Sereine et blanchissant de sa lumière pure
Ton dôme merveilleux, ô sainte architecture,
Dans le ciel qu’Albert Dure admirait à l’écart,
La Musique montait, celte lune de l'Art.
C’est ainsi que Victor Hugo, dans les Rayons et les Ombres, définit ou figure la musique du seizième siècle. Pour celle du dix-neuvième, il aurait fallu que la poésie trouvât une image plus éclatante. « Cette lune de l’art» en est devenue peu à peu le soleil. La musique a conquis sa lumière et sa chaleur, son mouvement et sa vie.
En 1752, arriva à Paris une compagnie de chanteurs italiens. Ils nous apportaient la guerre. On sait, par les écrits du temps, le succès des partitions italiennes, surtout de la Serva padrona de Pergolèse. Tout Paris s'arma pour la querelle des Français et des Italiens Grimm et Rousseau combattaient au premier rang des ultramontains. La Lettre sur la musique française n'est qu'un panégyrique enthousiaste de l'art italien.
Il y a dans l'histoire de la musique des noms dont chacun représente un genre, une catégorie de la beauté sonore. On peut à la rigueur — et nous l'avons tenté précédemment — étudier chez le seul Palestrina la polyphonie vocale du seizième siècle italien. C'est dans les neuf chefs-d'oeuvre de Beethoven que nous trouverons le centre ou le sommet de la symphonie. Quant à l'opéra symphonique, personne Jusqu'ici n'en a partagé la gloire avec Richard Wagner. De même, l'opéra mélodique appartient en propre à Mozart. Il naît sans doute avant le jeune homme de Salzbourg, et lui survit; mais, sous cette main élue, il a donné ses plus exquises fleurs.
Nous touchons au dernier, ou au premier peut-être, des musiciens d'amour. Si M. Gounod (comme il le dit volontiers) a fait beaucoup par et pour l'amour, l'amour a tout fait pour lui. Nul sentiment ne l'a porte aussi haut. Aucun musicien n'a mieux chanté cette passion. Faust, Roméo, chefs-d'œuvre d'amour ; les stances de Sapho, le duo de Magali, deux pages d'amour, l'une sublime, l'autre charmante. Les messes, les oratorios même : Rédemption, Mors et Vita, respirent une tendresse mystique ; l'auteur de Faust et de Roméo pourrait prendre pour devise le mot de saint Augustin : Ama et fac quod vis.
Musicien de votre première communion par une de ses oeuvres, Gounod fut mêlé de plus près, et de sa personne même, à celle d'un enfant que j'ai connu jadis et « qui me ressemblait comme un frère ». Je revois — déjà dans le lointain — la sortie de l'église et le parvis luisant de soleil. L'illustre auteur de Faust avait assisté à la cérémonie. Le fils d'un de ses amis était parmi les jeunes néophytes. Comme il achevait de descendre les degrés : « Maître, lui dit le père, qui tenait le petit garçon par la main, permettez-moi de vous présenter un enfant qui aime beaucoup la musique, et votre musique. Je vous demande de vouloir bien ajouter à toutes les bénédictions qu'il vient de recevoir une bénédiction de beauté. »
Alors Gounod, de sa voix chaude, vibrante, et que j'entends encore, s'écria : « Mon enfant, aujourd'hui je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ta chaussure. C'est toi qui me béniras! »
Et, joignant le geste mystique à la parole ardente, sur le pavé de la place, et le front découvert, on vit le grand artiste tomber à deux genoux devant le petit garçon. Celui-ci ne le bénit point. Surpris et confus, il fit ce que vous auriez fait à son âge : il pleura. Et depuis cette rencontre, où commença leur inégale mais tendre et fidèle amitié, il n'a jamais entendu sans un vague désir de larmes le cantique de Gounod pour la première communion.
L'art grégorien n'est que chant. Tel est son premier caractère, et la raison première aussi de sa vocation sacrée. Il semble bien que le chant de la voix humaine constitue la musique la plus affranchie qui soit de la fiction et de l'artifice, la musique où le moins de ma- tière se mêle à la parole, pour l'appesantir, la contrain- dre ou l'altérer. Aussi bien la nature des choses et des lieux mêmes s'accorde avec la conception exclusive- ment vocale de la musique religieuse. Il se trouve que pas un instrument, pas même un orchestre n'est à sa place et ne semble à son aise dans une église. Un vio- lon seul y grince misérablement; cinquante violons s'y entendent à peine. Une fanfare militaire n'y produit qu'un horrible tapage. Ainsi l'acoustique des nefs est fatale à toute symphonie : elle rend imperceptible la sonorité des instruments à cordes, et celle des instruments de bois ou de métal odieuse.
L'art grégorien, nous l'avons dit, n'a qu'un objet. Cet objet, qu'il importe de définir avant d'y rapporter cet art, c'est la prière, la prière à l'église, la prière en commun et publique. Ce sont nos relations avec Dieu, nos relations à tous, et dans la maison de Dieu, soumises par conséquent à certains rites, environnées de certaines cérémonies. Voilà tout l'objet de l'art grégorien, le domaine où il convient à la fois de l'affermir et de l'enfermer. On ne saurait assez le répéter : le plain- chant est la musique religieuse par excellence et n'est pas toute la musique religieuse. En dehors de lui, des chefs-d'œuvre sont nés; d'autres se produiront encore. Chefs-d'œuvre sacrés et parfois même chefs-d'œuvre pieux, mais dont la place n'est pas à l'église. C'est à l'église, au contraire, qu'est la place du chant grégorien, et seul peut-être il y est tout à fait à sa place.
A la fin de l'automne dernier, un vénitien de nos amis nous envoya ce portrait de Vabaîino :
« Don Lorenzo est très jeune, mais en le voyant on le dirait plus jeune encore. Il a l'air simple, jovial et bon. Il faut le voir quand il dirige son orchestre. Il est alors en extase et il prend des poses très pittoresques : la tète penchée d'un côte, les yeux au ciel plus que sur la partitura, les bras grands ouverts. Si l'on croit que tout cela est de la caricature, on en doit rester dégoûté ; mais si Ton croit que tout cela est naturel, (et moi je le crois), on en demeure ravi. Il y a six mois, il me disait qu'il ne savait pas pourquoi on faisait tant de bruit pour sa Trasfigurazione. Je l'avais vu la dernière fois au moment du grand succès de cet oratorio. Alors il n'avait été applaudi qu'à Milan et à Venise, et par un public prévenu eu sa faveur.
Londres accueillit Mozart plus dignement encore. Le roi Georges III et la reine Sophie étaient de meilleurs musiciens que les souverains de France. Jean-Christian Bach, un des fils du grand Sébastien, qui donnait des leçons à la reine, eut plaisir à jouer avec un aussi rare partenaire.
Musicien exquis, Mendelsshon fut autre chose encore musicien. Une forte éducation, littéraire, artistique, philosophique même, des voyages à l'étranger, développèrent de bonne heure, dans tous les sens et tout entière, cette nature où ne manquait pas une seule disposition heureuse.