De Bruegel lancien à Marcel Duchamp, Christine Buci-Glucksmann expose la conception du regard icarien quelle a développée dans Lil cartographique de lart (Galilée, 1996). « Tour à tout descriptif, allégorique, tautologique ou entropique, ce regard icarien et terrestre nourrit tous les imaginaires du trajet, du déplacement et des dérives en art, à travers lhétérogénéité de ses procédures et de ses médiums [
] La reconstitution de lart-cartographique débouche sur un autre il-monde, celui du virtuel. »
Toile après toile, ouvrant peu à peu l'horizon, Van Blime est entré dans une véritable mue. A force de se colleter ainsi avec la matière, l'artiste semble s'être dépouillé d'un premier corps, d'une première gangue. Une expérience majeure, qui le bouleverse et éblouit le spectateur. Son entrée plus récente dans les grands formats avec des toiles comme les trois étapes de "la Vague", suivies de "Carnaval" ou de "la Déferlante" résulte ainsi de ce cheminement intérieur, dont Rothko donne la clef: "peindre un petit tableau, c'est se placer en dehors de sa propre expérience, contempler une expérience au travers d'un verre rétrécissant. Alors que, de quelque manière qu'on peigne un grand tableau, on est à l'intérieur, ce n'est pas quelque chose qui se commande".
Passer de l'extérieur à l'intérieur …c'est aussi entrer dans une expérience irréversible, comme dans un "être-là" de la peinture. Comme le rappelle Merleau Ponty dans "l'Oeil et l'esprit" : "le peintre nait dans les choses comme par concentration et venue à soi du visible (….) le tableau a pour tâche de crever la peau des choses, pour montrer comment les choses font choses et comment le monde fait monde; dans l'acte de création artistique, (… .) Il s'agit toujours de faire entendre le cri inarticulé dont parle Hermès Trismégiste, qui semblait la voix de la lumière".
Dans leur tourbillon de couleurs primordiales, aux accents de ciel et de terre, les toiles de Van Blime font résonner ce cri inarticulé, cette voix de la lumière. Dans un monde livré aux folies de destruction meurtrière des hommes, cette œuvre est une célébration de la vie, de la force de l'harmonie. Elle donne à voir, et à entendre, la toute puissance des accords de joie et de paix.
Texte de Pascale Lismonde, co-auteur de Van Blime
L'éphémère n'est pas un simple présent informationnel, mais bien un art du temps qui en saisit les modulations et les contracte dans les passages
De la sophistique des Grecs qui a valorisé le moment opportun à l'occasion baroque ou à l'impermanence des cultures d'Asie, cet art du passage définit une philosophie et une sagesse de l'existence exposée à sa fragilité car l'éphémère est toujours par delà la tragique promesse de légèreté, de transparence et de ce matérialisme aérien qu'affectionnait Bachelard. Comme si le temps des formes laissait place aux formes du temps au temps comme quatrième dimension de l'art et de la vie dans une immanence assumée.
D'un tempérament solaire (le "Lion" dans la chaleur de l'été…), Van Blime affectionne les couleurs de terre et de feu, qui font un heureux contrepoids à sa passion pour le bleu. L'acte pictural suscite en lui-même un vrai déferlement d'énergie qu'il transmute dans l'irruption des flots de couleur sur la toile. Toujours en quête de nouveaux matériaux, il fabrique ses couleurs lui-même, mélange les pigments naturels et les couleurs industrielles. Le chevalet initial a disparu; les toiles sont trop grandes, il les pose à même le sol, y jette ses couleurs, travaille tout ensemble à la brosse, au pinceau, avec les doigts. Toute cette matière frémit, ondule, bouillonne… Passionné par le phénomène des volcans, n'a-t-il pas appelé l'une des ses premières toiles "Volcanic eruption"? Une autre évoque l'orage "Stormy weather", ou la nature sauvage au printemps "Wild spring".
Fureur et mystère de la peinture de Van Blime…. De même que ses bleus appellent les profondeurs du ciel ou de la mer, ses couleurs terrestres semblent parfois sortir d'une matière en fusion : rythmés par les bruns, le noir, souvent ponctués de blanc, les rouges flamboient, les jaunes irradient. " "Terre et ciel", "Summertime", "Destiny"… Tous les éléments sont convoqués pour entrer de plain pied dans le règne de l’air et de la terre, de l’eau et du feu. La peinture semble alors jaillir dans un orage de l'être, comme si l'auteur se transportait aux premiers temps de la genèse. Puis l'orage retombe. Surgit alors la tendresse des tons secondaires, oscillant entre le bleu ciel presque délavé de Dali, le vert nouveau de son printemps vivaldien Spring ou le rose tyrien de son "Klimt" ou de "Giverny".
extrait du texte de Pascale Lismonde, co-auteur de Van Blime
T
Nous devenons ce que nous rêvons. De tels rêves furent, dès ma prime enfance , des Voix. Une sorte de paysage mélodique, fait de sensations abstraites et profondes, où se sont entrelacées les deux musiques de ma vie : les voix de l'opéra de ma grand mère Buci et celles de l'Orient de mon père. Tout un espace imaginaire , une cartographie de choses ténues , confuses, parfois fuyantes , mais toujours présentes dans cette douceur de l'enfance qui ne s'efface pas. Impressions de voix, de peux, de lieux propices à touts les errances. Car "Tout ce temps, je n'ai pas quitté des yeux mon rêve lointain" (Pessoa).
L'Orient ou la rencontre de deux mythes. L'un personnel, celui d'un affect enfoui : une dette d'enfance et une survivancedeenue destin. L'autre plus historique, celui d'un orientalisme aujourd'hui éclaté dans toutes les hybridations possibles. Et entre les deux, ces passages, ces entre-deux où "il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas " (Baudelaire).
Et si rêver, c'est toujours rechercher un secret, ce livre ne pouvait être qu'une quête dans le labyrinthe de ma vie. Un livre du temps, un temps raturé, fragmenté, un avant-après pris dans tous ses glissements. Le temps d'un voyage mythique sans cesse répété, dans un deuil nomade qui m'a longtemps accompagnée, là où était mon secret. En Orient, dans toutes ses fictions, ses départs et ses retours, ses magies et ses désillusions.
L'ornement comme crime ou comme style ? La question ne manque pas de faire retour, fût-ce en des termes nouveaux.