"Le village des fous", Charlotte Perkins Gilman, éditions les Petites Manies
Conseil lecture par Isabelle Pellouin des éditions Les Petites Manies, maison d'éditions normande.
Entretien mené à la librairie Guillaume à Caen.
Vidéo : Paris Normandie
Je n'ai jamais vu pire papier peint de ma vie. Un motif flamboyant, tentaculaire, coupable de toutes les formes possibles de péché artistique. Il est assez fade pour égarer l'œil qui cherche à le suivre, assez marqué pour constamment irriter et susciter l'étude, et quand on suit les courbes médiocres, incertaines sur une courte distance, elles se suicident soudainement, s'engouffrent dans des angles révoltants, s'autodétruisent en des contradictions inouïes.
La couleur est repoussante, presque révoltante, un jaune asphyxié et sale, étrangement décoloré par la lente course du soleil.
Ce papier me regarde comme s'il avait CONSCIENCE de son influence malsaine !
Il y a un segment qui revient sans cesse, où le motif pendant comme une nuque brisée et deux yeux exorbités vous fixent tête à l'envers.
L'impertinence de ce motif et son infinité me plongent dans une rage folle. Vers le haut vers le bas sur les côtés ils rampent, et ces yeux absurdes, toujours ouverts, ils sont partout.
Il y a des choses dans ce papier donc personne sauf moi n'a - et n'aura jamais - conscience.
Je pleure pour un rien
et je pleure presque tout le temps.
Parvenue dans les zones lumineuses, la femme s'arrête, mais dans les régions obscures elle s'agrippe aux barreaux qu'elle secoue avec violence. Et pendant tout ce temps, ce qu'elle voudrait, c'est traverser le papier peint. Mais personne ne peut échapper à ce motif tant il vous étrangle. C'est pourquoi il possède une multitude de têtes. Car si jamais elle réussissait à s'évader, ce serait pour que le motif l'étrangle et la renverse - voilà la raison de toutes ces têtes aux yeux révulsés !
J'ai mis longtemps à comprendre ce qu'était cette forme floue, en retrait, mais je suis certaine à présent qu'il s'agit d'une femme.
De jour, elle est asservie, tranquille. Je suppose que c'est ce motif qui la retient ainsi séquestrée. Cela me tourmente. M'absorbe pendant des heures.
Je reste étendue de plus en plus longtemps. John dit que cela me fait du bien et que je dois dormir le plus possible.
Il a même pris l'habitude de me forcer à me coucher une heure après chaque repas.
C'est une mauvaise habitude, j'en suis convaincue, car, voyez-vous, il m'est impossible de dormir.
Du coup, cela m'incite à la fourberie car je ne leur dis pas que je suis éveillée - oh non !
Le fait est que je commence à avoir un peu peur de John. p.35
"Pourtant je dois m'exprimer d'une façon ou d'une autre, je dois réfléchir - c'est un tel soulagement !" (p.27)
Ce papier est arraché par lambeaux autour de la tête du lit, aussi loin que je peux étendre le bras tout comme il est arraché en face, au bas du mur. Je n'ai jamais vu un papier plus laid de ma vie.
Dès mon plus jeune âge j'ai pensé qu'on avait besoin de Gentils qui avaient quelque chose dans la tête et qui s'en servaient, des Gentils positifs, actifs, et non des nouilles braves et passives.
Un Méchant gentil. Voilà ce qu'il nous faut! Pourquoi n'y en a-t-il jamais dans les livres? Est-ce que ça n'existe pas?
Jamais, ni dans mes livres préférés ni dans la vie, je n'en ai rencontré. Alors, peu à peu, j'ai décidé d'en devenir un.
Je veux avant tout être digne, positive, surtout pas négative. Ne pas passer mes jours à désirer des choses et à dépendre des autres, pour ne pas être blessée ou chagrinée par leurs comportements. Je veux être sage, sage et capable. Une personne qu'on vient consulter et solliciter - sans risquer d'être déçu. Ce genre de personne dont on dit : "Allons voir Benigna Machiavelli, elle aura la réponse!"