Claire Gallois - Et si tu n'existais pas
Il m’était égal de savoir à quoi je ressemblais. J’étais devenue étrangère à moi-même parce que mon vrai reflet avait été Yaya.
A peine l'avais-je fait entrer dans mon nouveau petit galetas rus Princesse (ma Yaya aurait adoré cette adresse), il me sauta au visage, ce sourire artificiel, avec son ancienne moue d'excuse, presque puérile.
Et si Yaya et moi, en faisant ce saut dans le passé, ne nous retrouvions pas? Et si elle m'était devenue étrangère parce que , privée de sa présence, j'étais devenue étrangère à moi-même?
La seule image à jamais intacte de mon départ est celle de Yaya. Elle court derrière la voiture qui m'emporte.
L'ennui avec moi c'est que je fais semblant de pouvoir tout supporter.
Pendant des années, on croit que l'amour c'est, ce sont des émotions fortes. Besoin de Frédéric. Frédéric unique au monde. Mon oeil. Maintenant, je crois que l'amour, ou le prétendu amour, c'est une parenté. On ne peut renier nui son père ni sa mère. On les a pour la vie, qu'ils vous conviennent ou pas. Eh bien, quand on aime quelqu'un, quand on aime Frédéric, on eut avoir de l'angoisse, ou le désir de le blesser, de se venger, on peut se marier bêtement avec quelqu'un d'autre comme je vais le faire, malgré tout tu fais partie de moi, voilà.
Nous sommes ainsi partis en long cortège derrière Claire, vers une autre campagne que nous ne connaissions pas, où sont enterrés les anciens membres de notre famille, nos deux grands-pères et notre grand-mère numéro un
Il paraît que pour faire de la place à Claire, il a fallu transvaser grand-mère dans grand-père. Il ne restait de notre jeune grand-mère que les plis démodés de la robe bleue dont on l'a revêtue quand papa est né, quand elle est morte. A l'air libre ils ont voltigé en poussière et, à part la toute petite mâchoire, on n'amis de côté de grand-père qu'une pincée de souvenirs. Papa l'a raconté à maman devant nous. Tant mieux pour Claire, tant mieux pour l'espoir s'il est vrai que nous devenons seulement un souffle frémissant et non des créatures enfermés pour toujours sous la voûte d'un jardin.
Je commençai à lui décrire le parcours magique de l'enfant à naître comme s'il s'agissait d'un conte pour classe élémentaire. « Au tout début, lui dis-je, il y a quatre microscopiques cellules de rien du tout. Elles se mettent aussitôt à se multiplier à une vitesse prodigieuse. Chacune possède un rôle, pour l'une ce sera la couleur des yeux, l'autre les perles dentaires. Et ainsi de suite. En cinq semaines, son système nerveux et son cerveau se forment. Son petit profil se dessine, ses bras et ses jambes apparaissent. A la sixième semaine, il franchit le cap du premier centimètre, il a un foie, un cœur, quarante et une vertèbres (au complet), les bras aussi longs que les jambes et même des plis aux coudes et aux genoux.
(...) j'ai longtemps gardé la conviction que moins on m'aimait, mieux je me portais.
Elle disait que son rêve était de regarder tomber la pluie derrière les vitres d'une cabane en mangeant avec ses doigts des châtaignes trempées dans de la crème fraîche. Elle mentait, elle ne voulait pas manger. Un de ses buts dans la vie était que ses côtes demeurent comme les arceaux d'une cage où battait son coeur.