Dans sa lointaine enfance, si un aïeul avait affirmé un fait, même purement mensonger, face à un enfant, il aurait eu gain de cause. Et de surcroit l'enfant aurait reçu une gifle et n'aurait même pas pensé protester. Autre temps, autres mœurs se dit il.
Vé, des gitans… Ils vont encore m’emmerder et me retarder ! Avec tous le boulot que j’ai !
Une onde de crainte mêlée de colère lui parcourut l’échine. Elle connaissait bien ces fourgons, généralement blanc et souvent neufs, dont les trois places sur le siège avant étaient toujours occupées, soit par trois hommes, soit par un couple et un enfant. Ils sillonnaient régulièrement les campagnes, soi-disant à la recherche d’une toiture ou d’un mur à nettoyer à l’aide de produits censés être miraculeux. Tout le monde savait bien qu’en réalité ils en profitaient pour repérer les lieux afin de revenir plus tard, voler ce qui leur serait profitable.
1 Les rumeurs vont bon train dans ces recoins de terroirs ou la vie des autres distrait de l’ennui quotidien. De la vallée de la Bléone à Vinon sur Verdon il n’y a jamais que quatre-vingt kilomètres, ponctués de villages minuscules ou vivent de lointaines cousines, de vieilles amies d’école qui sont allées se marier par là-bas. Souvent, à la saison des champignons par exemple, les unes s’invitent chez les autres, et là, entre un bosquet de yeuses et une touffe de thym, les langues se délient, les délicieux ragots se distillent comme d’amers élixirs. Les existences de chacun sont disséquées, mises à nues et commentées. Oh pas les vies de tous, non, juste celles des vrais gens du pays des derniers natifs du coin, de ceux dont on peut encore situer la famille, l’oncle de tel village, la tante de tel autre.
Il avait descendu doucement le chemin vicinal qui serpentait jusqu’à Fontienne. Puis, toujours dans le dessein d’éviter les flics, au lieu de partir vers Forcalquier, il avait enquillé la petite route de Saint Etienne les Orgues. Cela lui faisait faire un sacré détour, mais dans ces lieux reculés, il n’y avait qu’exceptionnellement des contrôles de police, il était donc tranquille. Et puis ces minuscules routes étaient si belles, si hors du temps, que s’y balader était un vrai bonheur.
Il préféra lui parler du présent, de sa vie campagnarde et de ses amis.
Tu sais, ce sont des gens un peu… spéciaux, des sortes d’originaux, mais on est comme les doigts de la main, on se tiens. Heureusement que je les ai… même si dés fois, on s’engueule un peu.
Oui comme tous les gens du sud !
Ah tu crois que sa viens de la ?
Ben tien on a le verbe haut en Provence ! ça ne veut pas dire qu’on ne s’aime pas
Les touristes étaient partis, la rentrée scolaire avait sonné le glas des vacances pour la majorité d’entre eux et la population dignoise était vraisemblablement affairée dans les diverses administrations qui fournissaient le plus gros de l’emploi. La large avenue bordée de platanes n’était donc pas très animée. José posait un œil morne sur cette ville thermale, l’une des plus petites préfectures de France, dans laquelle il avait officié durant quelques années.
Son principal problème à présent était de cacher ces billets, car il soupçonnait sa mère de fouiner dans ses affaires à l’occasion. Dans les prochains jours, il irait en déposer une partie sur son compte bancaire, mais il devrait répéter l’opération sur plusieurs mois pour ne pas éveiller les soupçons de son banquier.
Dans ces petites agences ou tout le monde se connait, le secret professionnel ne pèse pas lourd face à l’humaine curiosité.
Dans l’intervalle il fallait donc qu’il les planques.
Lorsqu'on attaque la journée au blanc sec dés neuf heure du matin, la vie a tendance à se travestir d’étrange façon. Le jour ce teinte parfois de couleurs chatoyantes, les routes ondulent gracieusement, quelquefois même des arbres se déplacent et viennent se positionner juste devant vous. Mais sa c’est souvent en fin de journée.
A un moment il vivait avec deux femmes, il avait des enfants qu’ils élevés tous ensemble. Je crois qu’il voulait recréer une sorte de société primitive. L’une de ses femmes allaitait, en même temps que son enfant, un chaton qui était en surnombre et que sa mère n’arrivait pas à nourrir…
Vincent, jeune menuisier à La Palud sur Verdon était un descendant de ces villageois qui en 1918, après que le dernier des enfants en âge de partir soit tombé sous la mitraille de Verdun, ont abandonné définitivement leurs village.