Bruno Schulz

Adèle toisa mon père d'un regard chargé d'un insondable dédain (...) :
- Il nous prend tout notre sirop! Il vide notre garde-manger de la belle provision de sirop de framboise auquel nous avons travaillé toutes deux l'été dernier. Il veut le donner à boire à ces vauriens de pompiers. (...) Capitaine de sapeurs-pompiers! oui, dites plutôt de voyous! dit-elle, mesurant mon père d'un œil haineux. Il y en a partout! (...) « Du sucre, un peu de sucre, s'il vous plaît! » Ils m'arrachent le seau des mains, courent me chercher mon eau, dansent en rond autour de moi, ils font les jolis cœurs - c'est tout juste s'ils ne frétillent pas de la queue! (...)
- Ton naturel vulgaire, répondit mon père, avilit tout ce qu'il touche. Tu viens de brosser de ces fils du feu un portrait bien digne de ton esprit obtus. Toute ma sympathie va droit à cette infortunée tribu de salamandres, à ces pauvres créatures de flamme si déshéritées. (...) Leur palais génial et délicat, leur palais exercé d'esprits du feu veut des philtres nobles et sombres, des fluides irisés, des essences d'aromates. (...) Si j'ai accepté de leurs mains le sabre de capitaine, c'est dans le seul espoir d'arracher cette race à l'enlisement, de la tirer de sa déchéance et de déployer au-dessus de ses têtes l'étendard de l'idéal nouveau...
- Vous n'êtes plus le même, Jacob, dit ma mère, vous êtes magnifique! (...)