Citations de Céline Minard (279)
Quand j'ai eu la sensation que ma nuque posée sur le dossier de la baignoire flottait sur un polochon de coton chaud, que mon corps suivait son balancement comme la traîne d'un cerf-volant stationnaire, j'ai ouvert les yeux et j'ai vu tout ce noir, tous ces trous lumineux. Puis la boule d'ocre et d'argent dont la surface était plongée dans l'ombre pour un tiers. La lune. La lune gibbeuse. Grêlée de petite vérole, menteuse comme un arracheur de dents, inondée de soleil, incongrue. Enorme alors qu'elle n'était pas pleine et que la sommité d'un pin aurait suffi à la camoufler. Haute, brillante, un phare dans une mer silencieuse, clapotante.
Paniquer c'est se choisir un maître.
Paniquer c'est se choisir un maître.
Il semblerait que conserver sa dignité passé quatre-vingts ans ce soit tout simplement obtenir des autres qu'ils vous parlent normalement. Sans ralentir le débit, sans cette lénifiante familiarité dont ils usent si volontiers, sans attendrissement marqué, sans non plus simplifier le propos et en forçant un peu le volume.
J'ai longé le vide le plus longtemps possible, puis j'ai bifurqué vers la gauche et pris pied sur une pelouse rase couverte de rosée. J'ai senti mon corps se poser et s'alléger dans le même moment. Ma respiration était ample, à l'image de ce qui se présentait à mes yeux et dans quoi j'étais plongée. Je sentais les ondes du ressac enfui battre sous mes pieds, battre dans mes tympans, dans le fond de ma gorge. Quand le soleil m'a prise dans sa main jaune, j'étais éveillée, endormie, endormie debout, et j'ai produit un formidable bâillement. Un bâillement de chien après la sieste, la gueule grande, grande ouverte.
Et si c'était seulement au milieu d'une multitude de formes de vie différentes qu'on pouvait obtenir la sienne propre ? La plus complexe, la plus libre, la plus désintéressée.
Le désir est comme le jeu, est comme l'art, offert, une occasion de multiplier les possibles qui s'accompagne parfois d'un inévitable éclat.
Je ne peux pas, personne ne le peut, ne pas prêter attention à la présence d'un humain. D'une coccinelle, d'un geai, d'un isard, d'une souris, oui, mais pas d'un humain. C'est un fait. Dès que je vois un humain, j'ai l'idée d'une relation entre lui et moi. Je m'en rends compte. Je ne peux pas faire comme s'il n'existait pas.
Se laisser saisir par l'étrangeté est la disposition la plus difficile qui soit.
Il se contente de goûter le vin. À l’aveugle, mais plongé dans ses sensations, sans essayer d’en appeler à ses connaissances, ses souvenirs, ses réflexes, uniquement mais absolument attentif à ce qui s’annonce, passe, et prends corps dans son corps. Il part. Il descend sur des terres humides et fraîches, sur l’épiderme d’un monde organique travaillé par les météores et les vents, arrosé de soleil, givré, bourgeonnant, craqué.
Ce qui est important pour un cosmonaute c'est d'être nourri, abreuvé et occupé. Scientifiquement occupé. Heure par heure. Aucune position, ni de survol ni de plongée, ne permet une compréhension complète des activités humaines mais d'ici, les grands effets cachés sont immédiatement perceptibles, on se passe aisément de télé. Les guerres se voient, les conflits de territoire, l'exploitation intensive des ressources naturelles, la consommation d'énergie fossile dans les mégapoles, les chauffages urbains, la désertification, tout ça se voit comme le nez au milieu de la figure. La Grande Muraille de Chine est une cicatrice minuscule mais discernable. La géopolitique du pétrole est gravée sur la surface du globe, pour qui sait lire et anticiper le texte, le destin de l'humanité est clairement inscrit sur la croûte terrestre : l'asphyxie nous guette.
Le corps chaud, les muscles raidis, j'ai suivi le reste de pente qui désormais, montait tranquillement et j'ai atteint le col. De l'autre côté tout était ouvert, étalé, érodé, doux. Le soleil glissait partout. Les montagnes étaient emballées de laine tendre, d'un vert rabattu que la rosée allumait. Les sommets étaient ronds, la lenteur de leur courbe m'apaisait.
J'ai senti mon corps se poser et s'alléger dans le même moment. Ma respiration était ample, à l'image de ce qui se présentait à mes yeux et dans quoi j'étais plongée.
La cuisine, l'amour et la littérature ne se font pas seul mais se font sans témoin, il y a bien assez de monde dans ces histoires intimes. D'autant plus qu'à force d'étudier les spatules et détailler les cuillers à glace, les pelles à fromage, la pomme parisienne ou le couteau d'office, on en vient à ne plus pouvoir monter la plus bête des mayonnaises.
L'exil, qu'ils avaient regardé jusque-là comme une opportunité, leur pesait pour la première fois. Brad avait essayé de chanter le soir, devant le feu, les airs qu'ils aimaient tous les deux, mais alors la nostalgie d'un pays qu'ils croyaient n'avoir jamais porté dans leur coeur, les avait pris.
Nous ne partageons pas l'espace avec les animaux. Nos territoires ne se recoupent pas. Non pas parce que les cartes objectives qu'on pourrait en lever ne coïncideraient pas (cela pourrait être) mais parce que leur territoire n'est pas une surface à proprement parler. Ce n'est pas une étendue dont on pourrait fixer les limites.
Nous ne possédons rien si ce n'est la puissance et, peut-être, le talent de recréer, allongé sous un saule dans un fauteuil articulé, ce que nous avons soi-disant déjà vécu.
Combien d'autres bêtes sont en train de noter ma présence au milieu de la montagne ? Dans quel faisceau de consciences mes faits et gestes sont-ils pris sans que j'en sache rien ? Il y a très probablement un groupe de marmottes qui relaient des informations à mon sujet. (p. 34)
— La propreté, Zeb, c’est la fin de l’aventure. Ça et pisser dans des pots de chambre et boire dans des verres au lieu de passer la bouteille.
— Mais tu bois dans des verres !
— Ouais. Mais tu vois ce que je veux dire.
Josh ne pensait qu'à une chose. Avancer. Le but de leur voyage avait été fixé des mois auparavant, il aurait considéré comme une perte de temps de simplement y penser. (...)la seule question était de poursuivre. Mais pour Brad, qui n'aimait pas les voyages, c'était d'arriver à destination.Contrairement à son fis, il endurait ce mouvement sans fin vers une ligne d'horizon qui n'en finissait pas de s'échapper, en vrai paysan.Avec une obstination tenace qui pouvait passer pour de l'excitation, mais il détestait de tout son être ce déplacement continu qui était l'inverse de l'installation et qu'il voyait comme le prix à payer pour une bonne terre immobile qu'ils finiraient par arracher au monde. Quand bien même ce devrait être à son autre bout.
Les choses, et les gens et les événements arrivaient comme il était lui-même arrivé au monde et il lui fallait les accueillir.