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Critiques de Cesare Pavese (106)
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Avant que le coq chante

Cesare Pavese possède tout le pessimisme et la désillusion d’une personne trop clairvoyante. C’est donc ce regard qu’il décline dans bon nombre de ses livres et celui-ci ne déroge pas à la règle.



L’ouvrage est composé de trois nouvelles qui ont toutes pour dénominateur commun un épisode de vie " en suspens ", dans un lieu inhabituel pour des raisons peu communes. Le titre fait référence à une descente des Allemands dans un repaire d’activistes politiques dans la troisième nouvelle :



1) Par Chez Nous raconte, dans un style qui pourrait faire penser à du Erskine Caldwell, l’équipée de deux innocentés sortant de la prison de Turin : Berto, le narrateur, citadin combinard endurci à la gouaille caractéristique et Talino, l’air niais et débonnaire, fils de paysan piémontais.



Berto, sans feu ni lieu, comprend vite que rien ne le retient à Turin, d’autant plus que Talino l’exhorte à le suivre dans sa campagne natale. Berto n’a aucune confiance en lui et réalise que Talino est bien plus fin qu’il n’en a l’air, ce qui ne l’engage guère à le suivre. Mais, faute de mieux, Berto s’y résout finalement, pour tâcher de gagner quelques sous tant ses poches sonnent le creux.



Berto, mécano de formation, aidera la famille de Talino pour la moisson en faisant fonctionner la batteuse à blé. Arrivé sur place, Berto découvre les sœurs de Talino, dont la belle Gisèle, mais aussi et surtout, le mystère qui entoure l’étrange et imprévisible Talino… Je vous laisse bien évidemment découvrir la suite.



2) La Prison raconte le vécu d’un relégué (c’est-à-dire d’un opposant politique à Mussolini), Stefano, originaire du nord de l’Italie, fraîchement libéré de prison et contraint de demeurer en résidence surveillée dans un village littoral rural du sud de la péninsule.



L’auteur y décrit les murs invisibles que sont la mer d’un côté, le statut " d’étranger " et la méconnaissance des mœurs locales de l’autre. Mais aussi et surtout, le lourd travail psychique que continue d’effectuer la prison dans le comportement du libéré bien après le franchissement des murs de la prison.



Cesare Pavese, comme à son habitude, nous livre une vision désabusée, sans issue, comme quoi, l’on ne sort jamais complètement de prison une fois y être entré.



3) La Maison Sur Les Collines est la plus longue, la plus consistante et probablement la plus crépusculaire des trois nouvelles. Il faut reconnaître que le thème n’en est pas des plus gais puisqu’il s’agit d’une description et d’un recueil d’impression sur les années de guerre, d’angoisse et de traque, où l’on craint à chaque instant de voir débarquer « avant que le coq chante » une milice prête à vous expédier trois balles dans la carlingue parce que vous êtes un sympathisant de l’opposition politique.



La maison sur les collines est donc le refuge, à quelques encablures de Turin, de ces activistes rouges au moment où les chemises noires de Mussolini vacillent au milieu de la guerre. Après les angoisses évidentes liées aux bombardements aveugles, où l’on ne sait jamais si l’on sera sur la liste des dommages collatéraux, Cesare Pavese s’attarde sur l’angoisse, plus vicieuse et plus sourde encore, celle qui ne fait pas de bruit et qui n’est pas annoncée par les alarmes ou les sirènes, celle des descentes punitives.



Cette dernière nouvelle est vraiment glauque, sans issue et l’on comprend sans peine que l’auteur, hanté et tiraillé par les démons qu’il décrit si bien, ait choisi d’en finir quelques mois après la publication de ce livre. J’en veux pour preuve la toute dernière phrase du livre : « Il n’y a peut-être que les morts à le savoir, et il n’y a qu’eux pour qui la guerre soit finie pour de bon. »



Ceci peut également nous rappeler le témoignage d’un autre vibrant témoin italien des heures sombres de la guerre, Primo Lévi, qui a lui aussi choisi d’en finir ainsi, n’ayant jamais totalement réussi à tourner la page des atrocités vécues. Je vous préviens donc que si vous attendez la gaieté dans les chaumières, ce livre ne vous conviendra peut-être pas, mais ceci dit, ce n’est là que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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La Lune et les Feux - La plage

Cesare Pavese nous offre, en guise de testament littéraire, ce texte, assez proche d'une autobiographie. (Quelques mois plus tard, l'auteur allait se suicider.)



Le narrateur, fils de rien à l'assistance publique, a grandi sans amour dans une famille paysanne très pauvre du Piémont Italien, qui s'est chargée de lui simplement pour toucher l'aide sociale. Après vingt ans passés hors de cette terre d'enfance, après avoir fait, en quelque sorte, " fortune " aux États-Unis et à Gênes, le narrateur revient, en quête d'un semblant d'identité.



Plus rien n'est comme avant : la guerre et les tueries sont passées par là. Ne restent que ses sensations qu'il peut revivre en pointillé. Seul un ami, Nuto, demeure encore dans les environs et peut lui faire état de l'étendue et du déroulement des nombreux changements survenus depuis son départ. Presque tous les autres sont morts, d'une façon ou d'une autre.



Par de fréquentes allées et venues dans le temps et dans l'espace (Italie, États-Unis, maison d'enfance, positions plus tardives), Cesare Pavese nous berce dans son jus afin de nous faire ressentir l'absence et le vide que peut éprouver celui qui revient et qui ne retrouve plus grand-chose de ce qui lui avait permis de se construire.



Au total, La Lune Et Les Feux est un livre très nostalgique, qui peut parfois, par certains traits, faire penser à des romans de Milan Kundera (La Plaisanterie, surtout, mais aussi L'insoutenable Légèreté De L'Être, notamment par l'entremise du personnage de Nuto, musicien qui m'évoque l'orchestre morave de Kundera) ou bien alors à d'autres écrivains d'Italie du Nord sans fioriture, comme par exemple Mario Rigoni Stern, mais en plus désabusé encore.



Donc, dépressifs s'abstenir, mais pour le reste, c'est du solide, du moins c'est mon avis, un feu de paille, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Travailler fatigue. La mort viendra et elle..

“ L'homme est comme une bête : il voudrait ne rien faire.” N'avez-vous jamais voulu passer la journée au bord de l'eau, à rêver à la rencontre des corps, ou déambuler dans votre moindre appareil, ivre dans les rues du village sous la jaune clarté de la lune ?



“L'essence de la poésie c'est l'image”. "Travailler Fatigue" restitue la sensualité des vies paysannes et ouvrières. le jeune Cesare écrit sur les siens mais aussi sur sa terre, ces vies sont vallonnées comme les Langhes, d'Asti à Turin. Les vignes chaudes du Piémont, une fois vendangées, donnent des vers au nez fin et à la robe singulière. 



« la terre toute entière est couverte de plantes qui souffrent

Sous la lumière, sans que même on entende un soupir »



« Il n'est chose plus amère que l'aube d'un jour où rien n'arrivera. » Il semble que les personnages de Pavese soient, pareils aux campagnes, figés dans l'éternité. L'attente, l'errance, la fatigue « d'une vie que nous ne vivons pas », la solitude, l'injustice, le travail, souvent misérable, et l'amertume se succèdent dans un déterminisme lucide et résigné, ne s'estompant brièvement que dans le son assourdissant d'une clarinette au fond d'une cave de jazz. Pavese allume “des milliers de réverbères éclatants de lumière sur des iniquités ». 



« au moins pouvoir partir

crever de faim librement, dire non

à une vie qui utilise l'amour et la pitié

la famille ou le lopin de terre pour nous lier les mains »



Pourtant parfois, ces êtres délaissés, en manque de tendresse, voudraient suivre le courant du Pô et quitter leur monotonie, “traverser une rue pour s'enfuir de chez soi”. Il y a comme un avatar de liberté qu'on retrouve lorsqu'on s'éloigne du village :



« ici sur la hauteur, la colline n'est plus cultivée.

il y a les fougères, les roches dénudées et la stérilité.

le travail ne sert à rien ici. »



“A chaque poésie, un récit”. le poète italien croque des morceaux de quotidien et nous révèle l'insoupçonnable saveur de ces existences difficiles, de ces « mains calleuses à force de cogner au maillet, de manier le rabot, de s'esquinter la vie », de ces amours fugaces dans la chaleur de la nuit et ces ivresses désespérées et solidaires.

Mais il ne fait pas qu'écrire des poèmes, il “raconte des vers”. C'est en ce sens qu'il est novateur dans l'univers poétique d'entre deux guerre, l'incroyable inédit de sa plume, de sa narration poétique, de ses vers libérés, nous parvient même à travers la traduction française. 



« L'enfant a sa manière de quitter la maison

si bien que ceux qui restent se sentent inutiles. »



Les « Poésies variées » qui ferment le recueil sont tout aussi savoureuses, mais je ne m'étendrai pas sur « la mort viendra et elle aura tes yeux ». Je n'ai pas reconnu Pavese, son style accrocheur, l'ancrage de ses récits dans la terre. Ces quelques poèmes (trop) métaphoriques et cafardeux sont écrits quelques mois avant le suicide de leur auteur.

S'il a pu trouver une inspiration distincte de celle qui présida à « Lavorare Stanca» ainsi qu'il s'en inquiétait lui-même dans son journal quelques années auparavant, elle reste à mon goût bien moins puissante et singulière.



La figure de la femme, tantôt méprisée, prise en pitié est omniprésente chez le poète - dont la vie amoureuse resta insatisfaisante, entre désirs refoulés, passions secrètes et impuissance chronique - et parfois se glisse sous les traits d'une narratrice prostituée « qu'importe leurs caresses, je sais me caresser toute seule ».



« Turin serait si beau – si on pouvait en jouir

Si on pouvait souffler »



La “canzoniere” du poète piémontais narre la caresse de la nuit, la sueur du labeur, l'haleine d'une étreinte, la chaleur d'une amitié, l'odeur d'une poignée de terre fraîche dans la paume de la main, l'envie d'ailleurs, l'envie d'ici, le tourment du vent du rêve venu des collines…Cesare Pavese nous enseigne « le métier de vivre ». 
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La Plage

“Et maintenant commençait l'ennui quotidien des heures chaudes et vides.” En été sur la plage, la légèreté est de rigueur, les soucis ne sont plus que des châteaux de sable, vos paupières closes reflètent l'incarnat du ciel, c'est la promesse d'un temps suspendu à l'horizon régulier que fend l'océan et au picotements du soleil sur la peau iodée et perlée de vos épaules. Et pourtant, plongeant nerveusement vos mains dans le sable tiède, irrité par les rires un peu fort de ce couple d'adolescents arrogant de son bonheur éphémère et jaloux de votre ami, trop occupé à reluquer les touristes génoises… la plage ne tient soudain plus ses promesses.



“J'éprouvais mon habituel plaisir hargneux à me tenir à l'écart, sachant que, à quelques pas, à l'extérieur de cette ombre, mon prochain s'agitait, riait et dansait.”



“Ce dont je suis certain, c'est de la joie, de la soudaine béatitude que j'éprouvai en étendant la main pour effleurer l'épaule de Doro.” le narrateur, aigri par la médiocrité de son existence facultative, semble complètement épris de son ami Doro, et joue avec le jeune Berti un jeu qui n'est pas sans rappeler la séduction, le repoussant comme pour tester son envie de passer du temps avec lui et lui assénant des piques verbales dès qu'il est question de femmes. Les sentiments du narrateur son secs comme un pruneau, amis babéliotes réhydratez vous après la lecture…



Cesare Pavese, un des grands poètes de la modernité italienne, avec Salvatore Quasimodo et Giuseppe Ungaretti, dans ce très court roman, essentiellement dialogué, laisse entrevoir le mal qui le ronge : l'impuissance, dans toute la polysémie du terme, à vivre sa propre vie, amarré aux autres, nostalgie misogyne (et homophile ?) de ce temps où les hommes vivaient les uns pour les autres, avant les femmes… “Les femmes le dégoûtaient et cela le faisait râler que tous les hommes vivent seulement pour ça. Les femmes étaient idiotes et chichiteuses ; l'engouement des hommes pour elles les rendait indispensables ; il aurait suffi de se mettre d'accord et de ne plus leur courir après pour leur enlever à toutes leur orgueil”.



“Le même jour, je dis à Clelia, qui se plaignait de l'ennui d'un roman, que, dans ces cas-là, la faute en était à celui qui lit.”



Le roman manque un peu d'étoffe, de profondeur, même si Pavese parvient, sans en rien suggérer à faire sentir le trouble et l'aigreur de son narrateur, qu'indéniablement il partage, à lire sous les rayons d'un soleil anxiolytique, avec un verre de grappa.



Bel été,
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Le Métier de vivre

Un livre qui vous déchire et vous déstabilise comme si les aiguilles d'une montre avaient changé de sens, en fait on se dit pose une seule question en évoluant dans la lecture de ce livre: pourquoi la plupart des génies souffrent du mal de vivre? A travers des indices, les éléments que nous livre l'auteur sur son mal de vivre, malgré qu'on s'incruste dans sa perception des choses qui d'ailleurs va au delà de notre entendement, parfois on s'y retrouve soi-même, et on s'identifie dans lui, on ne cesse de se poser la même question. Il nous fait comprendre au même moment que toutes les souffrances ne se valent pas, et toutes ne se guérissent pas...il y a aussi certains succès qui ne garantissent pas le bonheur...



Un livre qui ne se lit pas seulement avec un regard de lecteur qui veut jouir avec les mots de l'auteur mais c'est un livre qui demande au lecteur de devenir ''un fabriquant de la vie''



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La Plage

Cesare Pavese (1908-1950) a écrit ce court roman en 1942. Je l'ai trouvé remarquable.

Voilà comment le résume son auteur dans ses notes : « Ce dernier livre représente un effort pour dépasser le naturalisme par la construction d'atmosphères psychologiques. Il raconte l'amitié de deux jeunes gens qu'une femme, épouse de l'un d'eux, lie et sépare à la fois. Aucun fait extraordinaire n'advient, autour d'eux le petit monde de la plage, la mer, les vacances, sont plus que représentés, sous-entendus par un dialogue fait de résonances. Quatre hommes évoluent autour d'une femme et le monde particulier de chacun est senti comme une présence, un malaise au-delà des faits. »

Avant d'en arriver à la plage, on assiste à une scène fondatrice. le narrateur et Doro autrefois amis inséparables font un saut au pays dans les collines piémontaises. Doro vit désormais à Gênes depuis qu'il a épousé Cleia, une enfant gâtée de la bourgeoisie génoise. Il semble filer le parfait amour et pourtant il éprouve le besoin de retrouver sa terre natale. le narrateur se délecte déjà de replonger dans les délices de l'enfance et se réjouit silencieusement d'une possible dispute conjugale entre les deux époux. Mais Doro refuse absolument de retourner dans la maison familiale et de fournir des explications sur son mariage. Alors l'excursion tourne court, se termine en beuverie grotesque et pitoyable.

Cleia l'épouse de Doro est un personnage mystérieux car toujours perçu de l'extérieur par le narrateur jaloux. Elle plaît aux hommes, bavarde, cancane, sourit, évolue avec aisance dans ce microcosme balnéaire superficiel. Elle adore jouir du soleil, se fondre avec les rochers sans écouter les autres. Elle aime nager seule. On apprend qu'elle a passé une enfance solitaire enfermée dans une villa bourgeoise et qu'elle y rêvait de soleil et de mer. On ne connaît pas la nature des rapports qu'elle entretient avec Doro. On s'interroge, on cancane comme tous les autres.

Parmi les soupirants de Cleia, on trouve Guido le quadragénaire et Berni, l'adolescent. Guido est un riche oisif qui collectionne les petites jeunes. Mais Il a aussi une part d'ombre et de gravité. Berni, l'ex étudiant du narrateur est encore au stade de l'innocence, des découvertes, des livres, des désirs en tout genre. Il virevolte autour du groupe sans se dévoiler et apprend, vite, trop vite l'espace de cet été à la plage.

le narrateur trentenaire célibataire sans nom ne recherche plus l'amour mais une amitié, qu'on devine ambiguë mais pure, irrémédiablement perdue. L'innocence a disparu avec les collines piémontaises.

Les personnages souffrent donc tous de difficulté d'être à différents stades de la vie. Ils ne dialoguent pas vraiment, ils soliloquent le plus souvent en présence d'un autre. Les conversations sont pleines de sous-entendus, de souffrances muettes et marquent une totale impuissance à se comprendre et à s'adapter au temps présent.

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La Plage



Les retrouvailles entre Doro, son ami d’enfance, et le narrateur, sont empreintes du regret du temps passé, de l’envie vicieuse que ce dernier a de la nouvelle vie du premier : Doro s’est entre temps marié, ce qui est ressenti comme une trahison par lui.

Et lorsqu’il se calme, et s’apprête à faire la paix avec le couple en allant avec eux sur la plage de la Riviera ligure, son ami arrive chez lui, seul, comme s’il voulait revivre durant quelques jours cette amitié particulière, avec le cadre des collines de son enfance, le village où il est né, ces instants « où l’on écoute parler son ami comme si c’était vous-même, où l’on vit à deux cette vie en commun ».

Cependant, ce qui aurait pu se comprendre comme l’amitié retrouvée, puisque la femme n’est pas de la partie, n’en est pas : un salaud d’aide-maçon parait partager avec plus d’intensité des souvenirs communs avec Doro, et le narrateur se perd dans la jalousie.

Lorsqu’après ce détour sans affinité retrouvée ils se retrouvent sur la plage, la société, les amis différents, le narrateur s’enferme : « J’éprouvais, dit-il, mon habituel plaisir hargneux à me tenir à l’écart, sachant que, à quelques pas, à l’extérieur de cette ombre, mon prochain s’agitait, riait et dansait. »



En quoi ce très court roman est-il touchant, parce qu’il l’est ?

Le narrateur d’une certaine façon nous expose ses mauvais côtés, sa misogynie, l’explique et la développe : jalousie ou plutôt nostalgie d’une jeunesse amicale qui n’est plus, soupçons appuyés et/ou inventés que le couple va mal, mépris des différents hommes et femmes qui gravitent autour d’eux et font vulgairement la fête, sans que la moindre joie en résulte.

C’est que, nous dit Cesare Pavese, sous notre écorce sommeille un non-dit.

« Il faudrait avoir le courage de se réveiller et de se trouver. Ou, du moins, d’en parler. »

Mais justement, Doro et le narrateur ne se parlent pas, et même les silences qui les rapprochaient par le passé, lorsqu’ils cheminaient ensemble, semblent dorénavant « distraits, inusités, bref insolites ».

Ils se baignent, ils boivent, ils sont en vacances, et, en même temps, ils n’en profitent pas à plein.

Il ne se passe rien.

Et c’est ce rien décrit par Pavese qui rend le récit « La plage » aussi inoubliable, par son écriture, par son originalité, par la manière discrète de conter des sentiments dignes d’un Iago.

Un grand écrivain n’est pas celui qui raconte une belle histoire, c’est, comme Pavese, celui qui se collète avec ce je ne sais quoi, ou presque rien.

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Le Métier de vivre



Il faut travailler, sinon par goût, du moins par désespoir»

(Baudelaire)



Tenu une quinzaine d’années, à partir de 1935, jusqu’en 1950, une semaine jour pour jour avant que son auteur ait décidé de se taire une fois pour toutes («Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus», note-t-il le 18 août 1950), la lecture du journal de Cesare Pavese ne ressemblerait pour moi à aucune autre dans le genre.



Sans aucun doute l’une des pièces maîtresses de l’œuvre de l’Italien météorique. constamment relu et révisé par son auteur, doté par ses soins, année après année, de nombreux renvois entre les entrées qui le constituent, titré (magnifiquement !) comme s’il s’agissait d’un essai ou un d’un roman, Pavese semble avoir accordé à son journal intime la même importance et la même attention industrieuse qu’il avait vouées à son œuvre de poète, d’essayiste et romancier, et avoir visiblement souhaité aussi qu’il soit lu par d’autres.



Un ouvrage inclassable, disais-je, en tant que journal. Pratiquement exempte, entre autres, de tous ces détails liés à la vie quotidienne, registres qui alourdissent souvent d’une dimension prosaïque et d’agenda les journaux personnels, par des tas d’«éphémérités» sans grand intérêt, à part pour l’auteur lui-même ou pour ses éventuels biographes.



En compensation, le lecteur pourra avoir le sentiment de voir peu à peu s’y installer un fil souterrain, une trame en quelque sorte, entre des instantanés égrenés au fil des jours qui passent - et qui se ressemblent, rajouterait certainement l’auteur («Ce qui arrive une fois arrive toujours»).

Quoique fragmentaires par définition, parfois trop elliptiques ou évanescents, voire trop abstraits et/ou difficiles à saisir dans leur complétion plus ou moins télégraphique ou, aux choix, dans leur incomplétude relative, ces «instantanés subjectifs» paraîtront cependant reposer sur un lit commun, et dégager une cohérence interne en lien plutôt avec la construction de la pensée, les impressions et les réactions à vif de l’auteur qu’avec, donc, des faits ou évènements concrets les ayant provoquées, et dont par ailleurs on n’apprendra pas grand-chose, ou bien le strict minimum.



Remarquablement agencés d’autre part par l’obsession de Pavese vis-à-vis de cette «unité formelle» qu’il cherchait à donner à ses écrits en général, à sa poésie autant qu’à sa prose, le tout finit par ressembler, non pas un journal à proprement parler, mais davantage à un long monologue intérieur, certes accidenté et discontinu, mais pourvu d’une dimension et d’une intensité narratives indéniables, ainsi que d’un vrai dénouement dramatique, découlant en toute logique – malheureusement ici, puisqu’il ne s’agit pas d’un personnage de fiction –de ce qui avait précédé.





Métier de vivre : naissance et mort d’une fiction personnelle qu’on compose par-devers soi mais dont le contrôle nous échappera forcément!



«Ces notes de journal ne comptent pas à cause de leur découverte explicite, mais à cause des aperçus qu’elles ouvrent sur la manière que j’ai inconsciemment d’être. Ce que je dis n’est pas vrai mais trahit -par le seul fait que je le dis- mon être.»



Constitué d’une part de considérations et de réflexions originales autour de la littérature, notamment autour du sens et de l’objectif qu’il veut accorder à son œuvre de poète et de romancier, mais aussi sur l’art en général et les tentatives de représenter le réel par la pensée, par le langage et les symboles, ainsi que d’un florilège exceptionnel d’aphorismes et de méditations, morales et existentielles, la plupart du temps d’une profondeur et d’une justesse époustouflantes, issues en grande partie de l’auto-observation très affûtée auquel son auteur s’abandonnera volontiers, et… d’autre part, très paradoxalement, d’extraits, certains en vrac, absolument sans filtre, issus, dirait-on, des carnets intimes de quelqu’un de très immature sur le plan émotionnel et affectif (selon Natalia Ginzburg, amie proche de l’écrivain et coéditrice de la première édition de son journal, Pavese serait resté toute sa vie «un éternel adolescent»), s’exprimant souvent de manière choquante ou vulgaire, asocial, en mal de conquêtes féminines, s’épanchant sans retenue sur ses frustrations et sur son incapacité à satisfaire pleinement une femme (jusqu’à assumer un mépris teinté de misogynie vis-à-vis de celles qui, selon lui, se jouent à chaque fois de sa candeur en matière amoureuse) - dressant en filigrane, parallèlement à une dimension apollinienne à laquelle la pensée insisterait à s’accrocher, un inventaire sans concession de ses faiblesses et de ses contradictions, du découragement et du mal-être qui semblent coller à la peau d’un homme ne pouvant s’empêcher de se mesurer sans cesse à des idéaux que, soit il considèrera comme étant hors de sa portée, soit avec lesquels il peinera à vouloir négocier - Le Métier de Vivre est une lecture fondamentalement contrastée, qui ne s’avèrera pas toujours commode, qui bousculera et instiguera la curiosité de ceux que s’y risqueront.

Balloté constamment entre des extrêmes, frôlant les grands sommets de la pensée et les bas fond de la psyché, le lecteur doit s’habituer aux exercices de grand-écart entre le sublime et l’indigne auquel Pavese se livre sans inhibitions, sans artifices, écarts à certains moments, il faut le dire, totalement incompréhensibles, en tout cas vus de l’extérieur (Mais, à y réfléchir, ne pourrait-on pas avancer que ce serait, peu ou prou, le cas de tout un chacun, chaque subjectivité comportant des contrastes entre ses zones d’ombre et de lumière, qu’on essaiera dans la mesure du possible, avec plus ou moins de succès selon les situations, de gommer face à autrui ?). Faudrait-il pour autant jeter le « pavese » dans la mare ? Rappeler aussi sa sympathie dans un premier temps pour le parti fasciste (mais il faudrait alors évoquer également sa peine de «confino», suite à une suspicion de trahison, ou encore son adhésion postérieure au parti communiste italien...)

Pour l’avoir lu, je ne pense pas. Trop simpliste, à mon avis.



« Il faut se détacher de tout pour se rapprocher de tout. Jouir de chaque chose de manière profane mais avec un détachement sacré. Avec un cœur pur.»



Le métier de vivre pour Cesare Pavese devrait cependant s’exercer dans une tension trop élevée, trop continue, et trop dangereuse entre des contraires.



Indépendamment de l’attrait manifeste pour l’autodestruction qu’on peut y déceler, et contre lequel Pavese semble malgré tout s’être courageusement battu durant une grande partie de sa courte existence - ainsi que l’attesterait également ce «journal»-, Le Métier de Vivre reste l’un des témoignages les plus poignants qu’il m’ait jamais été donné de lire à propos de ces paradoxes inextricables, en même temps universels et consubstantiels à ce qu’on appelle notre solitude ontologique, à savoir, de cette volupté, et en même temps lassitude que l’on éprouve à certains moments à être soi et à n’être que soi, à rechercher invariablement soi-même dans le regard des autres et dans les nouvelles expériences de la vie, tout en désirant à la fois être comme ces autres à qui l’on attribue alors ce qui nous manque, ou enfin à s’appliquer à faire coïncider une irréductible liberté à être soi, avec la force ferme de sens d’un destin particulier qui nous aurait été attribué (ou comme dirait Pavese à ce propos, l’illusion, même lorsqu’il s’agira d’un malheur, que ce dernier «ne t'est pas arrivé par hasard mais parce que, in alio loco, on t'en veut, ce qui pourrait vouloir dire que, in alio loco, tu comptes»).



«L'art de ne pas se laisser décourager par les réactions d'autrui (…) L'art de nous mentir à nous-mêmes en sachant que nous mentons. L'art de regarder les gens en face, nous-mêmes compris, comme si c'étaient les personnages d'une de nos nouvelles. L'art de se rappeler toujours que, nous-mêmes ne comptant pour rien et aucun des autres ne comptant pour rien, nous comptons plus que chacun, simplement parce que nous sommes nous-mêmes (…) L'art de toucher de façon foudroyante le fond de la douleur, pour remonter d'un coup de talon. L'art de nous substituer à chacun et de savoir en conséquence que chacun s'intéresse seulement à soi. L'art d'attribuer n'importe lequel de nos gestes à un autre, pour nous faire voir à l'instant s'il est sensé.

L'art de se passer de l'art.

L'art d'être seul.»



Une ambition aux substrats à la base féconds, prometteurs, terroir de semailles multiples et fructueuses, mais qui inaugurera aussi de longues périodes de sécheresse vitale pour l’auteur. Et si les ténèbres ne réussiront jamais à infiltrer complètement le paysage, les éclairs lumineux de la pensée seront en revanche guidés par une flamme impossible à contempler longtemps, au risque d’en être aveuglé.



«Avoir un goût libidineux pour l'abattement, pour l'abandon, pour l'énervante douceur, et une volonté impitoyable de réagir, mâchoire serrée, exclusive et tyrannique, est une promesse d'éternelle et féconde vie intérieure.»



Pavese voudrait incarner une sorte d’Hamlet moderne, déchiré comme son modèle entre un désir d’être et de ne pas être, d’être aimé, reconnu en tant qu’homme par une femme, en tant qu’intellectuel et écrivain de génie par ses pairs, et celui de cesser de jouer la comédie vis-à-vis des autres et de soi-même afin d’y arriver, ambitionnant par-dessus tout de faire cavalier solitaire et d’approcher, peut-être comme aucun autre de ses contemporains, le «cœur sauvage des choses» (sic).

L’on assistera toutefois au long de ces pages à une course éperdue (et perdue d’avance en quelque sorte) : celle d’un homme dans un état perpétuel et fiévreux de quête de sens, à donner à son apprentissage de la vie et à la souffrance qui en résulterait pour lui (un mot qui revient très souvent dans ces notes), autant qu’à son métier de poète et d’écrivain.

Pavese donne l’impression de courir après des projections fragiles et inconstantes, insuffisantes en tout cas à juguler ou à apaiser durablement ses pulsions d’autodestruction : projections de se laisser vivre simplement, de sagesse stoïcienne ou de spiritualité religieuse, de tendresse féminine ou de réussite littéraire, qui paraissent s’éloigner au fur et à mesure, parfois au moment même où il avait pourtant l’air de s’en rapprocher enfin quelque peu.



C’est ainsi que, en 1950, après avoir vu son œuvre enfin couronnée de succès, et quelques semaines après que celle-ci a été reconnue officiellement aussi, par un «Strega», l’un des plus prestigieux prix littéraires italiens, cédant enfin à l’appel dont les échos sont perceptibles dès le début de ce journal, l’écrivain met fin à ses jours dans une chambre anonyme d’hôtel.



Selon une vieille superstition orientale, il ne faut jamais terminer complètement sa maison : la construction une fois achevée, dit le proverbe, bientôt sonne l’heure de mourir...



Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage alors, et tous vos péchés vous seront (peut-être) pardonnés..?



«Le péché n’est pas un acte ou un autre», répondrait Pavese, «mais toute une vie mal agencée».



Ministre et martyre de sa soif d’absolu, l’homme finit par se piéger lui-même. Prométhée livré en pâture à sa conscience hyper-vigilante et à son mal-être, s’alimentant de ses propres entrailles, mis à part quelques rares moments de transport amoureux se terminant invariablement en eau de boudin, il ne trouvera d’autre salut que dans le sacrifice progressif de sa vie privée sur l’autel d’une œuvre, pour laquelle il travaillera avec acharnement. Une œuvre aux canons esthétiques de plus en plus exigeants, parfois difficiles d’accès, en tout cas pour le commun des mortels, à l’image par exemple de ces notes qu’il développera à profusion autour de concepts tels les «lien-symboles », l’«image-récit», ou les «blocs-réalité», certaines à l’air tout de même assez alambiquées, d’autres où l’on pourra reconnaître des idées reprises par le mouvement encore balbutiant en 1950, du «nouveau-roman».



Le mariage entre ces deux dimensions disparates, une dimension prospective en vue de créer un corpus cohérent de notions liées à cette «forme unitaire» qu’il chérissait particulièrement et qu’il aimerait pouvoir donner à ses poèmes et à ses romans, autant qu’à son métier même de vivre, à laquelle vient donc se rajouter une base chaotique de données intimes livrées sans aucune retenue, donne un résultat insoupçonné, littéralement renversant par la sincérité avec laquelle son auteur se glisse à tour de rôle dans la peau d’un père du désert, retiré du monde dans un paysage intérieur accidenté, parfois inhospitalier, mais cependant d’une lucidité stupéfiante, et dans celle d’un adolescent impulsif, exhibant ses fêlures derrière une semblant d’arrogance, défiant l’existence, marchant insouciant au bord d’un gouffre qui finirait par l’engloutir.



Lire Le Métier de Vivre, c’est accompagner Pavese (et s’accompagner soi-même) dans un périple intérieur à haut risque au cours duquel, à ces contrées reculées où l’on s’acharne à régner en monarques absolus, «à qui tout serait dû », se succéderait la possibilité terrible d’un gouffre menaçant s’ouvrant sous ses pieds, enfer personnel déserté par les autres, vallée de souffrances et lieu d’immolation de sa propre subjectivité.



Est-ce qu’on pourrait en toute conscience recommander une telle lecture ? Est-ce qu’il faut tomber dessus par hasard, comme dans mon cas ? Était-ce d’ailleurs un hasard si je suis tombé dessus, moi qui, en tant que lecteur, fais plutôt partie de ceux qui idéalisent la littérature comme un mode d’accéder directement à une autre forme de connaissance du monde et de ces «mathématiques d’être» (sic) compliquées et irreproductibles de chacun de ses occupants provisoires, plutôt que comme un divertissement?



Prudence, donc! Je vous conseillerais au préalable, avant de décider si c’est une lecture ou pas pour vous, d’aller faire un tour parmi la quantité colossale de citations du Métier de Vivre postées sur le site ( plus de 350 !!). Cela reflète bien d’ailleurs, à mon avis, l’intérêt majeur de cet ouvrage : il y en a une quasiment à toutes les pages qui vaut la peine qu’on s’y arrête !



C’est pour l’instant le seul livre de cet auteur (mis à part quelques lectures ponctuelles de ses poèmes qui, soit dit au passage, ne m’avaient laissé aucun souvenir en particulier) que j’ai eu l’occasion de lire.

Et pourtant j’ai comme la conviction intime que, le cas échéant, aucun autre de ses ouvrages ne me correspondra autant, ne m’intriguera autant, ne me questionnera ni me touchera autant…



«1er janvier 1950

(…)

Promenade matinale. Beau soleil. Mais où sont les impressions de 45-46 ? Retrouvé à grand-peine les points de départ, mais rien de neuf.

Rome se tait. Ni les pierres ni les arbres ne disent plus grand-chose. Cet hiver extraordinaire sous le ciel serein piquant (…) même la douleur, le suicide étaient alors vie, étonnement, tension. Au fond, dans les grandes périodes, tu as toujours éprouvé la tentation du suicide. Tu étais abandonné. Tu avais dépouillé ton armure. Tu étais un gamin.

L’idée du suicide était une protestation de la vie. C’est la mort de ne plus vouloir mourir.»





….

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Travailler fatigue. La mort viendra et elle..

Écrire la poésie pour Pavese c'est donner une forme courte à un récit clos sur lui-même, où se trouve objectivée sa solitude de campagnard perdu dans la ville, loin de ses Langhe collineuses et giboyeuses.

C'est dire aussi la solitude des autres citadins, chantant, devant leur verre, une chanson timide pour tromper le silence, déambulant sans femme dans les rues vides. Car les femmes sont parties, ou mortes: le monde des hommes est dur et orphelin. La douce rondeur des collines est loin, mise en coupe réglée par la géométrie des villes. Trouées par les petits rectangles des fenêtres.

Les fenêtres découpent leur cadre objectif sur le vide des rues, sur le bleu froid du ciel. Parfois des visages s'y encadrent : présence fugace d'une vie parallèle aux autres vies, muette, enfermée dans la chambre ou jetée dans la rue morne où son pas résonne sans laisser de trace.



Le regard de Pavese se charge de tous ces désespoirs, et c'est sans étonnement, avec un déchirement douloureusement anticipé, qu'il quitte la vie, après une rupture amoureuse, mais pas seulement à cause d'elle: le "métier de vivre" est plus dur encore que le travail -ce "métier de poète" dont il parle avec clairvoyance et acuité dans ce même recueil:



"quelqu'un est mort",(..)

"quelqu'un qui voulait

mais ne savait pas"



Chaque vers de Pavese est une souffrance, chaque vers de Pavese est un appel au secours - digne, retenu, réaliste- Travailler fatigue est un recueil exceptionnel, d'une sincérité totale, d'une pudeur immense, d'une humanité immédiate.



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Travailler use

Troisième et dernière excursion estivale dans la poésie italienne. Après l’industrieuse Bologne de Nella Nobili et la sensuelle Sicile de Goliarda Sapienza, place à Pavese et au Piémont, direction les Langhe et aussi la mystérieuse Turin.



Pourquoi cette précision du lieu tout à coup ? C’est que pour Pavese c’est une donnée essentielle de sa poésie, qui aurait été différente s’il était né à Rome, à Susa ou à Castellabate … Son pays natal, il décrit avec un réalisme sans concession, sans fleurs et fruits pour le rendre plus lyrique. C’est un pays rugueux comme les hommes qui y habitent, un pays de côteaux striés de vignes et de terre brûlée par le soleil, où « la chaleur rend fou jusqu’aux animaux».



Et puis il y a Turin, la ville qu’on voit s’illuminer du sommet des collines, à la nuit tombante. Turin, l’inconnue qui attire les jeunes paysans des alentours, même si on ne quitte jamais vraiment les Langhe, « cela vaut la peine de revenir, peut-être en ayant changé. »



Turin, là où l’herbe est remplacée par les rails. La ville où les passants sont des anonymes sans histoire, sans visage et sans corps. La ville où chacun est seul pour supporter le poids de la vie. C’est aussi la brume du fleuve qui lave les misères, les espérances trahies et la faim, et l’usine et les discours politiques, toujours trop longs :



« Il vint lui aussi à Turin, cherchant à s’y faire une vie,

Et y trouva l’injustice. Il apprit à travailler

En usine sans sourire. Il apprit à mesurer

Sur sa propre peine la faim des autres,

Et il trouva partout l’injustice. »



Turin, c’est aussi une certaine idée de la femme, loin des clichés en cours dans les campagnes, où la femme est soit « calculatrice, impitoyable et mesquine » soit elle ne compte pas, « elle fait des enfants et ne dit rien ». Non les Turinoises sont « malicieuses, habillées pour être regardées, elles marchent seules. […] Elles connaissent la vie à fond. Elles sont libres.» Prenez par exemple, Deola, qui fume paisiblement et respire le matin. C’est presque une dame, qui surtout n’attend personne.



Ce recueil est une série de petits tableaux ou de petites scènes de court-métrages, filmés en plans fixes ou lents. On y voit ce diner triste, où « il reste du pain et du raisin sur la table blanche / les deux chaises se regardent en face, désertes.». Ou les sablonniers sur le fleuve, au crépuscule, « assis à la pointe des bateaux, une braise de feu leur brûle les lèvres ». Ou la maison en construction où « les briques découvertes se remplissent d’azur, pour l’heure où les voûtes seront fermés ». C’est une poésie d’atmosphère, de silence et de brume, une poésie empreinte aussi de nostalgie, de solitude et d’indolence.



Je referme ce livre et m’en vais placer un disque du regretté Gianmaria Testa, un autre artiste de cette région austère du Piémont à la voix rocailleuse, et me servir un petit verre de Nebbiolo.

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Travailler use

Ce recueil me réconcilie avec Pavese. Je n'aimais pas trop ses romans ou nouvelles. Mais j'avoue avoir été subjugué par sa perception de la vie, à travers ce choix de poèmes. J'ai cru comprendre que ce recueil était un choix de poèmes tirés de « Travailler fatigue ». Plus quelques poèmes posthumes dont le célèbre « Verrà la morte e avrà i tuoi occhi ». Alors je ne comprends pas le choix de traduction de choisir « use » à la place de « fatigue » pour « stanca ». Stancare signifiant fatiguer. Même si le sens de « user » s'applique assez bien dans ce contexte, ça me paraît un peu bizarre. Bon !

L'ambiance de ces poèmes est tout simplement bouleversante. Les thèmes récurrents sont : l'homme seul ; l'opposition entre la campagne – les collines des Langhe - et le travail dans les champs et la ville, en fait Turin, où on travaille à l'usine  ou sur les chantiers ; les femmes, ou plutôt « la » femme, dans tout ce qu'elle a d'inaccessible à l'homme qui ne peut que la regarder passer ; la frustration permanente, le mal de vivre, la chaleur étouffante...Vous aurez compris que c'est une poésie du mal de vivre. A l'image de son auteur. Il s'en dégage une vision essentielle de l'Homme, de son impossibilité de communiquer. Chacun se retrouve seul face à sa vie, dans une certaine immuabilité. C'est une méditation sur le sens de la vie.

Je reconnais que c'est assez pessimiste mais c'est une vision assez réaliste de la condition humaine.

Une poésie qui correspond assez bien à l'époque actuelle.

Un grand merci aux éditions « Rivages » pour cette édition bilingue.
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La Plage

La plage ou petite étude sociologique de la bourgeoisie nord-italienne en villégiature sur la côte ligure. Ou encore étude sur l’impact du mariage sur l’amitié entre deux hommes. Ou aussi peut-être réflexions sur le passage du temps sur les relations amicales.



Écrit en 1942, soit au tout début de la carrière de Pavese, le texte n’est pas exempt de quelques réflexions sexistes et misogynes dont il faut pouvoir faire abstraction. Le récit est parfois difficile à suivre, car l’auteur passe sans transition d’un paragraphe à l’autre, dans une suite de moments collés les uns aux autres. À noter aussi l’absence d’intrigue. Il s’agit ici de décrire la vie telle qu’elle est, sans aucun intention dramatique et sans artifice.



L’impression majeure ressentie est celle de vide et d’un ennui colossal que ni les distractions et ni les mondanités ne parviennent pas à surmonter. Le narrateur reste en retrait, plus spectateur du monde que réellement acteur et impliqué. Finalement on ne saura vraiment peu de choses de son amitié avec Doro, le jeune marié, qui sera complétement éclipsé par sa jeune et rayonnante épouse Clélia autour de qui gravitent pléthore d’admirateurs, dont peut-être le narrateur.

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Histoire secrète et autres nouvelles

Les trois nouvelles du recueil sont extraites de Vacances d'août (Feria d'agosto) une oeuvre hétérogène publiée en 1946 comprenant des « raconti » et des réflexions théoriques. Elles se déroulent dans les Langhe la région la plus sauvage du Piémont, celle où le jeune Cesare Pavese passait ses vacances. En quelques phrases vous êtes dans ce pays rude avec les petites gens plutôt taiseux, au bord du fleuve, dans les ruelles des villages ou au milieu des collines crépitantes que l'auteur connaît intimement. Il caresse les collines du regard et sait ce qu'elles cachent. Il saisit ce moment unique où le narrateur enfant connaît ses premiers émois et « n'ose pas regarder dans l'ombre » *. Il sait déjà que son enfance est révolue.



1) le blouson de cuir

L'action se déroule au bord du fleuve. Pino, le narrateur-enfant donne un coup de main au patron de la baraque de l'embarcadère. Ceresa est son idole, un homme solaire, magnifique, musclé, il porte à même la peau son beau blouson de cuir. Ils font des parties de pêche magiques ensemble. Un jour d'orage, Ceresa glisse le blouson de cuir sur les épaules du garçon. Et puis arrive Nora, la belle et aguicheuse servante…Le blouson de cuir finira sur les épaules de la mère Pina qui le jette sur ses épaules quand il pleut.



2) Premier amour

L'action se situe dans un petit village. Nino et le narrateur sont très copains. Nino habite dans une villa à la sortie du village, il sait plein de choses et a de nombreuses grandes soeurs qui intimident le narrateur. Nino fauche des cigarettes à une de ses soeurs pour les offrir à Bruno. Un homme fascinant qui conduit et qui aime les femmes…



3) Histoire secrète

Le père est veuf, régulièrement il marche la nuit à travers collines et vallées pour arriver à l'aube sur les marchés. Il est maquignon. Et il a décidé de se remarier avec Sandiana. C'est la fille d'un de ses amis. Elle vit seule au milieu des vignes depuis que ses frères et son père sont partis. Dans ce récit infiniment poétique. le présent- le narrateur adulte revoit Sandiana après la mort du père- et le passé se font écho. La nouvelle magnifique m'a fait penser aux récits de Giono.



*L'enfant n'ose pas regarder dans l'ombre,

Et pourtant il sait bien que pour devenir homme

Il devra se perdre dans le soleil et se faire aux regards du ciel.

(Atavisme)

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Travailler use

"La voix la plus isolée de la poésie Italienne"

Disait le bandeau d'une vieille édition de Lavorare Stanca"



L'isolement de cette voix que Cesare Pavese me donne à entendre se révèle pour moi un enchantement !

Ce petit recueil de poèmes est une balade entre la campagne du Piémont, ses paysages

et la ville, Turin.

Chaque poème est une histoire, des moments dans le temps qui donne à rêver, réveille des émotions, nourrit une profonde réflexion. On y croise des regards, des femmes la nuit, les saisons, l'étoile du matin et puis l'usine, l'injustice : le travail use !



Cette poésie empreinte de nostalgie aborde le mal de vivre, la solitude "l'homme seul", l'absence, la mort, la peur et puis l'amour qui promet et qui effraie.

Une méditation sur la condition humaine.

Je découvre ce poète écrivain, charmée par cette douce résonance !

Merci à l'ami Babélio de ce conseil !





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L'idole et autres récits

Ce recueil bilingue contient trois nouvelles de Cesare Pavese (1908-1950). Elles ont été écrites entre 1937 et 1950. Elles sont précédées d’une préface intéressante du traducteur Mario Fusco. La langue est limpide, sobre et refuse le pittoresque. Les thèmes communs sont sans aucun doute ceux de la désillusion et du rejet. Les protagonistes sont de jeunes écorchés qui s’accrochent à une illusoire espérance mais qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le monde des adultes ou à se faire aimer. Ils se sentent alors exclus à jamais.



1) Nuit de fête/Notte di festa.***** La nouvelle très sonore se situe dans les Langhe, ces collines piémontaises où Pavese a passé ses vacances enfant. A l’époque c’était un territoire très pauvre et très rude. Trois adolescents orphelins sont hébergés dans une ferme-école tenue par un religieux paysan qu’ils appellent « Padre ». Ils doivent vider les tinettes puantes de l’école, sous le regard distant d’un professeur. Mais ce soir-là, ils perçoivent les éclats de plus en plus bruyants de la fête qui se déroule au-delà des collines noires. Ils écoutent fascinés et comme enivrés et rêvent d’un ailleurs possible mais le Padre veille…La révolte contenue jusqu’alors monte en crescendo…



2) Le blouson de cuir/La giacchetta di cuoio.***** L'action se déroule au bord du fleuve. Pino, le narrateur-adolescent donne un coup de main au patron de la baraque de l'embarcadère. Ceresa est son idole, un homme solaire, magnifique, musclé, il porte à même la peau son beau blouson de cuir. Ils font des parties de pêche magiques ensemble. Un jour d'orage, Ceresa glisse le blouson de cuir sur les épaules du garçon. Et puis arrive Nora, la belle et aguicheuse servante…Le blouson de cuir finira sur les épaules de la mère Pina qui le jette sur ses épaules quand il pleut. J’avais déjà lu cette nouvelle dans une autre traduction. Je la trouve magnifique et très moderne.





3) L’Idole /L’idolo (1937).**** Le narrateur, Guido est un représentant de commerce. Il retrouve par hasard dans une maison close de Turin Mina une jeune femme qu’il avait autrefois aimée et vainement demandée en mariage. L’amour renaît de plus belle, passionné, dévorant, obsessionnel… Mina le trouve enfantin, le traite en gamin, le fait marcher…Plus il tente de s’approcher, plus elle le rejette.

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Le Métier de vivre

Quinze années d’une existence peuvent paraître longues. Si on demandait à chacun d’en résumer les évènements, les rencontres et les pensées afin d’en tirer l’analyse d’une évolution individuelle, on imagine facilement qu’il y aurait de quoi remplir un bon feuillet de pages. Quid alors de quinze années notifiées au jour le jour ? Pour Cesare Pavese, il n’est pas nécessaire de remplir une somme au volume extravagant. Quatre cent pages suffisent amplement à l’écrivain pour s’analyser au cours de cette période.





Cesare Pavese s’engage pour le métier de vivre en 1935, à l’âge de 28 ans, et s’y tient jusqu’à sa mort –une démission par suicide- en 1950. Pas forcément régulier, faisant parfois preuve d’un absentéisme tenace lorsqu’il délaisse carrément son Métier de vivre pour de longs mois, sans justification ni explication, il nous permet de suivre l’évolution de sa carrière d’écrivain, du grand inconnu qu’il était encore en 1935, à l’homme de lettres reconnu qu’il devint au fil des ans, particulièrement au faîte dans les années 1948-1949. A croire que la gloire littéraire ne peut pas faire tout le bonheur d’un homme qui misait pourtant sur la reconnaissance de sa nature « poétique » lorsqu’il était encore jeune… Et de constater que plus Cesare Pavese trouvera confirmation de son talent, moins il s’évertuera à se proclamer poète, rêve naïf et halluciné d’un jeune homme qui croyait alors pouvoir trouver le bonheur de l’accomplissement à travers l’écriture. A cette époque, les poses se multiplient. Agaçantes, elles donnent à voir un jeune homme qui semble prétentieux –si nous ne poursuivions pas notre lecture au fil des années pour découvrir ce qui se cachait en réalité derrière ces velléités.





« Un poète se plaît à s’enfoncer dans un état d’âme et il en jouit ; voilà la fuite devant le tragique. Mais un poète devrait ne jamais oublier qu’un état d’âme pour lui n’est encore rien, que ce qui compte pour lui c’est la poésie future. Cet effort de froideur utilitaire est son tragique »





La reconnaissance littéraire venant, Cesare Pavese cessera de se complaire dans ces poses fantasmées. Son rêve s’est accompli, c’est-à-dire qu’il s’est détruit et qu’il lui accorde à peine la satisfaction nécessaire pour continuer à survivre. Tel est le malheur que Cesare Pavese nous révèle du bout de la plume à travers ses confessions.





« Le problème n’est pas la dureté du sort, puisque l’on obtient tout ce que l’on veut avec une force suffisante. Le problème, c’est plutôt que ce que l’on obtient dégoûte. Et alors, on ne doit jamais s’en prendre au sort, mais à son propre désir. »





Cette difficulté, Cesare Pavese la retrouve aussi –et surtout- dans sa vie sociale. Que les amis soient une source d’ennui passe encore : l’écrivain sait se donner toutes les apparences de la cordialité, et le bonheur qu’il dit éprouver lorsqu’il se retire enfin du cercle des mondanités compense tous les désagréments. Mais lorsqu’il s’agit des femmes… Cesare Pavese avoue aimer comme un éternel adolescent et se lamente, au fil des ans, de ne pas savoir apprendre de ses erreurs sentimentales et d’éprouver dans ce domaine les mêmes sentiments contradictoires que dans la reconnaissance littéraire. Il lui suffit d’obtenir une femme pour cesser de la désirer, et si celle-ci reste distante et lui livre un amour médiocre, alors seulement il croit éprouver des sentiments inaltérables qui le conduisent à chaque fois à la déception amoureuse. Sans doute pour ne pas sombrer dans l’écriture poisse du malheur, l’homme déçu se complaît dans la misogynie et nous livre des réflexions crues et désabusées sur le sentiment amoureux.





« Tu es pour les femmes que tu aimes comme, pour toi, une de ces femmes qui te font débander. »





Impossible pour cet homme de se débarrasser d’une souffrance qui semble s’être faite de plus en plus sincère au fil des ans. La faute à la littérature ? Alors que Cesare Pavese semblait chercher à la stimuler lors de ses jeunes années, croyant peut-être qu’il s’agissait là d’un matériau littéraire digne d’étude, celle-ci finit par faire partie intégrante de sa vie. Se révélant alors telle qu’il ne l’avait jamais imaginée, il se rend compte que la souffrance n’a rien de noble. Mais elle s’est installée. Ainsi, même si l’existence de Cesare Pavese est d’une lecture douloureuse –à condition d’y mettre de l’empathie-, elle ne fait pas l’apologie du sacrifice personnel au profit de convictions ou d’idéologies quelconques. Les pensées de Cesare Pavese seraient presque un avertissement lancé au lecteur qui croirait encore aux bénéfices réparateurs des souffrances mentale et morale :





« On accepte de souffrir (résignation) et puis l’on s’aperçoit qu’on a souffert et voilà tout. Que la souffrance ne nous a pas servi et que les autres s’en fichent. Et alors on grince des dents et on devient misanthrope. Voilà. »





Pour autant, Cesare Pavese ne délaisse pas un instant la littérature. Son Métier de vivre, lui-même, est littérature. Avertissant ses proches de son désir de le voir publier, il n’est pas rare que l’écrivain s’arrête parfois pour réfléchir aux bénéfices de cette conversation qu’il livre à lui-même. Peut-être désespéré par l’absence de fondations qui constitueraient sa vie personnelle, il espère trouver du sens et se donner de la consistance à travers le jus qu’il presse de ses idées :





« Tu découvres aujourd’hui que le parcours que refait chacun de ses propres ornières t’a angoissé pendant un certain temps […], et puis […] ce parcours t’est apparu comme le prix joyeux de l’effort vital et, en fait, depuis lors, tu ne t’es plus plaint, mais […] tu as recherché avec plaisir comment ces ornières se creusent dans l’enfance. […] Tu as conclu […] par la découverte du mythe-unicité, qui fond ainsi toutes tes anciennes hantises et tes plus vifs intérêts mythico-créateurs.

Il est prouvé que, pour toi, le besoin de construction naît sur cette loi du retour. Bravo. »





Aucune trace en revanche –ou si peu- de ses convictions politiques, qui le rattachèrent d’abord au fascisme dans les années 1935 avant de le voir se tourner vers le communisme dix ans plus tard. Ces engagements constituaient-ils encore un apparat ? Une manière d’entrer activement dans la vie pour se défendre des tendances qui semblaient au contraire vouloir sans cesse retirer Cesare Pavese de l’existence sociale ? Où se trouvait l’homme véritable ? S’agissait-il de l’image publique qu’il cherchait à renvoyer, ou de l’image intime qu’il livre à travers son Métier de vivre ?





« Ils parlent de gueuletons, de faire la fête, de se voir… Braves amis, amies, gens sains et braves. Toi, tu n’en éprouves même pas l’envie, le regret. Autre chose presse. »





Sans doute lui-même ne le sut-il jamais. Mais à quoi bon chercher, lorsqu’on finit par comprendre que cette poursuite d’une identité, qui ne peut de toute façon jamais être assurée, conduisit Cesare Pavese au suicide ?





Qu’on connaisse l’écrivain ou non, qu’on l’apprécie ou pas, son Métier de vivre est un livre qui trouvera écho en chacun. Parce qu’il traite de thèmes universels, à peine passés à travers le prisme de la subjectivité d’une existence singulière, il trouvera une résonnance devant laquelle on ne pourra pas rester insensible. Qu’on se reconnaisse dans les angoisses de l’écrivain, qu’on s’amuse de sa vision du monde désabusée, qu’on se passionne pour ses considérations éclairées sur la littérature et le théâtre, que l’évolution de son identité sur quinze années mouvementées nous donne l’impression d’être un scientifique se penchant sur le cas d’un rat de laboratoire –et peut-être pour tout ça à la fois- il est impossible de ne pas trouver son intérêt personnel au Métier de vivre de Cesare Pavese qui est, peut-être, un peu le métier de vivre de chacun…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Le Métier de vivre

Un livre dont j'espérais beaucoup, et puis j'ai été déçue. Je trouve le texte pénible à lire. En fait j'ai lu la première moitié du livre avec une grande conscience de lecteur, mot après mot, phrase après phrase... Puis devant la lourdeur et la complexité du texte, je me suis lassée et ai effectuée une lecture rapide. Je n'ai pas pris grand plaisir à découvrir cette oeuvre et cela en quelque sorte me désole. J'ai relevé cependant des citations qui m'auront interpelée. Pour moi, une oeuvre qui n'aura pas tenu ses promesses.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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Travailler fatigue. La mort viendra et elle..

"Travailler fatigue" regroupe des poèmes descriptifs et narratifs ou des récits-images. Pavese le villageois nostalgique et le citadin solitaire se croisent dans ces poèmes d’un style sobre. Les paysages de la colline piémontaise et le spectacle des rues et boulevards de Turin encadrent les scènes racontées ou peintes. Les personnages de ces poèmes-récits sont divers, le fils qui revient au village natal après une longue absence et retrouve tout un changement, le vieillard et la génération nouvelle, l’enfant jouant et curieux de découvrir, le veuf et ses enfants qui ressemblent à leur mère, le célibataire qui contemple les enfants jouer, la femme fatale et victime à la fois, qui nous rappelle une certaine Malena entourée d’hommes robustes et viriles (d’ailleurs la vision pavesienne de la femme est assez singulière). Pour Pavese, le travail est toujours inutile, fatigue et le rêve des hommes c’est de ne pas travailler ! Pavese choisit la méditation et l’écart plutôt que le labeur et le travail physique. Les poèmes de Travailler fatigue sont intelligibles lui qui a voulu s’écarter de l’hermétisme de ses compatriotes Ungaretti, Montale et Quasimodo.



La seconde partie du livre comporte les deux recueils "La terre et la mort" et "La mort viendra et elle aura tes yeux". On est devant un Pavese tout à fait différent par la forme de ces poèmes ; des vers plus courts, un ton élégiaque et de la poésie sentimentale surtout pour les poèmes destinés à Constance Dowling, une relation douloureuse pour le poète.

Ensuite, viennent des poèmes diverses (de jeunesse ou d’autres poèmes écartés par l’auteur).



En lisant "Travailler fatigue" (le recueil le plus travaillé, le plus achevé, le préféré du poète) on a l’impression de lire des poèmes qui se ressemblent complètement comme des jours où "rien ne peut arriver". Or, c’est cette atmosphère pavesienne qui cause cette impression. Les mêmes figures reviennent sans cesse dans les mêmes paysages, une variation sur le même thème. Une tristesse douloureuse mais agréable émane de chaque poème, comme le sourire d’un enfant malade, comme un rire étouffé ; un rictus sournois. Pavese s’approche, par ce recueil de la poésie américaine notamment celle de Whitman ouvrant de nouvelle voie à la poésie italienne (et européenne). Certains y voient un symbolisme nouveau dans cette poésie écrite pendant la domination fasciste (des poèmes nous racontent des séjours en prison).



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La Maison sur la colline

Corrado fuit, de colline en colline, de ville en campagne, de couvent en forêt.  Il fuit les Allemands, les fascistes, mais aussi la ville, la foule, les femmes, les autres...Peut-être surtout lui-même. ..



Nous sommes en 1943.  La défaite des fascistes n'a pas ramené la paix. Au contraire:  la guerre, la vraie,  s'allume comme un incendie, se propageant de village en village, de colline en colline.  Les Allemands toujours, mais surtout  la guerre civile,  entre" reppublicani", les "noirs"  de la république de Salò, dernier suppôt du fascisme,   et  les "partigiani " des maquis communistes, assoiffés de justice et de vengeance,   après tant d'années d'humiliation et de persécution.



Le désordre et l'insécurité sont permanents, dans le calme trompeur des collines piémontaises.



Ces feux, comme un enfant qui jouerait à la guerre, Corrado, d'abord , les esquive. Il  oscille entre la ville de Turin où il donne ses cours et la chambre "in collina" qu'il loue à  Elvira et à sa mère, qu'il appelle élégamment "ses vieilles". 



Sans prendre parti,   il cherche la solitude dans les  bois et les champs qu'il arpente avec le chien de la ferme. Parfois, il se laisse attirer par l'Auberge des Fontane , pleine de chants et de mouvements, où semblent se retrouver ceux qui , contrairement à lui, sont décidés à agir. Il y retrouve Cate, un ancien amour,  qu' il a abandonnée assez vilainement, sept ans auparavant,  sans crier gare.  Elle a un fils, Dino, diminutif de Corradino. Cet enfant serait-il son fils?



Corrado l'indifférent est troublé mais pas au point de s'en mêler vraiment.



Le "professore" veut bien faire un peu de morale politique à ces jeunes partisans plein de fougue, inconscients du danger, mais il ne porte pas assez  d' intérêt aux autres, pour prendre parti, ni pour porter secours. Comme le lui dit très justement Cate, "il faudrait juste aimer un peu".



C'est ce qu'il ne sait pas faire.



Le danger se précise et frappe, en ville et sur la colline, mais  toujours à côté de Corrado. Comme s'il n'avait ni visibilité, ni consistance.  Comme s'il n'existait pas. Ne méritait pas même un châtiment.



Autour de lui ce ne sont bientôt plus que razzias et représailles, village contre village.  Après un bref passage dans l'enceinte d'un couvent, Corrado fuit cet abri trop clos qui lui paraît une nasse. Plus de transhumance  pendulaire entre ville et colline, entre la maison d' Elvira et l'auberge de  Cate: il devient un "fuggiasco",  un fuyard erratique et déboussolé  ..que personne pourtant ne recherche ni ne semble poursuivre. Obsédé par l'idée que seul son village natal pourra l'abriter, il erre de colline en colline, spectateur pétrifié de la violence fratricide, incapable de choisir son camp.



Deux nouvelles qui en sont les brouillons,   complètent et éclairent ce roman sombre, cette analyse lucide et tourmentée d'un  mal- être existentiel où se lit , bien évidemment, celui de Pavese, dont Corrado est le double romanesque. La guerre, dans sa brutalité,  pose des ultimatum violents:  choisir,  agir , s'engager,  protéger. Quand, comme Corrado, comme Pavese,  on découvre sa pusillanimité et son repli , vient le dégoût de soi, et après lui, celui de la vie .



Quelques années après la parution de ce roman,  Pavese se suicide laissant aux siens, un billet laconique et  ironique. "Je pardonne à tout le monde et à tout le monde je demande pardon. Ça va comme ça?  Ne faites pas trop  de commérages."



 Seuls les morts ont la réponse au drame guerrier de l'existence, c'est ce que dit, en substance, la dernière phrase de la casa in collina.



A lire un jour de grand moral.

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Travailler fatigue. La mort viendra et elle..

Cesare Pavese fait partie des quelques écrivains qui m'ont fait entrer en poésie. C'était il y a un certain temps... Ou plutôt un temps certain. Je me souviens encore de la découverte du recueil publié chez Poésie Gallimard et des deux titres si étranges Travailler fatigue et La mort viendra et elle aura tes yeux qui m'avaient beaucoup intrigué alors, comme l'avait fait celui de son journal, le métier de vivre.



Je reviens aujourd'hui vers l'écrivain piémontais pour y redécouvrir son écriture mais aussi pour y retrouver une part des impressions que j'y avais laissé et pour en voir apparaître de nouvelles. Générosité de la poésie !



Travailler fatigue (Lavorare Stanca) a été publié en 1936 à Florence et regroupe un ensemble de poèmes que Pavese a commencé à écrire dès 1930. Divisé en six parties : Ancêtres, Après, Ville à la campagne, Maternité, Bois vert et Paternité, le recueil débute par un poème intitulé Les mers du sud. Ce texte introductif va comme fixer le décor et la tonalité du recueil.



Au travers du portrait d'un cousin revenu dans le Piémont natal après un long voyage de part le monde, Pavese livre ce que fut son enfance. le contact de ce parent, la solitude et l'innocence seront les ferments de son initiation au monde et et de ce que sera plus tard sa maturité d'homme.



Cesare Pavese ne croit pas en une poésie qui ne soit pas née de l'expérience, du vécu. Ainsi, tous les poèmes de Travailler fatigue sont inscrits dans un mode narratif qui sont ceux d'une poésie-récit dans laquelle Pavese s'inspire et livre une grande part autobiographique. Ce mode du récit n'exclue pas pour autant un style très particulier, celui d'une intuition de plus en plus précise, d'une sobriété lyrique qui me touchent beaucoup.

Son écriture semble aller au rythme de son imagination, aller jusqu'au bout de son intention, dans une constance et une maîtrise qui font naître des germes d'impressions et d'images, comme ce très beau poème intitulé Été :



« Il est un jardin clair, herbe sèche et lumière,

entouré de murets, qui réchauffe sa terre

doucement. Lumière qui évoque la mer.

Tu respires cette herbe. Tu touches tes cheveux

et tu en fais jaillir le souvenir.



J'ai vu



bien des fruits doux tomber sourdement sur une herbe

familière. Ainsi tressailles-tu toi aussi

quand ton sang se convulse. Ta tête se meut

comme si tout autour un prodige impalpable avait lieu

et c'est toi le prodige. Dans tes yeux,

dans l'ardent souvenir, la saveur est la même.



Tu écoutes.

Les mots que tu écoutes t'effleurent à peine.

Il y a sur ton calme visage une pensée limpide

qui suggère à tes épaules la lumière de la mer.

Il y a sur ton visage un silence qui oppresse

le coeur, sourdement, et distille une douleur antique

comme le suc des fruits tombés en ce temps-là. »





La lecture terminée de Travailler fatigue (je reviendrai plus tard sur La mort viendra et elle aura tes yeux) m'a confirmé la place toute particulière que tient pour moi la poésie de Cesare Pavese faite d'impressions passées qui rejoignent celles du présent. J'aime l'idée d'une poésie qui n'a pas tout livré de ses secrets, qui n'a pas dit son dernier mot.



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