Les conseils d'un lecteur de maison d'édition .
Bruno Migdal, auteur de Petits bonheurs de l'édition (La Différence, 2012) a effectué un stage en tant que lecteur dans une maison d'édition. Il a lu jusqu'à cinq livres par jour pendant son stage et a appris à déceler les erreurs des écrivains en herbe. Dans cette vidéo, il explique quelles sont les erreurs les plus fréquentes qu'il a pu rencontrer.
Je m'étais préparé à devoir argumenter, ergoter sur des manuscrits d'une valeur moyenne : ce n'est pour ainsi dire jamais le cas. La plupart étant navrants l'échelle des critères s'en trouve modifiée, de graduelle et tempérée elle devient convulsive, déréglée, un texte honnête se pare de vertus abusives, l'argumentation développée en sa faveur devient outrée.
Étrange regard que celui d'un premier lecteur sur un texte sur lequel ne s'est jamais posé et ne s'en posera guère d'autres. regard qui, avant cette expérience, s'inscrivait toujours dans le cadre préalablement disposé, composé, modelé, par des paysagistes: ici, le défricheur c'est précisément vous, vous seul, ce qui oblige à réajuster et redéfinir votre champ de vision.Un texte publié, même médiocre, répond toujours à des critères formels qui, même poussés dans leurs retranchements, assurent sa lisibilité ou plus exactement l'adéquation entre son projet et son résultat; un manuscrit, lui, n'obéit plus nécessairement à une norme d'intelligibilité, ce peut être une jungle asphyxiante un désert minéral ou un tracé d'autoroute sans aire de repos ni destination, qu'il faut tenter d'imaginer ramené aux exigences d'un paysage plus hospitalier.
Fruit d'un labeur acharné, reflet d'un investissement névrotique et d'une expérience subjective unique, ce texte, parfois conséquent, lourd de centaines de feuillets, peut dès les premières lignes receler un vide structurel qui le rend aussitôt impraticable, ruine sa viabilité, son auteur ayant d'emblée négligé quelques règles fondamentales d'architecture : les yeux rivés sur l'exécution des moulures, sur le jointoiement des lés de tapisserie, il a omis d'y prévoir fenêtres ou escalier, les murs prennent de l'angle dès les soubassements, on n'ose y faire un pas de plus : l'édifice est irrécupérable, voué à la démolition, bien peu ayant la folie créatrice et jusqu'au boutiste du facteur Cheval.
En peu d'années le terme "manuscrit" est devenu impropre : plus personne ne livre un texte écrit à la main. Non seulement impropre mais contradictoire : aucun manuscrit soumis à un éditeur ne doit être manuscrit, c'est expressément signalé ; exemple de mot dont le processus de fossilisation s'est opéré en une décennie sous nos yeux. Conservons-le le plus longtemps possible : "tapuscrit" arrive. (p. 33)
On rêve d’une longue et mystérieuse femme, une petite exubérante et rigolote vous attrape.
Mais enfin quelle part la vérité historique tient-elle dans ce récit ? Surtout comment agit l'éditeur face à un document de ce type ? Vérifie-t-il un tant soi peu l'authenticité du contenu ? Doit-il lever une armée d'érudits pour enquêter ? Privilégie-t-il la rigueur intellectuelle ou se laisse-t-il porter par ce beau scénario ? Ce malaise ressenti face aux manuscrits romanesques est ici amplifié, l'absence de référence, de glissières de sécurité, déroute. Finalement, lecteur au lieu qu'éditeur, c'est enviable ; ça a aussi du bon, l'innocence.
"Je m'étais préparer à devoir argumenter, ergoter sur des manuscrits d'une valeur moyenne : ce n'est pour ainsi dire jamais le cas. La plupart étant navrants, l'échelle des critères s'en trouve modifiée, de graduelle et tempérée elle devient convulsive, déréglée, un texte honnête se pare de vertus abusives, l'argumentation développée en sa faveur devient outrée.
Je mesure cette originalité de l'écriture, probablement l'une des rares expressions artistiques ne relevant d'aucune formation académique, ne requérant ni qualification, ni épreuve probatoire, ni expérience graduée ; cette dispense est clamée, revendiquée : l'écriture ne s'apprend pas ! Si les fondamentaux en sont dispensés durant la scolarité, la seule lecture personnelle est censée développer les dispositions à l'écriture. Les gens lisent, donc se sentent naturellement en droit d'écrire. : imagine-t-on un simple mélomane frapper à la porte d'un orchestre ?
La certitude qu'une plongée introspective remontera à coup sûr son lot de pépites en surface, l'exaltation contemporaine pour la singularité, la fascination pour son nombril, entretiennent plus que jamais cette volonté de participer au concert commun ; et il est vrai que les précédents ne manquent pas, ils s'affichent sur les murs de la cité.
La lecture donc, comme terreau de l'écriture : le résultat, dans le strict domaine de la fiction, peut pourtant s'avérer inversement proportionnel aux masses de lecture qui la nourrissent."
Les manuscrits, pour le moment, n'envisagent plus guére l'angle retrospectif : hors quelques timides plongées dans des époques récentes, à portée de main, notamment les fantasmatiques sixties, c'est surtout le présent le plus contemporain, le proéminent, le boursouflé "aujourd'hui" qui est décrit ; cela parle à tout le monde et simplifie l'approche documentaire .
L'incident se termine dans la bienséance, les échanges gracieux, me voila rassuré : le prestigieux monde éditorial n'est pas épargné par le grabuge, les mesquineries et entourloupes de tous calibres.
Mais un livre a-t-il nécessairement besoin d'être lu? Sa tangibilité nourrit tout autant l'imaginaire de son détenteur, comme un flacon de parfum exhale par sa seule forme évocatrice ses fragrances.
Ce manuscrit exonère tous les autres : soudain l'apparition d'un ressenti oublié, le plaisir. Enfin une lecture, c'est à dire la captation de toute pensée par le récit qui se déploie sous vos yeux.