_J'ai été puni pour ma témérité. Mais une jolie petite fille aux cheveux noirs s'est élancée à la rescousse. Si elle n'avait pas couru rattrapé Ranger, mon étalon, il serait rentré seul à l'écurie et j'aurais été puni. Après vous être assurée que je n'avais rien de cassé... vous m'avez vertement sermonné pendant dix bonnes minutes. Je n'oublierai jamais cette image de vous, campée devant moi, tenant calmement l'alezon par la bride et me faisant la leçon.
Elle s'était toujours efforcée de respecter les convenances et de se montrer à la hauteur des règles drastiques que l'étiquette imposait aux jeunes femmes de bonne famille. Mais ce carcan lui paraissait parfois oppressant.
Pourquoi existait-il une telle disparité entre les deux sexes ? Pourquoi les hommes étaient-ils libres d'agir à leur guise, tant qu'ils faisaient preuve d'un minimum de discrétion, alors que les femmes étaient traitées comme des enfants irresponsables ?
Il venait brusquement de comprendre qui était la belle inconnue qu'il venait d'embrasser avec tant de passion. Un mélange de stupeur et de panique l'envahit tandis qu'il commençait tout juste à prendre la mesure de l'impair qu'il venait de commettre.
Les gens révèlent invariablement ce qu'ils ont de meilleur et de pire.
-Qui êtes-vous, exactement? lui demanda-t-il.
-Je m'appelle Wayren, répond-elle en souriant d'un air parfaitement innocent. La question que vous devriez vous poser, Dimitri, c'est de savoir qui vous êtes et ce que vous chercher exactement.
- Ne voyez vous pas que le chemin qui mène à la damnation peut être le même que celui qui conduit à la délivrance? Que pour être racheté, il vous faudra une fois de plus affronter l'épreuve du feu?
- Je ne peux pas, répéta-t-il.
Wayren hocha la tête.
- Alors vous n'êtes pas encore prêt, Dimitri...
A quoi me servirait-il de vivre éternellement? La vie finirait par devenir d'un ennui mortel.Imaginez aussi ce que l'on doit ressentir en voyant mourir successivement tous ceux que l'on aime... Je crois que la vie est un cycle, miss Woodmore. Il est dans l'ordre des choses de naître et de grandir puis de se faner et de mourir.
Wayren existait. Peut-être pas ici, mais quelque part à mi-chemin entre la terre et le ciel, entre le rêve et la réalité. Et sans savoir pourquoi, il était convaincu qu'à sa façon, elle continuait de veiller sur lui.
-Tout le monde doit mourir un jour, milord, reprit-elle.
-Pourquoi ?
-Parce que c'est dans l'ordre des choses. Parce que la vie est un cycle qui sans cesse recommence, et que pour qu'une nouvelle génération voie le jour il faut qu'une autre s'en aille. Parce que sans la mort la vie n'aurait pas de finalité, pas de sens. Sans elle, plus rien n'aurait d'importance. Et je ne crois pas que l'homme soit fait pour vivre ainsi, dans un tel relativisme. Ce qui nous rend humain, au contraire, c'est notre capacité à définir ce pourquoi nous voulons vivre et ce pour quoi nous sommes prêts à mourir...
Voss ne répondit pas immédiatement. Il se contentait de la regarder avec un mélange de stupeur et de respect nouveau.