Christopher John Koch

Nous baissions tous les deux la tête le plus possible. Les balles sifflaient assez près au dessus de nous ; l'une d'elles ricocha sur une aile , à l'avant. Elles faisaient exactement le même son que les balles dans les vieux westerns ; cela me faisait presque rire. Je transpirais copieusement, mon coeur battait à tout rompre , mais je sortis à nouveau la Bell & Howell , me retournai sur le siège et tentai de filmer des plans des Viêt-congs derrière nous, au téléobjectif. Pendant un instant, ils apparurent dans mon viseur, et je cessai de ressentir la peur ; je ne désirais plus que les capturer sur ma pellicule. Plus rien d'autre n'existait que ce qui se déroulait dans le cadre du viseur.

Je cherche Langford autour de moi, le croyant encore tout proche, mais je m'aperçois qu'il n'est plus là. Il est déjà loin devant. Comme à son habitude, il avance avec la troupe, et ne cherche pas à se cacher, progressant rapidement le long du fossé en contrebas de la route. Pourtant chemise noire et pantalon de treillis vert olive, il va tête nue ; il est armé de son éternel Leica et d'un Nikon de rechange. Les deux photographes américains le suivent à peu de distance, prenant des photos en rafales de temps en temps. A un moment donné, ils s'abritent derrière un des transporteurs de troupes dans la rizière ; c'est à cet instant précis qu'éclate la fusillade.

A ce moment, j'aperçois un soldat en casque colonial qui court vers nous en criant , l'AK 47 armée et pointée. Il nous intime de lever les mains en l'air.
Il arrive à la hauteur de Mike en premier, et celui-ci lève les bras, le Leica dans la main droite. Je l'imite et dois faire appel à toute ma force pour soulever la lourde Commag à bout de bras. En face de Mike, l'AK levée, le soldat hurle en vietnamien.
"Américain ! Vous êtes américain ! "
Sur son large visage bruni de paysan, ses yeux brillent d'une lueur sauvage et dure : celle de celui qui s'apprête à tuer.
Mike répond en vietnamien, les mains au- dessus de la tête.
" Non, australien, dit-il. Bienvenue à Saigon ! "
Le soldat fronce les sourcils et paraît interloqué, puis je vois la lueur disparaître de ses yeux. Il abaisse le fusil, et je sais que nous allons survivre à cet instant.

" Vous savez, leurs bombes tuent très peu d'entre nous ; nous avons appris à les éviter. Le paludisme tue plus de soldats sur la piste que les B-52 : nous l'appelons l'impôt de la jungle. Alors, les Américains se trompent. Ils se pavanent dans le ciel comme des dieux, appuyant sur des boutons. Mais lorsque nous les abattons au- dessus de Hanoï , ils ne ressemblent plus à des dieux. Les guerres se remportent sur terre, finalement, et nous sommes sur notre terre. "
Il sourit.
" Je suppose que vous n'aimez pas entendre de telles choses " , ajouta-t-il.