Bonjour Ducro, c'est Coutard, je viens de lire le dossier.
- Il vous plait ? J'ai tout de suite pensé à vous quand il est tombé sur le bureau. Les affaires surréalistes c'est votre domaine, non ?
- Vous mélangez tout Ducro. Je suis expert en culture africaine, pas spécialiste en improbabilités.
- Les sorciers africains, les guérisseurs et tous ces trucs baroques que vous avez l'habitude de fréquenter, c'est du surnaturel. On va dire que là, c'est un peu pareil, c'est du bizarroïde.
Il existe des personnes dont la particularité consiste à endormir leur interlocuteur en parlant.
Entendre les actualités me permettrait certainement de me raccrocher à la vie réelle, la vie quotidienne, la vie qui continuait de crier sa passion à travers des faits divers, mais j’éteignis le poste rapidement. Il m’était insupportable d’écouter la souffrance du monde alors que l’injustice de Marc demeurait silencieuse aux yeux de tous. Comment réveiller ma mémoire ? Comment savoir ? Pourquoi Marc était-il mort ? Que s’était-il passé avec lui ? Un mot s’inscrivit en grand dans ma tête : persister. La première séance d’hypnose n’avait pas fonctionné, mais je continuerais, jusqu’à ce que je découvre la vérité.
Vous savez, le cerveau, c’est un petit coquin, il ne se laisse pas démoraliser si facilement. Quand il considère que la réalité d’un fait est trop éprouvante, il élabore des stratégies d’évitement : il oublie, il interprète il échafaude un scénario fictif. Il le fait pour vous protéger, même si au final, cela peut créer d’autres troubles.
Vous savez, quand on déloge un souvenir, on ne sait jamais exactement sur lequel on tombe. Je vais faire en sorte de rester sur les disques durs les plus récents, mais vous connaissez l’image de la boîte de chocolats, les souvenirs c’est pareil, on ne sait jamais sur lequel on tombe, on le découvre au moment où on le déballe.
Son regard sombre et sérieux dégageait un sentiment d’agacement, mais derrière cet air bougon, il y avait un homme consciencieux qui cherchait la perfection et qui se sentait frustré de ne pas y parvenir.
J’étais embêté. J’avais beau me concentrer, je ne me souvenais pas de son prénom. À la place, je me remémorai qu’il arrivait souvent le premier, avant tout le monde et qu’il partait tard, ce qui, de mon point de vue, n’était pas productif. Un chercheur trouve ses meilleures idées sous la douche, en marchant, aux toilettes ou en contemplant un paysage magnifique. Pas collé sur son ordinateur les yeux gonflés de lumière bleue. Je n’avais jamais osé émettre cette opinion devant lui. Il était plus âgé que moi, je dirigeais le département, j’étais son chef, et je ne voulais pas rompre l’équilibre qui régnait entre nous.
Ce n’était pas un humain ni un animal, pourtant c’était organique, une autre forme de vie. La créature prenait de la consistance, se densifiait et j’aperçus, horrifié, un grand squelette blanc allongé derrière moi. Figé dans mon sommeil, je ne pouvais ni bouger ni crier.
La chose resta là un long moment, accrochée en haut de mon dos, collée contre ma peau au niveau des omoplates ce qui, au moment où je le réalisai, provoqua en moi un immense dégoût. Alors, une odeur pestilentielle me submergea et comme si elle avait compris que j’étais au bord du malaise, elle refréna ses effluves. Son objectif était clair : me maintenir durablement dans cet état. Comme une araignée qui organise son garde-manger en enveloppant ses proies dans un cocon de filaments. Elle me conservait ainsi à sa merci.
Les souvenirs c’est-à-dire l’idée que nous nous faisons de notre passé et même de notre futur constituent des informations stockées dans différentes parties de notre cerveau. Les données les plus importantes sont celles qui assurent nos fonctions vitales : se nourrir, se protéger. Celles-là sont placées tout en haut de la hiérarchie. Vous vous souvenez de comment tirer une chasse d’eau, dans quel ordre il est préférable d’enfiler un pantalon et un caleçon ou dans quel restaurant vous mangez les meilleurs sushis sans tomber malade. Les autres souvenirs, ceux qui ne sont pas indispensables pour vivre, sont rangés ailleurs.
C'était la première fois qu'il se trouvait mis en cause dans son travail. Lui, l'expert mondial dont personne ne critiquait jamais les analyses, était purement et simplement traité de menteur. Il avait l'impression de devenir fou.
Quand l’action commençait, ce n’était plus le cerveau qui réfléchissait, c’était le corps. Chaque petite partie de nous-mêmes nous renseignait sur les éléments extérieurs. Nos muscles, nos tendons, notre peau, tous nos organes savaient se positionner face au vent, faire pression contre le courant, lâcher au bon moment et enfin je montai sur ma planche, je me relevai. La crête surgit au-dessus de moi, je tournai la tête, je plongeai mon regard vers la ligne qui m’amènerait au-delà de la vague, au-delà du monde et, alors, quelque chose de spécial se produisit.