– Si l'enfer, c'est les autres, poursuivit Maestro, alors le mal aussi. J'en suis convaincu. Si vous réfléchissez à cette notion, vous l'associerez naturellement aux adjectifs méchant, malfaisant, mauvais et ainsi de suite. Bien sûr, ce sont des mots que la plupart des gens emploient pour critiquer les autres. Personne ne s'accuse soi-même d'être malfaisant. Oh, non ! On se reproche éventiellement de s'être fourvoyer, d'être parresseux, stupide, et même cruel. Et si vous jetez un mégot de cigarette par la vitre de votre voiture en pleine période de sécheresse ? Vous êtes considéré comme négligeant, pas malfaisant. Et si vous détruisez une fourmillière ou tuez un million de poissons après avoir provoqué une marrée noire ? La société vous traitera juste d'égoïste. Enr evanche, si vous alliez tirer sur une cinquantaine de chevaux dans une écurie, là on vous accuserait peut-être d'être le mal personnifié. Parce que la société aime les cheveaux alors qu'elle se fiche des fourmis.
Le Maestro s'éclaircit la gorge avant de poursuivre :
– Le mal n'est qu'un mot que la société emploie pour condamner les actions des individus qu'elle n'aime pas. C'est le contraire de ce que la société appelle le bien. Certains diront que les corridas, c'est mal, mais pas les Espagnols. D'autres affirmeront que la guerre, c'est mal, mais cette personne n'est pas démodée pour autant. Le concept de mal est aussi flexible qu'un morceau d'argile. On peut lui donner pratiquement toutes les formes qu'on veut.