi-temps du livre.

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Une trop bruyante solitude

LE TROP BRUYANT RIRE DE BOHUMIL HRABAL...



Une fois n'est pas coutume, la critique qui suit n'est pas, pour une assez large part, de votre humble serviteur mais tirée sans autre forme de procès d'un site canadien un peu confidentiel nommé "érudit". le nom ne doit pas effrayer. C'est plutôt "intelligent" ou "sensible" ou encore "pertinent" qu'il aurait du se nommer. Seule cette rapide introduction et quelques brefs mots de conclusion sont strictement personnels. Et parce que la chronique qui suit, oeuvre d'une grande finesse d'analyse de l'autrice et critique dramatique québécoise Josée Bilodeau, est en tout point parfaite, que ce texte "Une trop bruyante solitude" n'a de cesse de m'écraser de son génie (quelque chose au-delà de la claque : un pur coup de poing dans mes "humeurs" comme l'auraient écrit nos vieux classiques) depuis trois semaines révolues que je l'ai, enfin, découvert - encore l'un de ces ouvrages dont on sait pertinemment qu'ils vous attendent, sans bien savoir pourquoi, sans bien savoir comment, mais dont vous différez sans cesse l'approche, parce que quelque chose en eux vous fiche la trouille... Et, dans une certaine mesure, vous aviez raison d'avoir les pétoches ! -, que j'ai beau tourner et retourner mes envies d'en dire quelque chose d'un tant soit peu à la hauteur : cette fois, je me sens dépassé : il me manque encore certainement plusieurs relectures de ce bref mais dévastateur monument d'humour grinçant et de vérités cruciales pour vraiment pouvoir en exprimer quelque chose de respectueux du texte et du bonhomme Hrabal (je pense que ce genre d'attitude l'aurait infiniment fait pouffer de rire... Et il m'aurait certainement proposé de m'enfiler une pinte de bière pour faire passer cela, mais qu'importe, je n'y reviendrai pas ! Pas cette fois, en tous les cas.)

Voici donc cette chronique, dont le prétexte fut celui d'une mise en scène de l'oeuvre par un certain Téo Spychalski. Les références à cette pièce sont donc régulières mais n'enlèvent rien, au contraire, à la critique profonde et lumineuse du texte de Bohumil Hrabal :



«Téo Spychalski proposait l'automne dernier son adaptation théâtrale d'un des chefs d'oeuvre de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal (1914-1997), Une trop bruyante solitude (1975). le directeur artistique du Groupe de la Veillée a déclaré en entrevue vouloir depuis longtemps porter à la scène ce petit roman de quelque cent vingt pages, reconnaissant dans la confession directe de l'antihéros de Hrabal une riche matière dramaturgique.



Le personnage central de cette oeuvre tragicomique, Hanta, est un homme simple qui, depuis trente-cinq ans, pilonne livres, vieux papiers et oeuvres d'art dans une cave humide infestée de souris. « Instruit malgré [lui] », l'ouvrier veut offrir des tombeaux uniques aux livres qu'il chérit, pensant longuement quels éléments seront mis dans la presse avant de la mettre en marche. « [...] c'est une messe pour moi, un rituel de lire ces livres avant d'en placer un dans chaque paquet que je fais, car j'ai besoin, moi, d'embellir tous mes paquets, de leur donner mon caractère, ma signature. » Il accumule aussi dans son appartement les ouvrages condamnés, sauvant du pilon des trésors de la culture mondiale et se mettant, du coup, en constant danger de mort par ensevelissement. Grand buveur de bière, Hanta se fait également avaleur de grands textes. Il s'imbibe et s'«encrasse de lettres », si bien qu'il dit n'avoir qu'à se pencher pour que se déverse un flot de belles pensées ingurgitées avec des litres de bière. Un jour, dépassé par la modernisation du monde du travail, Hanta décide de suivre le chemin des livres et de disparaître, broyé dans sa presse.



Le roman prend la forme d'un monologue très dense, déconstruit selon une technique de "cut-up" chère à l'auteur et de montage intuitif où la pensée en mouvement semble toujours en train de déborder, de déraper. On bifurque vers un souvenir, une anecdote, on repart, on revient en arrière, c'est parfois vertigineux. La mémoire circule dans le flot des paroles, et de l'ivresse naissent des personnages, des figures importantes, Jésus, Lao-Tseu... L'Histoire s'inscrit en contrepoint des destins individuels, donnés en une somme d'anecdotes. On dit que Hrabal invitait ses amis à poursuivre le découpage de ses romans après sa mort pour les garder en vie. L'oeuvre n'est donc pas intouchable, et d'autres se sont aussi livrés au travail d'adaptation. Une trop bruyante solitude a notamment été portée au cinéma et a fait l'objet d'une bande dessinée. Je ne sais pas pour le film, qui n'est pas distribué au Québec, mais dans la bande dessinée, tout comme dans l'adaptation théâtrale de Téo Spychalski, on a évacué les passages trop manifestement comiques du texte, sans doute pour ne pas trahir, ou amoindrir, son côté tragique et la grandeur qui s'en dégage. le comique, comme le dit si justement Milan Kundera, « est plus cruel : il nous révèle brutalement l'insignifiance de tout». Il s'agit de la fin d'un monde, après tout, et c'est à sa mort que le spectateur est convoqué. Mais le rire de Bohumul Hrabal, il me semble, doit résonner quelque part là derrière pour que demeure vivant tout l'esprit (tchèque) de l'oeuvre.



Le sacrifice : « le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde [...]» Milan Kundera (dans "L'art du roman)

Entre autres sacrifices qu'il a dû faire, Spychalski a évincé de son adaptation un personnage important, celui de Marinette. Cet amour de jeunesse, la jolie Marinette qui détestait les livres, Hanta la perd à deux reprises pour des histoires de merde. D'abord à un bal, alors qu'au retour des toilettes, Marinette se met à tournoyer dans les bras de Hanta, ses rubans maculés d'excréments éclaboussant l'assemblée horrifiée. Puis, des années plus tard, quand les amoureux se retrouvent à la montagne pour skier et que Marinette, après un court arrêt derrière un buisson, poursuit sa majestueuse descente vers le chalet, où tout le monde remarque le gros étron posé sur son ski. Dans ce roman où les grands penseurs et les grandes oeuvres n'hésitent pas à fréquenter le monde souterrain lié à la crasse, à l'organique, voire au scatologique, ce personnage est très drôle par le contraste qu'il crée. Marinette représente sans équivoque « l'attitude kitsch7 », considérée par plusieurs romanciers pragois comme étant le contraire de l'art, son ennemi absolu. L'importance du personnage se confirme à la fin du roman, quand Hanta commence à percevoir sa propre fin et qu'il décide de la revoir. L'ouvrier retrouve alors sa Marinette, celle qui a la terreur des livres, qui n'en a jamais lu un seul et qui ne supporte pas la merde, immortalisée sous les traits d'une imposante et virginale statue aux ailes d'ange érigée au coeur d'un jardin. Elle a atteint l'image idéalisée de la beauté et de la jeunesse qui la lavera des épisodes scatologiques entachant sa jeunesse. Elle a assouvi son désir d'éternité. Sa réussite manifeste place Hanta devant son propre échec. « de tous les gens que j'avais rencontrés dans ma vie, c'était elle qui était allée le plus loin, tandis que moi, au milieu des livres où, sans relâche, je cherchais un signe, je n'avais jamais reçu un seul message des cieux. Les livres s'étaient alliés contre moi. » (p. 100) C'est la victoire totale du kitsch sur l'art. de son propre aveu8 , Téo Spychalski trouvait anecdotiques ces passages concernant Marinette. Des représentations du kitsch dans le roman, le metteur en scène a gardé les plus graves, par exemple celle qu'évoque la brigade socialiste du travail formée par les jeunes buveurs de lait en uniformes impeccables. C'est l'arrivée de cette nouvelle armée de travailleurs moderne et performante, avec son immense presse hydraulique, qui signe la fin du monde tel que le connaît Hanta. On parlera ici d'une représentation d'un monde uniformisé et efficace, un autre des nombreux visages du kitsch. Plusieurs passages drôles, bien que de moindre importance, ont aussi été évacués de cette adaptation et, avec eux, une bonne part de la distanciation ironique contenue dans l'oeuvre.



Fils entrelacés : le découpage du texte proposé par Téo Spychalski est intelligent et rigoureux. Je succomberai à la tentation de paraphraser le metteur en scène qui disait qu'à l'instar de la presse qui transforme les livres en une autre matière, il lui revenait de mâcher le matériau littéraire pour en faire surgir une autre oeuvre . S'il a sacrifié plusieurs anecdotes et, de façon plus malheureuse, les éléments franchement comiques du roman, il a conservé la richesse de la structure, l'entrelacement - « il faut en faire une tresse », disait toujours Hrabal au réalisateur Jiri Menzel - des fils narratifs entre le passé, le présent et l'imaginaire, qu'il a resserrés autour de quelques histoires avec habileté. Dans le rôle de ce «palabreur» magnifique, le comédien Claude Lemieux manie avec un naturel impressionnant une langue poétique et iconoclaste, empreinte d'ironie, jouant juste ce qu'il faut d'emportement et de retenue pour qu'on le suive dans son délire imaginatif, flirtant par moments avec le grotesque, jusqu'au tragique dénouement, une « véritable ascension dans la chute ». Malgré le niveau de langue très littéraire, on ne cesse jamais de croire qu'il s'agit là d'un homme du peuple. À un moment viennent lui rendre visite dans sa cave deux jeunes Tziganes, interprétées par Tania Duguay-Castilloux et Marie-Daniel Lussier, dont la présence est un peu superflue puisque leur visite est narrée, comme les autres anecdotes. de même l'environnement sonore, accentué, surdimensionné, apporte un côté « supraréaliste » qui fait croire que nous sommes dans la tête du narrateur, au coeur de sa pensée déformée par l'alcool. Ce n'était pas nécessaire, nous y étions déjà. Au milieu du décor encombré de vieux papiers, animé par les très beaux éclairages de Mathieu Marcil, trône la presse hydraulique. Et dans ce souterrain devenant par moments une véritable caverne d'Ali Baba, la présence d'une grille d'égout d'où proviennent des bruits de chasse d'eau et de guerre de rats, l'alcool ingurgité et la forte présence du comédien, son jeu corporel appuyé, installent un des pôles importants de l'oeuvre : le corps et ses fonctions organiques. Ainsi, la matérialité du monde s'oppose aux « cieux inhumains», l'ivresse de la bière et la lecture des oeuvres s'opposent à la performance de la brigade socialiste du travail et ses buveurs de lait. La scénographie évoque la beauté et la crasse se fondant l'une en l'autre, comme Hanta entrant dans la presse pour faire corps avec les livres. Vers la fin, le récit qu'il fait de sa relation avec la petite Tzigane déportée vers les camps de la mort se révèle d'une touchante vérité. C'est un des points culminants de ce spectacle, à qui il ne manque, pour être une réelle réussite, que le franchement comique qui s'inscrit en contrepoint des thèmes tragiques de l'oeuvre. En ce sens, il manque un peu de l'esprit tchèque. Il manque le formidable rire de Hrabal. » Josée Bilodeau.



Les lecteurs attentifs, courageux, patients et indulgents de mes habituelles chroniques me pardonneront, je l'espère, cette petite incartade (qui n'est pas tout à fait la première, malgré tout). Quant à moi, il ne me reste plus qu'à me replonger, tôt ou tard, dans ce bouquin plutôt effarant, incroyable, à peu près inclassable, kitsch (au sens que lui donne Kundera), dont le style, les sautes d'humeur, les coquecigrues, les références (d'une immense érudition, sans jamais avoir l'air de trop y paraître), le sens inné de la dérision en font un moment rare, tellement rare, de la littérature. Un boulet de canon dont les moments intimes ou politiques sont tous, avec des attentes et des conclusions diverses, d'une complexité rare et pourtant immédiatement audible, par l'usage d'un franc-parler dont ce Hanta nous abreuve, qui semble sorti tout droit d'une conversation de bistrot entre philosophes célestes (et très terrestres aussi) délicieusement avinés.

Ce bref roman de Bohumil Hrabal c'est l'absurdité de l'ininterrompue succession des petits instants du quotidien renversée, les quatre fers en l'air, par la puissance tragi-comique incommensurable de cette écriture. Ce bouquin, c'est un rire énorme passé par le tamis d'un coeur monstrueux et d'une insatiable curiosité au regard bleu cristallin dont ne pourrait résulter que le suicide ou la vie éternelle (est-ce si improbable ? Ne fut-ce pas le choix de l'écrivain pour les derniers instants de son existence ? Et même si cette fin n'est qu'accidentelle, les raisons de cet accident sont elles-même source, dramatique, d'un ultime et énorme rire, n'est-ce pas ?). Il faudra donc relire ces cent vingt et quelques pages dévastatrices et créatrices une fois les dernières vagues de ce tsunami apaisées. Lire aussi d'autres titres, tel le roman Moi qui ai servi le Roi d'Angleterre ou encore l'un de ses recueils de nouvelles comme Les Palabreurs. Il faudra aussi aller explorer du côté de l'ami Jacques Josse, grand lecteur de Bohumil Hrabal devant l'éternel, tout particulièrement avec son - semble-t-il - très convaincant essai intitulé L'ultime parade de Bohumil Hrabal. Rendez-vous est donc pris, désormais...



Ci- après le lien vers cet excellent site québécois d'où est tiré l'article reproduit plus haut : https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2007-n123-jeu1112999/24222ac.pdf
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Ballades sanglantes et légendes

« Ce qui compte le plus dans l’écriture, c’est ce que l’on n’écrit pas et la façon dont on colmate les fissures, j’ai humanisé les commérages d’arrière-cour, le pamphlet et la calomnie, j’ai amené à un point-limite l’esprit fusant des palabreurs et de leurs ébats qui se terminent parfois entre les murs de la police secrète ou à l’hosto. » (Bohumil Hrabal)



« Ballades sanglantes et légendes », ce sont douze récits courts, desquels ressortent deux genres populaires, chers à B. Hrabal, que sont la ballade sanglante, le « morytát » (de l’allemand « Moritat ») et la légende. Ce recueil, dans son ensemble, est tout à fait éclectique et constitue une sorte de kaléidoscope des pratiques d’écriture de l’œuvre entière de Bohumil Hrabal.



« La ballade sanglante » désigne une scène ou un événement sanglant et surtout une chanson de foire sur un événement sanglant.

La légende, quant à elle, est une forme narrative racontant la vie de personnes saintes, puis une fable, relation inauthentique, inventée.

La légende est empreinte d’une réalité miraculeuse. Bohumil Hrabal dit qu’elle « permet de dépasser l’existence et de tendre vers la transcendance. »



Au centre du recueil, deux légendes sont majeures.

La « Légende de la belle Julinka » est un émouvant récit. Elle est basée sur l’histoire authentique de Julinka Kominiková. Sur le principe d’un tressage narratif, B. Hrabal sublime son histoire avec cette forme de légende.

Cette jeune femme est la fille d’un marchand de Prague. Elle fait ses études à Paris et loge à l’hôtel Ritz. Elle reçoit un télégramme de son père, la veille du jour fatal de mars 1939, qui lui dit « Reviens immédiatement ! ». Elle ne pouvait pas savoir que l’avion par lequel elle irait à Prague, serait le dernier, que les Allemands avaient occupé Prague et le reste du pays, que ses parents partiraient l’un après l’autre pour le camp de concentration, qu’elle et sa mère distribueraient parmi les parents, des tableaux de maître et de la porcelaine précieuse, tant et si bien que sa mère irait au camp de concentration et elle aussi.

Après la guerre, Julinka est l’unique survivante de la famille. Elle se souvient de l’hôtel Ritz, s’y rend et s’adresse au réceptionniste qui fouille le casier destiné au courrier de Julinka, et il lui remet un véritable petit trésor…



Ce recueil allie les contraires : il nous plonge dans l’effroi et on est bien souvent confronté à la mort, puis aussitôt après, il nous emmène dans la douceur de la compassion et de la rédemption.



L’autre légende majeure de ce recueil, c’est La « Légende de Caïn ».

C’est une tragédie, qui a fait l’objet de trois versions différentes, d’abord écrite en 1949, puis glissée dans un tiroir…

Caïn est un petit employé des chemins de fer. « Trains étroitement surveillés » est un récit héroï-comique de Bohumil Hrabal, qui a fait l’objet d’un film en 1966 après la sortie du roman éponyme en 1965. « Trains étroitement surveillés » est une version édulcorée du récit de la « Légende de Caïn ». cette légende soumet son héros à une initiation charnelle et mystique, inspirée de l’Ancien Testament, mais aussi de la Vita nuova de Dante.

« Sans réfléchir, je pris une lame de rasoir et j’entamai le concert de la mort. La première douleur était à s’évanouir. Cela était doux, mortellement doux, … » (…) « Oui, le sang dévalait à flots comme je l’avais désiré, et en vérité je m’échappais, centilitre par centilitre. A l’esprit ne me vinrent ni reproche ni le moindre lointain souvenir littéraire.

Je m’observais moi-même devenant l’essence même de la poésie, de la musique et même de la peinture. »

Caïn mourra au moment où il voudra vivre, mais il mourra tout en devenant lui-même assassin, non plus suicidaire mais fratricide, meurtrier d’un soldat allemand devenu à son tour son assassin.



Dans la « Ballade sanglante sur l’assassinat d’Aněžka Hrůzová », Hrabal se décrit harcelé par ses lecteurs, et surtout par ses lectrices ! Cette ballade fait référence à l’assassinat d’une jeune fille chrétienne par un jeune juif. Cette affaire accompagna la vague d’antisémitisme des années 1890 et marqua la Bohème de façon comparable à l’affaire Dreyfus en France.



La « Ballade sanglante écrite par les lecteurs », ce sont des textes marginaux, des collages de correspondances de ses fans lecteurs ou de ses ennemis. Ce sont des courriers authentiques figurant dans les archives de Bohumil Hrabal. Ici l’écriture est moins conçue comme création que comme collection, où Hrabal, en tant que post-surréaliste se contente d’une mise bout à bout de parties de courriers. Cette écriture du collage se caractérise par une sorte d’euphorie du choc : on passe brutalement de propos élogieux à des propos injurieux. On est désorienté, mais en même temps c’est jouissif !



« Ballade sur une exécution publique », c’est un montage qui est conçu en alternant rythmiquement des extraits de deux abondantes lettres anonymes et de coupures des propres gloses et notes de Bohumil Hrabal parues dans divers journaux tchèques. C’est une création expérimentale. Un procédé poétique qui permet de faire entendre la voix d’autrui, une sorte de débordement polyphonique du monde.



L’art de Hrabal est « existentiel », par ses liens avec le mouvement européen de l’existentialisme (avec notamment Sartre et Camus), mais c’est aussi l’expression d’un malaise mûri à Prague, où des écrivains comme Kafka, Hašek, ou Weiner, entre autres, avaient su évoquer la peine, l’aliénation, la marginalité de l’individu.

Hrabal est le successeur de ces écrivains.



La « Ballade sanglante sur un jour de ripailles » associe la description triviale des joies gastronomiques plébéiennes d’une brasserie tchèque à une réflexion presque abstraite sur le phénomène de la vision menée par le narrateur qui s’amuse à regarder la salle à travers son bock de bière pour « briser le monde de son verre ».



La « Légende sur les aiguilles Lamerz » est une composition double où le narrateur expose alternativement son voyage à NYC et la scène au cours de laquelle de retour à Prague, il commente dans l’échoppe du barbier son équipée américaine.

Le barbier ponctue tous les propos enthousiastes du voyageur sur les curiosités de NYC (les grands magasins, les œuvres de Georges Segal, Richard Stankiewicz, etc.) par « C’est comme chez nous ! ». La comparaison est cocasse, car la situation de la société tchèque n’est alors pas précisément identique à celle des USA, mais non dénuée de vérité, puisque le sentiment est alors vif d’une communauté artistique unissant l’avant-garde américaine et les institutions pragoises.



« Légende d’Egon Bondy et de Vladimir », c’est l’évocation de l’exécution de Záviš Kalandra au lendemain d’un procès stalinien et de la censure exercée sur le monde littéraire. L’art, au début des années 50, en Tchécoslovaquie, a été contraint de se mesurer aux absurdités du système communiste. Les collages littéraires de Bohumil Hrabal mettent au jour la proximité gênante de la création et du saccage, du regard artistique et de l’anéantissement humain.



La « Ballade du berceau au cercueil » est un texte énigmatique ! Pour Hrabal, tout événement semble en même temps construction et destruction, ordre et chaos, délice et supplice.

La pratique du collage littéraire mènerait donc à une réflexion sur le lien entre les fins dernières et le miracle, l’être et le néant.



Dans la « Ballade sanglante de la reine de la nuit », une jeune fille parle de tous les hommes qui s’intéressent à elle et la convoitent. Elle est idéaliste et romantique.

Elle ne sait pas choisir parmi ses admirateurs…

Dans cette ballade, ces mots : « Le mois de mai, le temps de l’amour est choisi. » font allusion au 1er vers de Karel Hynek Mácha (1836), le chef d’œuvre de la poésie romantique tchèque.

Cette ballade est basée sur un journal intime qui avait été communiqué à Bohumil Hrabal, accompagné d’une note, qui l’enjoignait d’y prendre ce qui l’intéressait.



A la lecture de ces ballades et légendes, on ressent toute l’effervescence dans laquelle Hrabal a composé cet assortiment de récits où se mêlent tragique, humour et excitation.



« Il est possible de penser qu’il existe au monde au moins autant de légendes qu’il existe de gens. »

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