Citations de Claude Pujade-Renaud (248)
Aimer et être aimée confère à la fois densité et légèreté.
Tu aimais la courbe de ma nuque, le parfum de mes cheveux. Ma passion des fleurs, des couleurs, la robe violette achetée à Rome, mes courgettes grillées sur la braise. Et ma patience, disais-tu. Tu aimais le terrier odorant de mes aisselles, mon rire, ma purée d'olives et d'anchois, le calme lisse de mon sommeil, ma discrétion tout au long du jour et mon impudeur dans la jouissance. Tu aimais m'entendre chantonner en me coiffant, rire et babiller avec notre fils. Tu aimais lorsque j'offrais mon visage à la pluie de septembre. Tu m'aimais.
p 225
En Provence, la bouillabaisse borgne est la bouillabaisse du pauvre. L'oeuf remplace la rascasse et la vive, le roucaou, la galinette, rouge et barbue, les merveilleux petits poissons de roche qui passent par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Ou le saint-pierre dont la tête est plus grosse que le corps, ou le loup, si tendre.
Pour cette bouillabaisse, il suffit d'un oignon et d'un poireau qu'on fait transpirer jusqu'à la transparence, une tomate, quelques gousses d'ail, safran et bouquet garni, un brin de fenouil (rien de plus parfumé que le fenouil sauvage), et surtout ne pas oublier l'écorce d'orange roussie qui confère un très discret arrière-goût d'amertume, légèrement caramélisé. On ajoute l'eau, on laisse cuire avec quelques pommes de terre -- de celles qui savent se tenir à table.
Tout à la fin, on poche dans ce bouillon un oeuf par personne. Dans mon assiette j'aime crever l'oeuf : la fusion du liquide safrané et du jaune onctueux est un régal. Je m'amuse à penser que cet oeil doré cerné de blanc est à l'origine de ce qualificatif de borgne. p 62
Les meilleures pensées surgissent en marchant.
Disparu le village
sur la carte
Hier encore
paisible
bien à sa place
niché dans ce pli
Une route y conduisait
du moins l’a-t-on cru
elle divague à présent
s’efface lentement
A force de le chercher
ce lieu délivré
de l’ombre et du gris
on a oublié son nom
Peut-être a-t-il essaimé
sur une autre carte
par métastases
éparpillées
On n’ose aller regarder
tant soi-même
on se sent proche
de la dispersion
Le volume de la Pleïade, lui, aussi austère soit son contenu, vous offre la promesse de nombreuses rencontres. Cuir sombre et bas de soie... Sous le classicisme de la peau souple aux couleurs de maroquin, le papier bible a des finesses de lingerie, des transparences d'intimité. On respire un Pleïade, on le palpe, le feuillète d'un doigt tendre. On n'écrit pas sur un Pléïade à moins d'avoir de lointaines pulsions, d'inavouables désirs de tatouages. Et l'on s'attend toujours à trouver entre les pages des pétales décolorés, des images pieuses... Les missels de nos grands-mères ont ainsi caché bien des secrets et suscité plus de plaisirs que la morale bourgeoise d'antan ne saurait le dire. -Un Flirt en papier de Michèle Gazier (p.108)
Je préfère m'estimer responsable, plutôt que victime, des hasards.
-Antibiotique-
Elle traîne. Qui saurait l'aider à se réfugier dans une vraie maladie ? Personne en ce monde ne semble préposé à cette fonction, si nécessaire pourtant.
Peut-être était-ce celle de sa mère lorsque la fille était enfant ? En ce temps-là, on avait le droit de fabriquer de grosses fièvres à la place de la souffrance. Le droit, la ressource. A désappris. Acquis tant de mots, de gestes. Perdu l'essentiel. (Livre de Poche, juillet 2000,p.36)
...les gens très drôles sont souvent profondément angoissés.
Partis dans la nuit par une route sinueuse, nous avons vu, en fin de matinée, le soleil patiner le calcaire doré de la cité, sans l'écraser. Une ville couleur de dattes et de miel, entourée par l'eau dansante des oliviers.
Le chat derrière la vitre
écarte le rideau
pour regarder la nuit
qui habite ses yeux
L'ombre
l'éclaire
Retombée des paupières
Du rideau
Nuit dérobée
Tu ( Søren Kierkegaard ) compares le lecteur à un oiseau picorant ce qui fait sens pour lui, ou plutôt donnant sens à ce qui est écrit et n'est jamais figé puisque, selon toi, ne saurait exister une signification unique imposée par l'auteur, le lecteur est créateur.
Ce fut une neige pour rire. Ainsi en est-il fréquemment en Italie - et pas seulement la neige. Un décor de théâtre, éphémère. En Espagne rien n'était pour rire et le théâtre était souvent tragique.
Obsèques, obscéne, ces deux mots l'obsèdent ils tournent en rond agrippés l'un à l'autre,deux mouches accolées vrombissant dans le vide du crâne.
Une femme qui gouverne ne saurait y réussir que par des moyens suspects : ou les philtres ou la galanterie.
Cet autre
qui est moi
s’est détaché
légèrement
Il marche
à quelques pas
là-devant
Si loin déjà
je ne saurai
le rattraper
Il lui arrive
aimablement
de se retourner
Je ne nous reconnais pas
Sur l'une des sculptures, une bouche s'empare d'un sexe. Doris se sent au bord de la nausée, se peut-il que l'amour ait à voir avec la dévoration ?
"Je ne peux comprendre ta mort à Londres
Dans le brouillard
De même que je ne peux comprendre
Ma vie, ici, dans la lumière."
"La mort de A.G." Yehuda Amichaï
-De fol en fol-
Bref, après avoir confessé sa folie, mon maître est tombé gravement malade. Sancho, le prétendu benêt, a tout de suite compris que le beau délire de chevalerie avait cédé le pas à la plus noire mélancolie. De toute façon, chez l'espèce humaine, c'est ou l'un ou l'autre, pas de moyen terme. Et de cette mélancolie, on réchappe rarement. (p.10)
Le présent, on ne peut en parler sans l'annuler, le passé s'estompe si vite, et l'avenir se dérobe.